• Aucun résultat trouvé

Actualité, événement, conjoncture

ALTHUSSER : LA PRATIQUE PAR- PAR-DELA THEORIE ET IDEOLOGIE

1. La philosophie dans son présent : une rencontre Foucault/Althusser ?

1.1. Actualité, événement, conjoncture

L'idée de matérialisme de la rencontre est sans doute ce qui rapproche le plus Althusser de Foucault. Nous pouvons relever plusieurs thèmes dans « Machiavel et nous » qui permettent d'étayer un tel rapprochement :

1/ le privilège épistémologique du présent comme problème qui éclaire de façon

récurrente le passé, à quoi ferait écho la proposition foucaldienne d'une ontologie du présent ;

2/ l'exhumation par Machiavel d'une Antiquité de la pratique, oubliée et éclipsée au profit d'une Antiquité imaginaire et sublimée (point sur lequel, on l'a vu, Althusser insiste beaucoup), qui aurait pour pendant les thèmes foucaldiens d'une généalogie des savoirs assujettis, et d'une ethnologie de notre propre culture (qui fait valoir, elle aussi, une certaine forme d'Antiquité contre une autre) ;

3/ le motif de la virtù comme type de rapport à soi et de dire-vrai, évoquant immédiatement l'idée foucaldienne de subjectivation (ou de désubjectivation, comme le souligne Stéphane Legrand).

4/ l'idée selon laquelle la théorie est mise en demeure de rencontrer son réel quelque part, qui semble proche du concept élaboré par Foucault dans Le gouvernement de soi et des

autres de « réel de la philosophie » (qu'on interrogera dans la deuxième section de ce

chapitre).

5/ A ces quatre rapprochements possibles, on pourrait en ajouter un cinquième, plus circonscrit au « moment » structuraliste des années 1960 : l'idée de solitude du penseur face à la conjoncture, contraint à pousser sa pensée au bord du vide, pourrait avoir des échos dans certaines pages des Mots et les choses où Foucault montre que les discours qui contestent les bases anthropologiques de l'épistémè moderne contribuent à faire de la pensée un acte périlleux, non garanti par un point fixe sur lequel s'appuyer. Dans « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », Deleuze laisse ainsi entendre que c'est, entre autres, depuis l'espace foucaldien de la dispersion des savoirs que peut surgir la figure pour le moins énigmatique du « héros » structuraliste. Deleuze renvoie ainsi au début du chapitre VII des Mots et les

choses:

Pour une archéologie du savoir, cette ouverture profonde dans la nappe des continuités, si elle doit être analysée, et minutieusement, ne peut être « expliquée » ni même recueillie en une parole unique. Elle est un événement radical qui se répartit sur toute la surface visible du savoir et dont on peut suivre pas à pas les signes, les secousses, les effets. Seule la pensée se ressaisissant elle-même à la racine de son histoire pourrait fonder, sans aucun doute, ce qu'a été en elle-même la vérité solitaire de cet événement.311

On retrouve ici l'argument qui est au centre de « Linguistique et sciences sociales », consistant à distinguer l'analyse et l'explication : contrairement à l'explication, qui court-circuite d'entrée de jeu la question du passage à la pratique en soumettant le réel expliqué à un schéma nomologique simple (un « causalisme primaire »), l'analyse que pratique l'archéologie (et, plus largement, les recherches étiquetées comme structuralistes) s'opère dans la conjoncture, dans l'immanence des événements discursifs qui inquiètent le savoir anthropologique moderne, de manière à dégager ce que Foucault appelle par ailleurs, précisément en référence à Althusser, une « logique du réel »312. Véritable pensée dans la conjoncture et dans la dispersion des savoirs, l'analyse archéologique laisse ainsi entièrement ouverte la question du passage à la pratique, et du sujet ou « héros » requis pour opérer ce

311 M. Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 229-230

312

passage. Nous verrons dans la seconde partie que c'est dans le cadre de sa discussion avec Sartre et, plus largement, de la querelle de l'humanisme, que Foucault précisera les modalités de cette subjectivation, comme une forme d'action dans la pensée.

Parmi ces divers points de convergence possibles que nous avons relevés, il y en a un qui semble se prêter particulièrement bien à un rapprochement entre Foucault et Althusser : la question du présent comme problème pratique pour la pensée. Dans un article important intitulé « La philosophie et l'actualité: au-delà de l'événement ? », Etienne Balibar abonde dans ce sens. Il commence par s'interroger sur la manière dont une partie de la philosophie française contemporaine a réagi à ce qu'il appelle le « tournant événementiel », hérité du dernier Heidegger : à savoir la promotion d'un primat de l'événement dans sa dimension de facticité comme pur « il y a », comme donation sans sujet313. Ce tournant événementiel fait entorse au modèle hégélien du procès dialectique, « figure ultime du transcendantal »314, en débouchant sur un anti-humanisme radical (dans le sillage de la Lettre sur l'humanisme), comme si l'on passait sans transition « d'un pathos de la décision à une poétique de l'abandon, du ''laisser-être'', dans laquelle l'événement n'ouvre apparemment que sur l'invariance : non pas sur la critique de l'idée de procès, ou de téléologie, mais sur son abolition »315. Assurément, cette promotion du primat de l'Être comme événement a profondément marqué la pensée française d'après-guerre. Il n'en reste pas moins que, comme le souligne Balibar, tout un pan de la philosophie française contemporaine s'est insurgée contre ce geste heideggerien, du fait précisément qu'il achoppe sur la question du passage à la pratique. Ce rejet ne s'opère pas dans le sens d'un repli humaniste ou d'un « retour au sujet », qui ferait fi du tournant lui-même ; il s'opère plutôt dans le sens d'une politisation du concept d'événement, repensé alors comme actualité.

Cette politisation du thème de l'événement est corrélative de l'exploration d'autres modalités pratiques de subjectivité que celles auxquelles nous avait habitués la tradition philosophique d'avant le tournant événementiel. La lecture que Foucault fait de l'opuscule de Kant sur les Lumières est représentative de ce type de réaction : l'événement ou « processus »

313

Cf. M. Heidegger, « Temps et Être » (1962), Questions III et IV, Paris, Gallimard, TEL, 1976, et les remarques

de Françoise Dastur dans Heidegger et la question du temps, Paris, PUF, 1990, p. 113-114 : alors que la tournure impersonnelle « il y a » (es gibt) indiquait dans Être et temps la différence ontologique et « le pouvoir-différencier transcendantal du Dasein », elle renvoie, après le tournant événementiel, à « la duplicité de l'Être lui-même qui se retire au profit de la désoccultation de l'étant », l'enjeu étant de penser « ce qui est à chaque fois donné et aussi Cela qui donne ».

314E. Balibar « La philosophie et l'actualité : au-delà de l'événement ? », Le moment philosophique des années

1960 en France, op. cit., p. 217 : « ce mouvement hégélien d'absolutisation du concept de procès ne constitue

pas une réfutation ou une récusation du point de vue transcendantal, même s'il se présente comme critique d'un transcendantalisme qui lui paraît formel ».

315

(l'Aufklärung) qu'interroge le philosophe se posant la question « Qui sommes-nous aujourd'hui ?» désigne à la fois l'ensemble auquel il appartient, et son objet, ou plutôt pour reprendre le terme althussérien, son objectif, sa tâche propre. Foucault écrit ainsi :

Il faut donc considérer que l'Aufklärung est à la fois un processus dont les hommes font partie collectivement et un acte de courage à effectuer personnellement. Ils sont à la fois éléments et agents du même processus. Ils peuvent en être les acteurs dans la mesure où ils en font partie ; et il se produit dans la mesure où les hommes décident d'en être les acteurs volontaires.316

C'est par le courage de la pensée, par un acte impliquant le sujet tout entier, que l'événement (ou « processus », selon l'expression de Foucault) bascule du côté de l'actualité. Il n'y a donc d'actualité au sens strict que par des acte, par des « acteurs» qui la font advenir. Les Lumières comprises comme processus sont à la fois un « événement sous le signe duquel nous sommes nés », et un événement « qui continue encore à nous traverser »317, qui conditionne nos pensées et nos pratiques. Mais à mesure qu'il s'insère dans nos pratiques, à force de répétitions et d'incorporations, l'événement perd de son tranchant : les Lumières deviennent un présent routinier qui ne nous pose plus problème, et qui nous maintient dans un état de minorité. L'enjeu n'est pas de trouer cette routine pour remonter, en amont de nos pratiques et nos tutelles, à un « laisser-être » de l'événement. C'est précisément ce que Foucault refuse dans le tournant événementiel : que l'on hypostasie l'événement en l'épurant de toute trace de subjectivité pratique, en le rendant imperméable à toute compromission avec la pratique. Le courage de la pensée qu'exprime la devise « Sapere aude ! » implique au contraire d'actualiser l'événement, en le rendant problématique, en faisant voir ce que nous ne voyons pas (ou plus) dans le processus des Lumières, devenu trop familier. L'événement qu'est notre présent ne devient actuel qu'à partir du moment où il fait problème, et qu'il appelle du coup l'invention d'une résolution pratique inédite. C'est en ce sens que l'actualité est inséparable d'un êthos critique, d'un mouvement volontaire de déprise à l'égard du présent auquel nous appartenons. L'actualité, c'est le présent constitué comme tâche et comme épreuve pour la pensée318.

Balibar rapproche sur ce point le texte de Foucault de la démarche d'Althusser dans « Machiavel et nous », où le thème de l'actualité est également central : le présent (ou

316

M. Foucault, « Qu'est-ce que les Lumières ? », Dits et écrits, t. II, op. cit., p. 1384

317 M. Foucault, « La scène de la philosophie » (entretien avec M. Watanabe, Sekai, juillet 1978), Dits et écrits, t.

II, op. cit., n° 234, p. 574

318

Sur cette question, cf . Luca Paltrinieri, L'expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et

l'événement) devient actuel quand se pose le problème de la rencontre entre un sujet et la conjoncture. Cependant, un tel rapprochement entre les deux textes peut laisser perplexe à première vue, du fait des deux figures de Machiavel et de Kant qu'ils convoquent chacun respectivement. Foucault écarte Machiavel de sa généalogie des discours historiques en lutte (dans « Il faut défendre la société ») et des arts de gouverner (dans Sécurité, territoire,

population). Il ne prend pas pleinement acte de la question de la contingence des

commencements de l'Etat dans la pensée machiavélienne, incompatible avec les théories du fondement et du droit naturel : il estime que Machiavel reste pris dans la pensée de la souveraineté et de son postulat du pouvoir comme propriété, comme prise – le Prince étant défini comme étant en position de surplomb par rapport au territoire qu'il domine319. Quant à Althusser, il fait peu de cas des Lumières allemandes dans lesquelles il ne voit que la première étape « humaniste-libérale » – celle de la « critique théorique publique »320– vers ce qui va devenir l'humanisme du jeune Marx d'avant la coupure.

Le maniement croisé de « Qu'est-ce que les Lumières ? » et de « Machiavel et nous » risque alors de s'avérer malaisé. Mais l'enjeu du rapprochement porte moins sur Kant ou Machiavel eux-mêmes que sur la manière dont Foucault et Althusser les utilisent, en essayant chacun respectivement de penser dans leur pensée (plutôt que sur leur pensée)321. Pour traiter le présent comme problème philosophique et politique, Althusser et Foucault ont besoin de se distancier de leur problème, de la mettre en abîme en se donnant un modèle : Machiavel pour l'un, Kant pour l'autre.

Cependant, comme le souligne justement Balibar, cette mise en abîme du problème que pose le présent ne s'arrête pas aux homologies faciles qu'on pourrait trouver entre Althusser et Machiavel ou entre Foucault et Kant, quant à leurs démarches théoriques respectives (la solitude du stratège d'un côté, le geste critique de l'autre). Il y a un « troisième niveau » de la mise en abîme : ainsi, du côté de Machiavel, le matériau historique sur lequel il s'appuie (l'exemplarité de César Borgia, l'invocation de l'Antiquité de la politique, etc.) ; et du côté de Kant, les Lumières comme ensemble pratique auquel il nous incombe d'appartenir, de sorte que cette tâche d'appartenance – qu'évoque le passage cité ci-dessus – permette un juste

319

M. Foucault, « Il faut défendre la société », op. cit., p. 150-151 ; Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 95. Sur ce point, cf. Michel Senellart, « Machiavel à l'épreuve de la gouvernementalité », L'enjeu Machiavel, op. cit., p. 211-227. Pensant sans doute à l'idée althussérienne de lecture symptomale, Senellart montre (p. 216) que Foucault applique à Machiavel le principe d'une « lecture événementielle », « en mettant en évidence non pas la vérité cachée dans les significations du texte, mais celle qui ressort avec les éléments structuraux du contexte dans lequel il s'inscrit, éléments qui ne l'expliquent pas, pas plus qu'il ne les explique lui-même, mais qui définissent le champ d'intelligibilité où il prend sens ».

320 L. Althusser, Pour Marx, op. cit.,, p. 231

321

On s'en souvient, Althusser remarque que la solitude de Machiavel tient au fait qu'on ne s'est jamais aventuré à réellement penser dans sa pensée.

partage entre l'obéissance et la critique, entre les usages privés et les usages publics de la raison. Penser dans la pensée d'un auteur tel que Machiavel, ou tel que le Kant de l'opuscule de 1784, ce n'est pas se fondre dans une pensée abstraite, comme s'il s'agissait de penser dans un système ou dans une structure – comme dans une conception internaliste de l'histoire de la philosophie à la Guéroult. C'est mettre sa propre pensée à l'épreuve de la conjoncture singulière qui a conduit Machiavel ou Kant à intervenir en leur temps, donnant ainsi à ce processus une forme d'actualité intemporelle qui nous « saisit » encore aujourd'hui. Penser dans la pensée d'un autre tel que Machiavel ou Kant, c'est donc encore penser sous conjoncture : la leur et la nôtre tout à la fois. Ainsi, pour Althusser, cela renvoie au fait que nous soyons encore saisis par la lecture de Machiavel ; ou, pour Foucault, que les Lumières soient encore notre problème, à nous modernes.

Althusser et Foucault se rejoignent alors sur leur manière commune d'infléchir l'événement du côté de l'actualité, dont l'intelligibilité appelle non pas un « laisser-être » ou un « abandon », mais bien une attitude pratique. Balibar suggère que cette stratégie d'« insertion rétroactive » dans l'actualité d'un autre est une façon pour Foucault et Althusser d'opérer un déplacement (à défaut d'un dépassement ou d'une suppression) du « cercle de l'assujettissement »322 dans lequel leurs analyses, sur le pouvoir pour l'un, sur le mécanisme d'interpellation et de recrutement idéologique pour l'autre, les ont enfermés. On peut trouver une bonne illustration de ce qu'est le cercle de l'assujettissement dans le texte « Le sujet et le pouvoir », où Foucault fait une allusion à peine voilée à Althusser et à « Idéologie et appareils idéologiques d'Etat » en affirmant que la forme moderne du pouvoir hérité des techniques du gouvernement pastoral « transforme les individus en sujets »323. « Sujet » ici s'entend en deux sens : c'est le sujet placé sous la dépendance de l'autre, effet résultatif de cette dépendance ; mais c'est aussi le sujet de la connaissance ou de la conscience de soi, le mouvement par lequel l'individu opère un retournement sur soi pour s'avouer et s'attribuer une identité déterminée qui semble lui préexister comme un suppositum.

Penser dans le dispositif théorique machiavélien ou dans l'injonction kantienne au courage de la raison conduit à court-circuiter le cercle de l'assujettissement par un procédé paradoxal, qui consiste à postuler d'avance la possibilité du sujet libérateur (chez Machiavel) ou émancipé (chez Kant), alors même que cette possibilité, qui demeure totalement aléatoire du point de vue du présent historique, reste entièrement à inventer : il en va ainsi du Prince nouveau qu'Althusser, on s'en souvient, qualifie de « possible impossible aléatoire », et du

322 E. Balibar, « La philosophie et l'actualité : au-delà de l'événement ? », op. cit., p. 227

323

sujet majeur sorti de son état de minorité, dont l'injonction kantienne au courage de la pensée devance, elle aussi, la possibilité effective, en l'érigeant d'entrée de jeu en possibilité inconditionnelle pour la pensée324.

Entre Althusser et Foucault, on voit alors s'esquisser une stratégie discursive commune, qui consiste à actualiser d'avance par la pensée la forme de subjectivation qu'on appelle à partir du présent, comme si l'actualité était un perpétuel devancement du présent325. Il faut donc distinguer l'actualité du sujet pratique, dont la possibilité se donne comme inconditionnelle, et sa présentification historique, son existence dans un présent historique. Ce décrochage entre les deux plans de l'actualité et du présent n'est pas une nouvelle forme de redoublement de l'empirique par le transcendantal, que Foucault impute aux anthropologies spontanées qui jalonnent l'épistémè moderne : en effet, le présent étant en lui-même intrinsèquement problématique et aléatoire, l'actualité qui le devance ne peut être calquée sur lui, à la manière d'un conditionnant homogène au conditionné. L'actualité, c'est l'assomption par la pensée du présent (ou de la conjoncture) dans son caractère problématique ; mais il ne s'agit en aucun cas de l'exhumation de conditions de possibilité du présent, qui viendraient le fonder en amont, en le supprimant du même coup comme problème.

Dans la lecture qu'il propose, lors de la leçon du 5 janvier 1983, de l'opuscule kantien, Foucault insiste sur le terme de « sortie » (Ausgang) par lequel Kant définit les Lumières (« la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable »326) : ce terme désigne le moment présent comme « mouvement par lequel on se dégage de quelque chose,

sans que rien soit dit sur ce vers quoi on va »327. L'accent est mis sur l'indétermination quant à l'issue du geste de sortie : le courage de la pensée est l'épreuve d'un vide, que Kant métaphorise à travers l'exemple des roulettes permettant d'apprendre aux enfants à marcher : se passer des roulettes, c'est se risquer à se lancer dans le vide, au risque des chutes et des erreurs. Foucault souligne que cette image du vide est comme le symétrique inversé de celle de la colombe métaphysicienne, métaphore du « fameux envol de la raison qui, allant au-delà

324 Cette idée de possibilité inconditionnelle est commune à Sartre et à Foucault dans leur abord de l'invention éthique.

325

Concernant Foucault, ce point a été bien mis en valeur par Judith Butler dans « Qu'est-ce que la critique ? Essai sur la vertu selon Foucault », Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, M.-C. Granjon (dir.), Paris, Karthala, 2005, p. 97-99. Balibar précise de son côté que le rapprochement qu'il opère entre Foucault et Althusser s'appuie sur les lectures que Butler a proposées des deux auteurs dans La vie psychique du

pouvoir. C'est d'elle qu'il tient, notamment, l'idée de « cercle de l'assujettissement ». Sur le lien entre subjectivité

et vertu (ou résolution éthique) chez Foucault, et sur la lecture qu'en propose Butler, cf. Kim Sang Ong-Van-Cung, « Critique et subjectivation. Foucault et Butler sur le sujet », Actuel Marx, n° 49, Paris, PUF, 2011/1, p. 148-161.

326 E. Kant, Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières ?, trad. J.-F. Poirier, F. Proust, Paris, GF, 1991, p. 43

327

de ses limites, ne sait même pas que nulle atmosphère ne pourra plus le soutenir »328. Du point de vue d'une « analytique de la vérité », qui s'enquiert des conditions de possibilité d'une connaissance vraie, l'élan vers l'inconditionné est théoriquement vide de sens et de contenu, car il outrepasse les pouvoirs de la raison. Du point de vue d'une ontologie de l'actualité, en revanche, l'expérience du vide n'a plus cette connotation négative, puisque c'est le rapport de la raison à ses propres limites qui se voit inversé : la critique non plus de ce que nous pouvons connaître, mais de « ce que nous sommes », se fait « à la fois analyse historique des limites