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Les opérateurs philosophiques du discours althussérien

VII de Platon

3. Le théoricisme althussérien à l'épreuve

3.2. Les opérateurs philosophiques du discours althussérien

On a vu que, chez Althusser, la normativité intrinsèque de la pratique théorique la pousse à intérioriser ses propres résultats « selon l'ordre dû », puis à ré-intérioriser cette première intériorisation sous la forme de l'idée de l'idée : n'a-t-on pas alors affaire, avec cet enchâssement d'intériorisations, à un ultime résidu de synthèse, et partant, d'idéalisme, venant faire entorse à la matérialité du discours comme pratique, rétif à toute synthèse ? La visée matérialiste de la définition alhussérienne de la connaissance comme procès sans sujet est ainsi mise au rouet des implications de son modèle : le procès. On aura beau jeu de penser la théorie par analogie avec la production : n'est-ce pas un tour de passe-passe visant à

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Sur cette caractérisation de la langue comme esprit objectif chez Saussure, cf. P. Maniglier, La vie

escamoter la pratique en l'intériorisant sous la forme du concept en tant que concret-de-pensée qui, comme dit Marx, « est concret parce qu'il est le rassemblement de multiples déterminations, donc unité de la diversité »432?

Althusser a des mots très durs contre une certaine idée du concret héritée de courants fort divers : Husserl (ainsi, l'exigence phénoménologique de retour à la « chose même ») Wahl (Vers le concret), Politzer (Critique des fondements de la psychologie), et plus lointainement, Feuerbach, et le jeune Marx ; il s'en prend ainsi à la valorisation d'un concret censé avoir une valeur critique immédiate, un concret non produit, non élaboré à partir d'un abstrait préalable433. À ce concret immédiat, qui n'est en réalité qu'un abstrait qui s'ignore, on a vu qu'Althusser oppose le concret produit, construit par suite d'une rupture avec l'obstacle épistémologique du donné. Or c'est ici que la généralisation de l'analogie de la production rencontre ses limites : à vouloir à tout prix penser la théorie comme un procès, on risque fort de confondre les choses de la logique avec la logique des choses et de projeter sur les pratiques un opérateur théorique dont on ne soupçonne pas la portée : celui de la synthèse, comme unification du divers. La distinction de principe entre l'objet réel et l'objet de pensée ne parviendra pas à empêcher qu'on déduise le premier du second, qu'on pense les concrets-réels comme des synthèses de multiples déterminations, comme des concrets intériorisés à leur type de pratique spécifique (économique, idéologique, politique..). En somme, qu'on calque l'intelligibilité de tous les modes spécifiés de la pratique sociale sur le modèle de la pratique théorique, qui n'a plus de « pratique » que le nom. Tout se joue donc autour de ce modèle éminemment problématique de la production. Il faut donner raison à Deleuze : l'analogie sert à masquer deux choses, « l'équivocité dont elle part, l'éminence à laquelle elle arrive ». Equivocité en effet de cette pratique théorique qui se donne les airs de la pratique pour mieux s'assurer sa place éminente de théorie autonome, ultime garant de l'intelligibilité des autres formes de la pratique sociale434.

La divergence de Foucault à l'égard d'Althusser porte sur cette équivoque du procès de production comme ultime opérateur de synthèse – fût-ce une synthèse sans sujet. Scientifique ou non, un discours peut faire événement dans l'ordre des discours, c'est-à-dire introduire une différence qui permettra après coup la constitution d'un champ d'utilisabilité, soit une « possibilité indéfinie » d'autres discours. Mais en aucun cas l'instauration discursive nous

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K. Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Paris, éditions Sociales, 2011, p. 57

433 L. Althusser, Lire Le Capital, op. cit., p. 38-39, note 18

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C'est aussi cette équivoque, ce « point d'hérésie », qui fait toute la force de l'althussérisme : notamment le fait que la quête d'un concept adéquat à la pratique ne puisse jamais se réfléchir autrement que sous la forme d'un primat du théorique, lequel demeure cependant comme un point aveugle jamais complètement nommé, laissant

introduit à un « objet » nouveau, dont les règles de formation seraient soustraites à celles qui régissent l'espace discursif lui-même. En d'autres termes, il n'y a pas d'espace théorique qu'on puisse autonomiser par rapport à l'espace de dispersion des discours.

La confrontation a lieu sur un terrain commun avec celui d'Althusser : celui de la lecture de « classiques » de la philosophie, visant pour Foucault à mettre au jour un certain nombre d' « opérateurs philosophiques » dans l'ordre du discours. Nous allons donc retrouver cette notion d'opérateur philosophique que nous avons mobilisée dans le chapitre I, en la voyant à l'œuvre, cette fois, chez Foucault lui-même. Quelques mots d'abord, sur la méthode, qui prolongeront ce que nous avons dit à propos du « virus du découvreur ». À l'inverse de la lecture symptomale, la lecture archéologique des philosophes ne vise pas à déceler les blancs et les lapsus d'un texte en le doublant d'un autre texte illisible à première lecture ; elle s'en tient strictement à l'instance du discours, et au jeu des règles qui ont présidé à sa production. La lecture archéologique porte moins sur des textes appelant une double lecture, que sur des énoncés, appelant une simple lecture ramenée à la mesure d'une « description ». Décrire, ce n'est pas chercher le texte latent sous ce qui est dit, c'est s'en tenir strictement à l'instance du dit, en montrant de quels opérateurs de discursivité il est tributaire.

Il n'y a pas de raison, pour Foucault, de pas appliquer au discours philosophique la démarche qu'il applique au discours au sens large. Ainsi, dans l'entretien qui succède à sa conférence aux Journées Cuvier de l'Institut d'histoire des sciences (mai 1969), il revient sur l'usage des noms propres qu'il a fait dans Les mots et les choses : il s'agissait moins avec le nom propre de désigner un amont – la totalité d'une œuvre dans laquelle puiser une réserve d'intelligibilité –, que d'indiquer un aval, c'est-à-dire un ensemble de transformations (où le nom propre fonctionne comme un « sigle »)435. Avec la notion d'opérateur philosophique, Foucault prend pleinement acte de cette équivoque du nom propre, qui n'est pas qu'une affaire de linguiste ou d'anthropologue436, mais qui est aussi un problème qui se pose à l'histoire des sciences, à l'histoire de la philosophie, à l'histoire littéraire. Ainsi, de même qu'il y a une « transformation Ricardo » dont on peut faire l'archéologie (nous y viendrons dans la deuxième partie), il y a dans l'ordre du discours philosophique une « transformation (ou un effet) Aristote » (analysée dans les premiers cours des Leçons sur la volonté de savoir), une « transformation Kant », qui fait l'objet d'un sous-chapitre des Mots et les choses (VII, 5 :

435 M. Foucault, « La situation de Cuvier dans l'histoire de la biologie », Dits et écrits, t. I, op. cit., n° 77, p. 928-929

436 Cf. sur ce point, la critique structurale que Lévi-Strauss propose de Gardiner dans le chapitre VII de La

pensée sauvage ou, sur un plan sociologique, la distinction que propose Bourdieu entre individu empirique et

« Idéologie et critique »), ou une « transformation Marx » dont on a eu un aperçu dans le chapitre I.

Foucault analyse dans le premier cours (9 décembre 1970) des Leçons sur la volonté de

savoir l'opérateur aristotélicien du « bouclage du désir de connaître dans la connaissance

elle-même »437, dont témoigne le tout début de La Métaphysique, pris comme texte-limite ou (pour le dire dans les termes de L'archéologie du savoir), comme « énoncé recteur » à partir duquel certains énoncés philosophiques ont pu être produits dans la même veine, à l'aune duquel également d'autres énoncés philosophiques ont subi des effets d'exclusion ou de dépréciation au sein de l'ordre du discours. Que signifie l'énoncé selon lequel les hommes ont par nature le désir de connaître ? Qu'en un sens, « tout le monde est finalement un peu philosophe » : proposition ressassée jusqu'à satiété, qui refait régulièrement surface dans le discours philosophique malgré la volonté, souvent réitérée elle aussi, de s'en déprendre. Ainsi l'affirmation hégélienne selon laquelle « la philosophie n'est rien d'autre que le mouvement de la vérité elle-même, qu'elle est la conscience prenant conscience de soi », ou encore l'approche merleau-pontyenne disant « qu'il est déjà philosophe celui qui s'éveille au monde »438. A quoi on pourrait ajouter, dans le champ du marxisme et de la « philosophie de la praxis », le fameux énoncé de Gramsci selon lequel « tous les hommes sont des intellectuels ; mais tous les hommes n'exercent pas dans la société la fonction d'intellectuel »439.

Ce que signifient l'opérateur aristotélicien et ses innombrables succédanés, c'est qu'« il y a déjà de la contemplation dans la connaissance la plus fruste et la plus corporelle »440, c'est-à-dire dès le niveau élémentaire de la sensation, comme si la connaissance se précédait toujours déjà elle-même comme causa sui, au prix d'une élision de la volonté qui, loin de provoquer (à tous les sens du terme) la connaissance, ne fait plus qu'un avec elle. Dans le cours suivant (16 décembre 1970), Foucault oppose à cet opérateur aristotélicien l'effort de Nietzsche pour « désimpliquer » le désir et la connaissance. La question est alors celle de la juste distance à instituer à l'égard de la connaissance : comment passer de l'autre côté du théorique, « comment connaître la connaissance hors de la connaissance ? »441. La question, on le voit, n'est plus comment connaître la connaissance dans la connaissance, par la connaissance. Le prix à payer consiste à refuser toute co-appartenance de droit entre désir et connaissance pour se situer sur le terrain du fait : en langage nietzschéen, sur le terrain de l'instinct ou de la

437

M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 19

438 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 19. cf . sur ce point l'avant-propos de la

Phénoménologie de la perception.

439

A. Gramsci, « La question des intellectuels, l'hégémonie, la politique (cahier 12) », Textes, op. cit., p. 243.

440 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 19

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volonté de connaître, irréductible à la connaissance. Foucault affirme que Nietzsche a deux principaux adversaires à cet égard : Kant et Spinoza, tous deux héritiers de l'opération aristotélicienne. Il ne s'agit cependant pas du même type d'adversaire dans les deux cas.

Voyons d'abord le « cas Kant ». Dans la première conférence du cycle « La vérité et les formes juridiques » (1973), Foucault explicite ce qui distingue Nietzsche de Kant. Il a pour Nietzsche cette formule extraordinaire, qui parodie Kant : « les conditions de l'expérience et les conditions de l'objet de l'expérience sont totalement hétérogènes »442. En procédant à un renversement (copernicien) du rapport entre le connu et le connaître, Kant a posé le sujet comme législateur de la nature, mais de telle façon que l'activité législatrice soit d'entrée de jeu pacifiée par la postulation d'une affinité entre sujet connaissant et objet à connaître. C'est cette affinité que Nietzsche met à mal en pensant l'activité législatrice comme une violence faite à la nature, comme une lutte au terme de laquelle seulement quelque chose comme un sujet et un objet peuvent émerger, comme les pôles d'un équilibre de toutes façons précaire. On comprend aisément qu'en se situant sur le terrain du droit (Quid juris ?), Kant poursuit l'opération aristotélicienne de bouclage de la volonté dans la connaissance. Foucault ajoute que dans la perspective nietzschéenne de la désimplication de la volonté et de la connaissance, Kant n'est qu'un piège : « le piège tendu à toute critique de la connaissance ».

Qu'en est-il, maintenant, de Spinoza ? Bien plus qu'un simple piège tendu à la critique, « c'est le grand autre, c'est l'unique adversaire »443. Le discours kantien n'est qu'un piège en ce qu'il réfléchit le geste critique sous la forme du fondement, l'enjeu étant pour la raison, à la fois juge et partie, d'instruire son propre procès en déterminant a priori les limites du connaissable. Or Foucault insiste sur le fait que dans la perspective de Nietzsche, on n'échappera pas au piège kantien si l'on n'a pas d'abord « tué » Spinoza qui, plus que tout autre (bien plus que Kant en tout cas), a poussé jusqu'à ses conséquences ultimes l'opérateur aristotélicien : « c'est lui qui depuis la Réforme de l'entendement jusqu'à la dernière proposition de l'Ethique nomme, fonde et reconduit l'appartenance de la vérité et du connaître dans la forme de l'idée vraie »444. Et Foucault conclut le cours du 16 décembre 1970 de

manière laconique, en visant implicitement Althusser : « Naïveté de ceux qui croient pouvoir

442

M. Foucault, « La vérité et les formes juridiques » , Dits et écrits, t. I, op. cit., n° 139, p. 1414. C'est là un procédé fréquent chez Foucault, qui consiste à inverser des formules philosophiques classiques : ainsi, dans

Surveiller et punir, l'expression « l'âme, prison du corps », inversant le célèbre énoncé du Phédon, ou encore

dans Il faut défendre la société, le fil conducteur de la politique comme « guerre continuée par d'autres moyens », inversant la formule de Clausewitz.

443 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 28

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échapper à l'idéalisme du discours philosophique par le recours à Spinoza »445. Si Spinoza est « le grand autre, l'unique adversaire » de Nietzsche, Althusser se réclamant de Spinoza pourrait bien être, parmi les contemporains, le grand adversaire de Foucault (qui s'inscrit bien évidemment dans le sillage de Nietzsche). Adversaire d'autant plus redoutable qu'il paraît proche de Foucault sur un grand nombre de points, du moins si l'on s'en tient à la querelle de l'humanisme.

En quel sens Spinoza est-il, pour Foucault, « la condition de Kant » ? Althusser ne nous a-t-il pas dit qu'au contraire, en insistant sur le « fait de la connaissance détenue », Spinoza disqualifiait par avance toute « théorie de la connaissance » ratiocinant sur le droit à connaître ? Foucault montre que cette divergence entre fait et droit n'est qu'apparente : avant Kant, Spinoza a postulé comme allant de soi une identité de nature entre l'objet à critiquer (ou à réformer) et l'instrument permettant d'opérer cette critique. Ainsi, à l'instar de la raison chez Kant, c'est l'entendement qui chez Spinoza s'autocritique lui-même au moyen de ses propres outils (les idées vraies), sans avoir à tabler sur quelque instance ou autorité extérieure que ce soit. La gageure althussérienne de se dire matérialiste tout en se réclamant de Spinoza pour affirmer que tout, dans le procès de connaissance, se passe dans la pensée, ne fait que prolonger une longue tradition de bouclage de la connaissance sur elle-même, qui a connu précisément son point d'acmé avec Spinoza. De ce point de vue, tout effort pour critiquer le fondationnalisme kantien par Spinoza est perdu d'avance, car la forme ou norme de l'idée vraie donnée vaut d'entrée de jeu comme une instance d'autolégitimation de la connaissance par elle-même, d'autant plus redoutable à critiquer qu'elle semble se dérober à toute fixité et à tout fondement en se donnant l'allure dynamique d'un processus sans sujet, d'une production continuée.

Du coup, c'est encore un opérateur de synthèse qu'on trouve au cœur de la pratique théorique, à son moment le plus « constituant » : ainsi, l'idée vraie donnée (ou le concept) y fonctionne à la fois comme produit et instrument de la connaissance, en intériorisant à sa propre norme la « matière première théorique » qu'elle élève au concret-de-pensée. La transformation a la forme de la synthèse: au centre du procès de connaissance, le transformateur (l'idée vraie donnée) unifie selon sa norme propre le divers des conditions qui la précèdent en les élevant au concret.

L'opérateur aristotélicien fonctionne comme un opérateur d'immunisation du discours philosophique contre les contingences extérieures qui pourraient venir entraver sa nécessité en

445 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 28. Dans la note 13, p. 30, Daniel Defert suggère que « cette allusion pourrait viser Althusser, implicitement évoqué à plusieurs reprises dans ce cours ».

excluant le philosophe, ou en le faisant périr : « il n'y a pas d'ostracisme philosophique »446, dans la mesure où le philosophe est garanti d'être toujours déjà dans l'élément de la vérité et partant, de faire l'expérience de l'éternité. On voit bien alors la filiation entre l'opérateur aristotélicien et des énoncés de Spinoza tels que : « Je ne prétends pas avoir trouvé la philosophie la meilleure, mais je sais que j’ai connaissance de la vraie »447, ou encore : « Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels »448. Il s'agit de garantir le discours philosophique d'être une expérience purement intérieure. Cette intériorité à soi du discours peut alors prendre le visage de la nécessité ou de l'éternité, opposée à ces deux formes d'extériorité que sont la contingence et la durée : « aucune pratique qui ne serait pas philosophique ne saurait effectivement l'atteindre »449. Le « vrai » n'est pas le « meilleur » : assuré d'être dans le vrai, le discours philosophique s'est d'avance immunisé contre d'éventuelles pratiques de mises à l'épreuve qui le mesureraient à d'autres discours. Et de fait, dans la construction qu'il propose du « concept de temps historique », Althusser rencontre l'éternité spinoziste :

Ce qui est visé par la synchronie n'a rien à voir avec la présence temporelle de l'objet comme objet réel, mais concerne au contraire un autre type de présence, et la présence d'un autre objet : non la présence temporelle de l'objet concret, non le temps historique de la présence historique, mais la présence (ou le « temps ») de l'objet de

connaissance de l'analyse théorique elle-même, la présence de la connaissance. […] Le synchronique, c'est l'éternité au sens spinoziste, ou connaissance adéquate d'un

objet complexe par la connaissance adéquate de sa complexité.450

Toutes les lectures que Foucault a proposées de Nietzsche en ce début des années 1970451 visent à déjouer toute forme de légitimation ou d'homogénéisation de la connaissance

446 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p, 36. Il y a en revanche chez Aristote la prise en compte d'un ostracisme politique, dans la pratique politique du dire-vrai, dont Foucault propose une analyse très fine dans Le courage de la vérité, op. cit., p. 46-51.

447 Spinoza, « Lettre 76 à Albert Burgh », in Œuvres IV, GF, p.

448 Spinoza, Ethique, V, 23, scolie. Dans son ouvrage Spinoza. L'expérience et l'éternité (Paris, PUF, 1994), Pierre-François Moreau montre que l'expérience de l'éternité que procure le savoir intuitif (troisième genre de connaissance) n'est possible que depuis ce qu'il appelle une perspective différentielle sur l'éternité, opérée depuis la durée (à distinguer d'une perspective absolue, qui épouserait d'emblée le fondement substantiel de l'éternité), du fait que celui qui l'éprouve est un mode fini ancré dans un monde historique. Mais s'il y a apparemment une dimension d'hétérogénéité à la source du savoir intuitif de troisième genre – le fait qu'il se dise sur le registre « fini » de la sensation (« nous sentons ») et de l'expérience (« nous expérimentons ») –, il ne s'agit en aucun cas d'une part irréductible de contingence qui viendrait compromettre de l'extérieur ce savoir de l'éternité en tant que tel.

449 M. Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, op. cit., p. 37

450 L. Althusser, Lire Le Capital, op. cit., p. 294. Italiques d'Althusser.

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Outre les Leçons sur la volonté de savoir et « La vérité et les formes juridiques », mentionnons une conférence prononcée à Montréal à l'Université McGill en avril 1971, « Leçon sur Nietzsche. Comment penser

par elle-même. Ainsi, dans « La vérité et les formes juridiques », Foucault cite l'aphorisme 333 du Gai Savoir où Nietzsche retourne l'adage spinoziste « non ridere, non lugere, neque

detestari, sed intelligere », en affirmant qu'en lieu et place d'une opposition entre une

autonomie du « comprendre » d'un côté, et le jeu des passions (rire, déplorer, détester) de l'autre, il y a une entière compromission du comprendre dans le champ de bataille de ces trois instincts : une compromission que le sage spinoziste est le plus enclin à méconnaître du fait qu'elle est chez lui « l'espèce de pensée la moins vigoureuse […] la plus douce et la plus paisible »452. Les trois passions en question, remarque Foucault, ont en commun de maintenir