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Quel avantage pour les demandeurs d’emploi ?

LA LPE ET LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE (1990-2017)

1. L’objectif du système : générer la complexité pour dissuader le management de licencier management de licencier

2.4. Les modifications du dispositif

2.4.1. Quel avantage pour les demandeurs d’emploi ?

Le tableau qui sert de guide à notre réflexion concernant les effets de la législation sur la protection de l’emploi démontre qu’aucun effet sensible ne peut être corrélé avec une mesure législative qui renforce cette législation. Nous avons déterminé les pics de force de ces dispositions que nous rappelons pour mémoire, 1975, 1986 avec certes la loi Seguin qui modifie l’adhésion initiale de 1975 mais permet le vote de l’amendement Delalande, la loi de 1989 et la loi Aubry de 1993. Nonobstant ces contraintes qui pèsent de plus en plus lourdement sur les entreprises, la situation de l’emploi français ne s’améliore pas, en particulier dans l’industrie : durant cette même période, des pans entiers de notre industrie vont s’écrouler. On peut toujours accuser les effets de l’ouverture des frontières de l’Est qui se produit avec l’écroulement du mur de Berlin en 1989 -date où la loi du 2 août est votée- ou encore déplorer le fait que les salaires

88 Michel Godet, Le courage du bon sens. Pour construire l’avenir autrement, Odile Jacob 2007. Libérer l’emploi pour sauver les retraites, Odile Jacob, 2013

pratiqués dans les pays de l’Est soient à un ou deux € de l’heure, alors que les salaires hexagonaux, pour des emplois comparables sont de l’ordre, à cette époque, de 6 ou 7 €89. 2.4.2. Le contournement des procédures de licenciement pour motif économique : le recours à l’intérim et l’exemple du comportement de la société Renault Retail Group

En 2016, la société Renault Retail Group licencie un préparateur de véhicule qui ne présente, semble-t-il, que deux ans de présence dans l’entreprise. Le salarié a été victime quelques mois plus tôt d’un accident de trajet et il est licencié pour nécessité de remplacement, son absence, selon la société RRG, désorganisant le service de préparation des véhicules.

Il convient de rappeler avant toutes choses que la société Renault Retail Group (chargée de la commercialisation des véhicules) comprend près de 7.000 salariés, au capital social de 99.832.670 € dont le chiffre d’affaires 2015 est de 4.028.046.100 €. Cela permet d’une part de fixer les éléments du débat en ce qui concerne la réalité du trouble qui aurait été apporté par les absences du salarié, Monsieur El Khalifa, dans le cadre de l’organisation du service. Or, dans la motivation du licenciement, la société Renault Retail Group évoque longuement la notion de désorganisation de l’entreprise.

Mais surtout ce dossier permet d’apprécier la gestion du contrat de travail de ce salarié pendant une longue période de 14 années (2002-2016) avec comme seul objectif l’évitement de la LPE en raison de ses aspects contraignants lors des compressions éventuelles d’effectifs et de la computation des indemnités de rupture, outre évidemment les pénalités exceptionnelles décidées par les juridictions. L’exemple est passionnant car il démontre d’une part la vacuité des prétentions des défenseurs de la LPE et l’ingénierie exposée par des sociétés telles que Renault pour échapper

89 La démolition du mur de Berlin intervient le 9 novembre 1989. François Mitterrand a écrit qu’il n’avait pas envisagé la chute du mur et la réunification des deux Allemagnes. On doit cependant s’interroger sur la clairvoyance globale des élites politiques et administratives françaises en constatant que la loi nouvelle qui instaure de nouvelles procédures de licenciement pour mieux encadrer les licenciements économiques est signée par le Président de la République le 2 août 1989. Elle est publiée au Journal Officiel le 8 août 1989.

Elle entre en vigueur le 10 août. Le décret d’application est quant à lui en date du 11 octobre 1989 (décret n°

89-732). Ainsi, au moment où se produit un événement majeur dont les prémices, telles qu’elles sont décrites par les diplomates européens et ressortent des discours du président de l’URSS Michaël Gorbatchev, sont sensibles dès l’année 1988, l’administration française dans son aveuglement continue la même politique.

(victorieusement) à la LPE en précarisant sur une longue période la situation d’un salarié qui aurait naturellement été engagé en CDI hors l’existence de cette protection.

De 2002 à 2011, Monsieur El Khalifa est employé par différentes sociétés d’intérim qui ont toutes un client final, la CAT (Compagnie d’Affrètement et de Transport). Pour démontrer la volonté délibérée de la société Renault d’une part, et de la société CAT d’autre part, de gérer le contrat de Monsieur El Khalifa dans la précarité, il est nécessaire de rappeler que Renault a créé la société CAT, Compagnie d’Affrètement et de Transport, dont elle était l’unique et principal associé dans les années 1960.

Au début de l’année 2001, la société Renault cède 80 % de sa filiale CAT au consortium dénommé Global Automotive Logistics (Albateam) réunissant alors l’armateur scandinave Wallenius Wilhelmsem, le groupe néerlandais TNT et le britannique Autologic. Cela étant, les accords qui sont passés à cette date entre la société Renault et les nouveaux actionnaires de son ancienne filiale visent à maintenir une forte activité au bénéfice de la société Renault : cette mention figure d’ailleurs dans l’extrait K Bis de la CAT.

On comprend à cette première étape de la description du processus la façon dont la société Renault se désengage des différents contrats de travail qu’il gérait en direct ou par l’intermédiaire de sa filiale CAT.

Monsieur El Khalifa va travailler au bénéfice de la CAT dans ces conditions à partir de 2002, mais il n’est pas salarié de la CAT et pas davantage de Renault. Il est mis à la disposition de la CAT par les sociétés d’intérim qui seront son cocontractant direct, c’est-à-dire son employeur direct, pendant 10 ans.

Puis la société Renault décide de changer de partenaire. Elle transfère à la société Vestalia une partie des activités qu’elle avait confiées en sous-traitance à la CAT ; Monsieur El Khalifa reste l’un des salariés dont la présence est considérée comme indispensable au maintien du service offert au bénéficiaire final de cette chaîne complexe, la société Renault Retail Group et il est finalement embauché en CDI par la société Vestalia le 22 juin 2008, soit 6 ans après le début de ses prestations au service du bénéficiaire réel et final de ses prestations : Renault. La société Vestalia aurait dû en

2008 reprendre la totalité de l’ancienneté de Monsieur El Khalifa, remontant à 6 années entières, ce qu’elle ne fait pas.

En 2016, la société Renault modifie sa politique de sous-traitance : elle cesse de travailler avec la société Vestalia et elle intègre Monsieur El Khalifa directement dans ses effectifs. Cela étant, on comprend qu’à cet instant, la situation ne convient pas à la société Renault qui gère les contrats de travail des salariés qui œuvrent directement ou indirectement pour elle dans une totale précarité. C’est la raison pour laquelle elle procède avec une extrême promptitude au licenciement de Monsieur El Khalifa.

Dans le cadre de la procédure prudhommale, Monsieur El Khalifa veut obtenir la requalification de son contrat de travail en démontrant qu’originellement il n’a été embauché ni par Renault ni par la CAT, mais qu’en réalité, il travaillait bien pour Renault, par l’intermédiaire de sa filiale devenue sous-traitant privilégié par obligation du contrat de cession, la CAT, et ce, depuis 14 ans lorsqu’il a été licencié. Il évoque la fraude à la loi comme moyen pour obtenir la requalification.

Le management de Renault Retail Group qui a inventé cette procédure complexe, et l’a suivie pendant 16 ans, use désormais de quelques astuces des lois nouvelles qui réduisent les périodes de prescription. Ainsi, il souligne que « la demande de requalification de Monsieur El Khalifa et les chefs de demande subséquents seraient donc irrecevables » (conclusions Renault page 5) parce que le délai de prescription de l’action prudhommale a été réduit de 5 ans à 2 ans par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.

Mis en application de l’adage fraus omnia corrumpti (la fraude corrompt tout), le juge du contrat de travail dira sans doute que le comportement de la société Renault ayant été frauduleux, et visant à porter atteinte aux intérêts d’un salarié qui en réalité est bien resté à la disposition du même utilisateur final, c’est-à-dire la société Renault devenue Renault Retail Group de 2002 à 2016 sans interruption, il doit être fait droit à ses demandes.

Mais il convient également de revenir à l’argument managérial pur qui est évoqué pour provoquer la rupture du contrat par RRG : les absences de Monsieur El Khalifa auraient désorganisé l’entreprise, comme s’il s’agissait d’une PME de moins de 10 salariés !

Certes, dans une PME de cette nature, l’argument aurait sa valeur, mais pas au sein de RRG qui évoque un arrêt du 19 octobre 2005, n° de pourvoi 06-46847 concernant non pas une entreprise de la taille de Renault Retail Group avec ses quelque 7.000 salariés, mais en l’occurrence le Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence… composé de moins de 10 personnes ! La seconde espèce, en date du 15 janvier 2014 n’est pas plus édifiante. En effet, dans cette affaire, la Cour explique que « l’absence pour maladie du salarié avait conduit l’employeur à confier temporairement à compter du 1er décembre 2008 les tâches de directeur à l’un des infirmiers de l’association, lequel avait finalement été recruté comme directeur à temps plein par contrat du 10 août 2009 et, d’autre part, qu’une infirmière avait été engagée, par contrat à durée indéterminée du 22 décembre 2009, pour pourvoir le poste laissé vacant par son collègue promu sur le poste de directeur. » La cour de cassation considère à juste titre, dans ces conditions spécifiques, que la cour d’appel qui « a caractérisé la nécessité du remplacement définitif à une date proche de licenciement, a légalement justifié sa décision ». Il convient de rappeler la différence notable qui existe entre le cas d’espèce traité par cet arrêt de 2014 et la situation de la société Renault Retail Group puisque là encore, l’association Point Alcool concernée par cette procédure compte moins de 10 salariés, et que le salarié dont l’indisposition occasionne une difficulté n’est pas un salarié d’exécution comme Monsieur El Khalifa, mais il s’agit du directeur de l’association.

Au terme de cette présentation, nous retiendrons principalement l’ingénierie mise en œuvre pour échapper à la LPE, son efficacité sur 14 ans au moins, et le fait qu’en réalité, la LPE a un effet négatif que la situation du salarié en générant sa précarisation sur le long terme.

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