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L'équivoque du « primat »

LES INSTANCES DE LA PRATIQUE

1. L'analytique althussérienne des pratiques

1.1. L'équivoque du « primat »

Il n'est pas aisé de déceler quelque chose comme un primat de la pratique comme telle chez Althusser. La pratique n'est pas érigée chez lui en pierre de touche de notre rapport au réel ; son intelligibilité n'est pas directe, elle requiert une élaboration du côté de la théorie. Il y a un mythe idéologique prégnant de la connaissance immédiate, consistant à croire à une intelligibilité dans la pratique, à quoi il convient d'opposer fermement une intelligibilité de la pratique. Poser un primat de la pratique, y compris et surtout quand cette revendication est dirigée contre un primat du théorique censément idéologique, c’est courir le risque de faire de la pratique un slogan, ou, selon l’expression de Balibar, un « maître-mot », où il ne s’agit pas « de démontrer mais de montrer ce qui, en un certain sens se ‘‘fait voir’’ soi-même comme l’équivalent de la vérité, c’est-à-dire le nom de la vérité comme autre »99. A l’instar de la vérité dont elle ne serait qu’un autre « nom », la pratique aurait alors une dimension auto-référentielle100. La pratique ainsi comprise comme maître-mot autonyme semble passible de

99 Etienne Balibar, Lieux et noms de la vérité, La Tour d’Aigues, éd. de l’Aube, 1994, p. 81

croyance plutôt que de connaissance proprement dite. Il y a alors une difficulté à vouloir proposer une théorie de la pratique qui dégage le caractère principiel et auto-référentiel de cette dernière, tant que l'on n'a pas clarifié l’usage que nous faisons du mot « pratique ». Une fois reconnu le caractère idéologique du concept de Pratique (avec une majuscule), quand bien même il serait censé nous faire sortir de l’idéologie, le risque demeure de troquer un maître-mot pour un autre, et de restaurer un primat du « Théorique ».

Dans la perspective d'Althusser, proposer une théorie des pratiques à partir de Marx, c'est d'abord réfléchir ce geste théorique lui-même comme un geste inédit de lecture de l'œuvre de Marx. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'une lecture première et naïve des textes de Marx – surtout des textes à dimension performative – nous donnera l'illusion d'un rapport d'expression immédiate entre le texte et la pratique : un rapport selon lequel le texte, pris à la lettre, vaudrait immédiatement et sans équivoque possible comme une pratique, ou comme un

appel à la pratique et à la transformation du monde. Ainsi, le « renversement » de la

dialectique spéculative hégélienne qu'on impute hâtivement à Marx faute, selon Althusser, de véritablement le lire, ne fait en réalité que reconduire le mythe religieux de la lecture, qui attend du texte qu'il donne à lire son objet à ciel ouvert, en chair et en os : remettons la dialectique sur ses pieds, et nous serons dans la pratique ! L'illusion idéologique consiste à croire qu'immédiatement, à la faveur de ce renversement soudain, le texte de Marx s'efface lui-même comme texte à interpréter en nous dessillant les yeux, en nous « parlant » de la pratique et de l'histoire (ou des hommes qui « font l'histoire »), et en nous enjoignant de substituer la critique des armes aux armes de la critique. C'est être bien aveugle en vérité : c'est ne pas voir que le texte même de Marx, où il est bien question de la pratique (et de l'histoire), n'est pourtant, d'abord, que « l'inaudible et illisible notation des effets d'une structure de structures »101. Lire Marx de manière symptomale, c'est alors assumer la « culpabilité » d'une seconde lecture non univoque, en traquant sous les blancs et les lapsus du premier texte des « effets de structure » inaudibles et illisibles à première lecture. Althusser s'inscrit sur ce point dans la filiation des philosophies du soupçon : Nietzsche, Freud102, et bien sûr Marx lui-même. Marx qui, comme chez Sartre bien qu'en un tout autre sens, fait office à la fois d'objet de la lecture et d'instrument (ou de méthode) de la lecture103.

101 L. Althusser, « Du ''Capital'' à la philosophie de Marx », in L. Althusser, E. Balibar, R. Establet, P. Macherey, J. Rancière, Lire Le Capital, Paris, PUF, 1996 (1ère éd. Maspéro, 1965), p. 8.

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Dans la filiation freudienne, Althusser reconnaît sa dette à l'égard de Lacan, dont « l'effort théorique » pour nous faire découvrir le « discours de l'inconscient » sous le discours immédiat « dépasse en certains de ses effets son objet d'origine ». Ce n'est pas le lieu d'aborder ici cette question des emprunts à la psychanalyse pour l'élaboration de la notion de lecture symptomale, qui déborderait mon propos ; on se reportera à l'ouvrage de Pascale Gillot, Althusser et la psychanalyse, Paris, PUF, 2009, p. 68-78

Alors certes, la lecture symptomale semble faire entorse à toute la dimension déflationniste de la philosophie chez Marx : celle, précisément, de la sortie hors de la philosophie, de son devenir-monde, où le texte doit s'effacer derrière la transformation. Althusser tord apparemment le bâton dans l'autre sens : sa lecture retient Marx dans le texte, dans l'interprétation, produisant sur le texte de Marx une conception apparemment maximaliste de la philosophie. Pour autant, le moment déflationniste de la transformation n'est aucunement exclu de l'horizon de la lecture : il est différé ou suspendu, le temps que nous puissions nous ménager un « espace théorique » à l'égard du texte de Marx. Nous aurons alors à examiner cette suspension (ou, pour reprendre un terme de Derrida, cette « différance ») du moment de la pratique au sein de la théorie. Il ne s'agit pas, en tout cas, de simplement « renverser » la position du problème et de plaider, nouvelle lecture à l'appui, pour un primat de la théorie sur la pratique. De fait, Althusser s'est reproché à lui-même ses « déviations théoricistes ». Mais invoquer cette autocritique n'est pas suffisant, car cela ne nous dit rien sur la finalité de la lecture symptomale en tant qu'elle porte sur des textes où il est éminemment question de pratique. Alhusser nous a suffisamment mis en garde contre l'inanité des renversements et des inversions dialectiques (avec l'opposition imagée « sur la tête »/ « sur les pieds ») pour ne pas lui-même tomber dans ce travers. Ce n'est pas un simple renversement, mais tout un changement de problématique ou d'espace théorique qui se joue entre Hegel et Marx, et plus précisément, entre Marx et lui-même (entre un « jeune Marx » hégélien et un Marx de la maturité, découvreur du « continent Histoire ») : en somme, une « coupure ». Or, couper n'est pas renverser. Dès lors, repenser le rapport entre la théorie et la pratique à partir d'une lecture de Marx implique d'épouser ce changement de problématique, et non pas simplement d'inverser les termes du problème. Appliquée à Marx, la lecture symptomale produit une coupure dans notre manière habituelle de nous rapporter à la théorie et à la pratique, y compris et surtout quand nous lisons, quand nous fréquentons un auteur, en mettant l'accent tantôt sur le sens intrinsèque du texte, tantôt sur les usages pratiques qu'on pense pouvoir directement en tirer. Dans les deux cas, nous postulons par avance et sans autre forme de procès que l'un des deux pôles (théorie ou pratique) prime sur l'autre. La lecture symptomale a pour effet de nous déprendre de ce type de postulation précipitée en différant la

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Sartre également pense le marxisme à la fois comme objet à étudier, à critiquer, et comme la méthode idoine permettant d'opérer cette critique, mais dans une perspective toute autre que celle d'Althusser, puisque l'objet sur lequel porte la critique (et la méthode) n'est pas le discours ou le texte marxiste lui-même, mais bien plutôt, directement, le marxisme comme praxis, c'est-à-dire la manière dont Marx a été appliqué et dévoyé en pratique (avec le stalinisme), donnant lieu à des théories non plus vivantes mais sclérosées. Toute une partie (la plus importante) du tome II de la Critique de la raison dialectique vise ainsi à faire jouer, sur le seul terrain de la praxis (comme expérience critique) le marxisme comme praxis vivante et comme méthode dialectique, contre le marxisme comme praxis sclérosée et ossifiée. Lire à ce sujet E. Barot, « Entre Marx et l'URSS » , Sartre et le

question du primat, afin de produire l'espace où pourra se reposer d'une manière radicalement nouvelle l'articulation de la théorie et de la pratique. En un sens, cette approche de la lecture se veut à la mesure du caractère « grandiose » de son objet : rien moins que la découverte par Marx d'un nouveau « continent », celui du matérialisme historique. Or cette découverte se situe par-delà le clivage théorie/pratique, qui nous sommerait de choisir pour l'un ou l'autre des termes de l'alternative. Elle est le symptôme d'un mixte impur de théorie et de pratique.

La Réponse à John Lewis est un bon exemple de cette lecture symptomale, puisqu'elle vise à prendre en défaut la théorie marxiste standard sur le terrain de la lecture des textes. Althusser répond à la thèse praxéocentriste de John Lewis selon laquelle « l'homme ne connaît que ce qu'il fait » que cette thèse, affichant un primat de la pratique sur la théorie, du faire sur le connaître, « n'a de sens que soumise à la Thèse du primat de l'être sur la pensée »104. La philosophie de la praxis se rend coupable d'une triple erreur : subjectiviste, pragmatiste et historiciste ; elle accorde tout crédit au faire, à l'activité subjective et historique créditée d'une puissance immédiate de dévoilement véritatif du réel. L'erreur consiste précisément à chercher, sur le terrain du faire, un critère de l'être. Althusser se plait à citer la formule attribuée à Engels : « la preuve du pudding, c'est qu'on le mange ». Tout en se targuant d’un primat de la pratique, ce pragmatisme demeure sur le terrain encore idéologique commun aux théories idéalistes de la connaissance dans leur quête d’un critère – comme l’utilité – valant comme garantie ultime, c’est-à-dire comme fin. Dans un passage de Lire Le

Capital, Althusser met en scène une confrontation entre l'idéaliste et le pragmatiste, qui

tourne vite au dialogue de sourds :

De quel droit dis-tu que c’est la pratique qui est le droit ? dit l’idéalisme au pragmatisme. Ton droit n’est qu’un fait travesti, répond le pragmatisme. Et nous voilà au rouet, qui est le cercle clos de la réponse idéologique. Dans tous ces cas, la règle commune qui permet ce jeu est en effet la question de la garantie de l’accord entre la connaissance (ou Sujet) et son objet réel (ou Objet), c’est-à-dire la question idéologique en personne.105

En sus d'être un idéalisme qui s'ignore, la philosophie de la praxis court-circuite les conditions extérieures et matérielles sur fond desquelles opère toute pratique : ce qu'Althusser, dans Réponse à John Lewis, nomme de façon très elliptique « l'être ». On ne peut énoncer un primat de la pratique sur la théorie qu'à condition d'assumer d'abord un primat de l'être sur la

104 L. Althusser, Réponse à John Lewis, Paris, Maspéro,1973, p. 36.

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pensée, c'est-à-dire, ici, un principe matérialiste d'hétérogénéité entre l'être et la pensée. Or un tel principe matérialiste n'est pas lisible à la première lecture, appelée et happée par la perspective pratique de transformation plutôt que par la perspective d'une lecture ou d'une interprétation. La philosophie de la praxis pèche par précipitation : elle va au plus court et n'envisage l'être que sous le prisme de sa modification et de son dévoilement par le faire. Son erreur consiste en somme à ramener l'être à la mesure du faire, à la mesure de l'homme en tant qu'il fait intentionnellement l'histoire. On se donne alors à bon marché un primat du faire, en oblitérant toute la dimension d'hétérogénéité ou d'hétéronomie (pour reprendre le terme de Balibar) de la pratique, qui ne modifie ce qui est que sur fond de conditions qui lui préexistent, et que la pensée ne saurait ramener à sa mesure sans se méprendre sur elle-même. De plus, l'erreur idéaliste consiste à n'envisager la connaissance (et partant, la théorie) que comme une modalité immédiate du « faire » modifiant et dévoilant. Althusser insiste a contrario sur la nécessité de découpler le faire du connaître : on ne connaît pas ce qu'on fait, « on ne connaît que ce qui est »106. Il y a de façon constitutive une illusion de connaissance tapie au creux du « faire » : le sujet pratique se méprend sur lui-même en croyant qu'en se plaçant sur le plan de l'agir historique, il sera le mieux à même de se connaître lui-même.

D'une façon générale, Althusser oppose à la thèse de John Lewis, « C'est l'homme qui fait l'histoire », la thèse dite « marxiste-léniniste » selon laquelle « Ce sont les masses qui font l'histoire », le concept de masse étant à ses yeux plus à même de rendre compte de la logique complexe propre à la production que celui d'homme. L'opposition « les masses/l'Homme » recoupe l'opposition production/praxis. On simplifie à outrance le problème de la pratique en en faisant l'affaire d'une libération de l'homme par la praxis égalitaire et émancipatrice. En effet, l'idée sartrienne de praxis vise l'Homme à travers un homme, n'importe quel homme (qui les vaut tous et vaut n'importe qui, pour paraphraser la fin des Mots) : l'Homme à la fois comme but et condition de possibilité de la praxis. Pour Althusser, cela nous renvoie à l'Homme comme être générique, qu'il convient de désaliéner, de libérer des formes de réification qu'il subit. L'Homme ainsi compris est plus un impératif qu'un concept proprement dit : une exigence dont la valeur théorique en termes de description, de saisie du réel, est très faible proportionnellement à son impact performatif d'appel à la libération. Or la production au sens où l'entend Althusser (celui du procès) est chose bien trop complexe pour être ramenée au format de l'homme-faisant-l'histoire. Se hisser à hauteur d'intelligibilité de la production, c'est en un sens changer de « sujet » de l'Histoire : non plus l'Homme, notion vague et indifférenciée, mais « les masses », concept adéquat et à forte valeur descriptive, qui

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implique une polarité interne entre différentes modalités : de politisation, d'idéologisation, d'instruction, etc. Les masses ne font pas l'histoire de la même façon selon leur niveau d'instruction, selon le type d'idéologie et d'organisation dont elles se dotent.

Dans son essai polémique La leçon d'Althusser, Jacques Rancière propose une lecture décapante de la Réponse à John Lewis : il voit rien moins qu'une leçon d'orthodoxie donnée aux « masses » dans cette volonté d'Althusser de se situer sur le terrain de la lecture pour prendre en flagrant délit d'idéalisme les thèses marxistes qui affichent un primat de la praxis: « si la production est affaire des ouvriers, l'histoire est pour eux chose trop complexe et il faut s'en remettre aux spécialistes : du Parti et de la Théorie »107. La pratique ne devient alors intelligible que moyennant des experts, c'est-à-dire des hommes de parti d'une part et des savants d'autre part (l'idéal étant in fine que l'homme de parti et le savant ne fassent plus qu'un). Rancière fait alors dire à son ancien maître : « les ''masses'' font l'histoire assurément, mais pas n'importe quelles masses, celles que nous instruisons et organisons »108. Tout se passe alors comme si la théorie ne pouvait plus que se réfléchir non seulement sous la forme de la leçon, de l'instruction des « ignorants », mais, plus grave encore, sous la forme-parti. Comme si, en somme, la leçon d'orthodoxie définie par l'expert avait en plus besoin de se réfléchir sous la forme politique du parti et de l'organisation pour être efficace.

Loin pourtant de dévaluer ou d'oublier la pratique au profit d'une orthodoxie de la théorie (sous ses deux modalités que sont la forme-leçon et la forme-parti), Althusser a toujours maintenu l'exigence d'un primat de la pratique, tout en le différant, on l'a vu, par la lecture symptomale. Il ne suffit pas d'afficher un primat si on n'en produit pas en même temps le concept, si on n'en fait pas la théorie. Il n'y a de primat de la pratique, pour Althusser, que dans la perspective d'un « devenir pratique de la théorie »109 : un devenir qui n'a rien d'une application mécanique. En effet, cette théorie n'est pas (du moins pas simplement) préfigurée en amont de la pratique comme un savoir à transmettre aux masses ; elle demeure, du point de

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Jacques Rancière, La leçon d'Althusser (1974), rééd. La Fabrique, Paris, 2011, p. 39. Dans une note de son essai « Les désarrois de l'élève Clouet. Sartre et le maoïsme » (Les Temps Modernes, n° 658-659, avril-juillet 2010, p. 11-12), Jean Bourgault souligne les « accents étonnamment sartriens » de ce texte de Rancière, comme si sa critique d'Althusser le faisait rejoindre, à travers la position quelque peu simplificatrice de John Lewis, les thèses de Sartre sur la praxis ouvrière – ce qui n'empêchera pas Rancière de s'en prendre vigoureusement par la suite à la posture sartrienne de l'intellectuel (cf. le chapitre du Philosophe et ses pauvres intitulé « Le mur du philosophe »). Bourgault a raison de souligner, du reste, que La leçon d'Althusser est « l'un des textes les plus révélateurs qui aient été écrits sur cette période » : précisément – et il m'intéresse surtout à ce titre –, ce texte me semble être révélateur d'une tentative originale de faire jouer ensemble Foucault et Sartre contre Althusser, à un moment où l'opposition Sartre/Foucault était fort prégnante.

108 J. Rancière, La leçon d'Althusser, op. cit., p. 40

109

Je reprends l'expression à P. Macherey, « Verum est factum : les enjeux d'une philosophie de la praxis et le débat Althusser-Gramsci » , Sartre, Lukàcs, Althusser : des marxistes en philosophie, E. Kouvélakis et V. Charbonnier dir., Paris, PUF, 2005, p. 151

vue de la pratique qui l'appelle en creux un objet sinon introuvable110, du moins problématique, du fait de l'écart toujours problématique entre la théorie et la pratique.

La question est alors de savoir comment retrouver la pratique dans la théorie. Non pas directement, en collant au « faire », mais d'une manière oblique et décentrée moyennant l'être, qu'on ne saurait ramener à la mesure du sujet : ni à la mesure de son activité praxique, ni, a fortiori, à la mesure de sa pensée réfléchissant cette activité. Retrouver la pratique dans la théorie ne se fera pas non plus en instaurant une « coupure épistémologique » tranchée entre la théorie (valorisée comme science des experts) et la pratique (disqualifiée comme lieu de l'idéologie et de la méconnaissance des masses). La thèse de la coupure entre un jeune Marx hégélien et un Marx de la maturité en pleine possession de ses concepts a souvent été interprétée comme une coupure initiatique, impliquant pour le lecteur un choix à faire au sein du marxisme : soit pour la théorie (comme science des formations sociales) et pour Althusser ; soit pour la pratique (comme praxis émancipatrice), et contre Althusser du même coup. Or tant qu'on en reste à des formats binaires où l'idéologie est pensée comme l'envers négatif du pôle qu'on valorise, on ne peut que rater l'intelligibilité de la pratique qu'Althusser a cherché jusqu'au bout à dégager : (i) soit parce qu'on pare la pratique (en la sublimant comme praxis) de toutes les vertus en la créditant d'un potentiel spontané d'émancipation à l'égard de l'idéologie, au mépris de tout ce qui fait la spécificité du théorique, c'est-à-dire, in fine, au mépris de l'intelligibilité elle-même ; (ii) soit (c'est la position qu'on impute le plus souvent à Althusser) parce qu'on considère la pratique comme un obstacle épistémologique à la théorie, du fait des déformations idéologiques et imaginaires qu'elle suscite, en instaurant du même coup entre pratique et théorie une coupure non moins imaginaire dès lors qu'on lit de près le