• Aucun résultat trouvé

La postérité du texte : des commentateurs qui ignorent la problématique du coût du coût

LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL (IRP)

1.3. La postérité du texte : des commentateurs qui ignorent la problématique du coût du coût

Ainsi, le procureur général Jean Laroque, dont le rôle a été éminent dans la construction du système social français de l’après-guerre, consacre, en septembre 1984, au professeur Maurice Cohen, une longue introduction à la première édition de son nouvel ouvrage

Art. 23 : « La collaboration entre employeurs et salariés est obligatoirement organisée dans les établissements dont l’effectif est au moins égal à cent ouvriers ou employés, au sein de « comités sociaux d’établissements

» qui rassemblent le chef d’entreprise et des représentants de toutes les catégories du personnel ».

Art. 24 : « Les comités sociaux d’établissements réalisent au premier degré la collaboration sociale et professionnelle entre la direction et le personnel. Leurs attributions excluent toute immixtion dans la conduite et la gestion de l’entreprise et dans les questions débordant le cadre de cette entreprise ; sous ces réserves, elles s’exercent dans le sens le plus large, notamment en vue :

- d’aider la direction à résoudre toutes les questions relatives au travail et à la vie du personnel dans l’établissement ;

- de provoquer un échange d’informations mutuel sur toutes les questions intéressant la vie sociale du personnel et des familles ;

- de réaliser les mesures d’entraide sociale dans le cadre d’activité du comité social local correspondant.

Leur mode de fonctionnement est laissé à leur propre initiative. Ils sont placés sous l’autorité corporative et le contrôle du comité social local de la profession ».

113 René Belin (1898-1977). Militant au syndicat des agents des PTT, il suit Léon Jouhaux lors de la scission de 1922 et devient l’un des cadres principaux de la CGT en 1940, il rejoint le régime de Vichy et lui apporte la caution ouvriériste dont il a besoin. Ministre du travail du 14 juillet 1940 au 18avril 1942, il est des principaux rédacteurs de la charte du travail de 1941.

sur le droit des comités d’entreprise114. Il rappelle, tout d’abord, qu’il « y a un lien étroit entre le droit du travail et la situation économique et sociale. Ils évoluent ensemble.

Dans la période actuelle de crise et de chômage, bien des situations nouvelles sont devenues préoccupantes. Les électeurs ont aussi manifesté un désir de changement ».

Clairement, le haut magistrat se situe dans la droite ligne de l’élection présidentielle de 1981, rappelant ainsi la primauté du politique, et évoque la nouvelle ère juridique qui s’est ouverte à cet instant. Puis, il aborde la cause de la création du fonctionnement des IRP : « (…) les salariés peuvent avoir des propositions utiles à faire pour assurer la survie de leurs entreprises. Le législateur s’est préoccupé de l’expression de leurs opinions tant directement sur l’exécution de leur travail que par l’intermédiaire de leurs représentants sur leur fonctionnement et l’avenir des établissements où ils sont occupés ».

Après avoir souligné que, désormais, les comités d’entreprise doivent être informés et consultés avant toute décision importante et rappelé qu’ils ont désormais la possibilité de se faire assister d’experts tout en recevant une formation économique spécifique, le procureur général Laroque se félicite que la loi du 28 octobre 1982 qui a modifié le fonctionnement des IRP ait « élargi le domaine de leurs interventions, surtout au plan économique, (…) enfin donné des moyens nouveaux de fonctionnement ». Il poursuit en expliquant que « c’est la gravité de la crise économique et de la situation de l’emploi qui a incité les législateurs à élargir le rôle des salariés directement intéressés eux aussi à la bonne marche et à la sauvegarde de l’entreprise ». Si le chef d’entreprise conserve le pouvoir « qui est le corolaire nécessaire de sa responsabilité », il connaîtra désormais l’opinion des salariés qui vont pouvoir coopérer avec lui à la gestion. Il pourra donc en tenir compte et, souligne le haut magistrat, il sera également contrôlé.

Cette première préface, dont nous souhaitions rappeler les passages essentiels, est caractéristique du comportement institutionnel français, et au-delà, de la position de la haute administration et de la magistrature. Elle surprend cependant en ce qu’elle n’établit aucun rapport entre les prétentions de la partie salariée à la coopération à la gestion, et les conséquences naturelle de cette revendication, en particulier de la part

114 Maurice Cohen, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ 1984, préface de Jean Laroque, Procureur Général près de la cour de cassation (p. 35 et s.).

d’un juriste. En effet, toute action humaine suppose une conséquence potentielle en matière de responsabilité. Or le magistrat -et au-delà, l’auteur de l’ouvrage- n’envisage pas cet aspect. Pour le dirigeant et les actionnaires, l’erreur dans la gestion de l’entreprise conduit à une sanction radicale, la perte de valeur des participations, voire à la disparition du patrimoine, sans rémission ou compensation. Et comme nous l’avons déjà souligné, le jour fatal de la liquidation judiciaire, le dirigeant est seul face à la chambre des procédures collectives du tribunal de commerce. Il ressent pleinement cette responsabilité et la perte qui va s’ensuivre. Il est certes possible de rétorquer que la responsabilité potentielle des salariés en cas d’influence négative sur un acte de gestion (en l’occurrence la perspective d’une restructuration) s’encourt par la rupture de leur contrat de travail qui résulte mécaniquement de la liquidation judiciaire de l’entreprise, cette perte patrimoniale qui génère en outre une perte de revenus. Mais nous savons que la LPE assure à la fois l’indemnisation de la perte de patrimoine et assure pendant un temps déterminé une garantie de revenus. En conséquence, si la sanction de la responsabilité peut trouver application, elle est relative115, alors même qu’elle est radicale et définitive pour la firme, personne morale, le dirigeant et les associés. Cette problématique, comme celle du coût qui y est liée en partie, échappe totalement au procureur général Laroque.

Son opinion recoupe donc celle des dirigeants politiques de ces années 1981/1986 et, bien entendu, des centrales syndicales de salariés. Nous notons, sans surprise, qu’en dépit de ses 40 ans d’expérience (1945-1984) dans le domaine social, il reste en fait à la porte de l’entreprise. S’il envisage de traverser les ateliers et désormais la salle de réunion du comité d’entreprise, il ne franchit pas le huis du service de comptabilité et celui du bureau du directeur des affaires administratives et financières -ou du chef d’entreprise. Si l’adjectif « économique » est présent à trois reprises dans son texte, on n’y trouvera ni le mot « coût », qu’il soit affecté ou non au travail, ni l’expression « prix de revient ». Nous n’y décelons pas davantage la formule « micro-économie » ou

« rentabilité de l’exploitation ». Cette préface illustre ainsi le désintérêt exprimé pour la problématique économique qui sous-tend toute initiative entrepreneuriale et la

115 Nous ne mésestimons pas la problématique du licenciement des salariés de plus de 50 ans dans des zones économiques défavorisées, pour lesquelles la période de chômage peut dépasser les deux années.

responsabilité du chef d’entreprise. Ainsi, à l’heure où le livre de Maurice Cohen est mis sous presse, le projet de loi Badinter sur la réforme des procédures collectives est en débat. Le procureur général ne peut l’ignorer. Cependant, il n’en dit pas un mot, comme si l’exercice des droits des salariés était une sorte d’absolu politique dont la concrétisation était indispensable quelle que soit la problématique économique dans laquelle se situe l’entreprise. Dès lors, il ne fallait pas attendre de cette présentation une évocation de la problématique du coût de fonctionnement ou de gestion des IRP.

Nous nous projetons 20 ans plus tard : en 2002 les concurrents de Maurice Cohen, à savoir Michel Miné, Hubert Rose et Yves Struillou proposent la rédaction d’une préface à la seconde édition de leur ouvrage116 au président de la chambre sociale de la cour de cassation, Gérard Gelineau-Larrivet. Celui-ci se plie volontiers à l’exercice et vante les mérites des auteurs à travers une analyse des acquis jurisprudentiels des dernières années. Tout d’abord, il se félicite du renforcement de la protection des membres des IRP résultant de la décision du Conseil constitutionnel du 20 juillet 1988. Puis il stigmatise le management qui contrôle l’utilisation et le paiement des heures de délégation, développe des contentieux et procède à une discrimination syndicale qui est sous le contrôle de la cour de cassation. Il vante « la description et la mise en œuvre d’instruments juridiques destinés à défendre des personnes se dévouant pour autrui -de souligner l’utilité de cette jurisprudence judiciaire qui ajoute à la procédure administrative une protection complémentaire de nature à empêcher les pratiques, entraînant, à terme, l’érosion des vocations syndicales dans certaines entreprises »117. Le président honoraire de la cour de cassation reconnaît la complexité du système français résultant du mélange des compétences judiciaires et administratives (autre particularité hexagonale) et il admet que le contentieux du statut protecteur des représentants du personnel est à la fois complexe et « difficile à gouverner ». Mais il ne va pas au-delà, en abordant par exemple la problématique de la durée des contentieux et de leur répercussion sur le coût du travail. Il se félicite du travail de ses prédécesseurs, marqué par le fameux arrêt Perrier de 1974 et l’arrêt confirmatif de la cour de cassation du 5 mars 1996118. Tout ce travail lui semble justifié par « la sauvegarde d’une liberté

116 Michel Miné, Hubert Rose et Yves Struillou, Droit du licenciement des salariés protégés, 2ème édition 2002

117 Op. Cit. page 9.

118 Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 5 mars 1993 publié au bulletin N° 84.

publique essentielle, à savoir la protection et le fonctionnement des IRP » et ce n’est qu’au terme de sa préface qu’il aborde la problématique du coût mais, non pas sous l’angle du fonctionnement de la gestion des IRP, mais sous celui de la rupture irrégulière du contrat travail d’un salarié en mandat. Il note que « l’indemnisation de la méconnaissance du statut protecteur doit désormais se doubler de l’indemnisation du licenciement nul selon les règles posées par l’arrêt Renou » rendu par la cour de cassation le 27 juin 2000119 ». Il se satisfait de même du paiement d’une indemnité de douze mois concernant le licenciement d’un délégué syndical titulaire et termine son intervention en indiquant que l’inspecteur du travail a un rôle essentiel dans le fonctionnement des IRP.

Ce plaidoyer pro domo n’aurait pas été désavoué par le procureur général Laroque. À 20 ans d’intervalle, nous retrouvons, sous une forme différente, les mêmes conceptions, les mêmes idées et les mêmes exclusions. À aucun moment nous n’apercevons la mention de la problématique de l’entreprise et du management. Si le haut magistrat reconnaît du bout de la plume la complexité du fonctionnement, il n’en déduit pas une circonstance pour le dirigeant, pour les manageurs des PME qui n’ont qu’à se débrouiller ou payer. C’est d’ailleurs de cette façon que l’on pouvait résumer ce texte.

C’est donc sur le fond de cette lourdeur institutionnelle que nous avons travaillé à la problématique du coût de fonctionnement des IRP en ayant conscience que l’abord du sujet était iconoclaste, puisqu’il est assimilé comme étant une normalité du fonctionnement de l’entreprise – ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les pays d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Nord.

119 Arrêt cour de cassation, Chambre Sociale, arrêt Renou, 27 juin 2000, bulletin 5 N° 250. En l’occurrence, le licenciement d’un salarié considéré comme inapte par la médecine du travail est déclaré nul par les juridictions. Le salarié, licencié en 1994, perçoit des indemnités légales à hauteur de 186.718 francs pour 30 ans de carrière, et 220.000 Francs de dommages et intérêts. La cour de cassation considère que le salarié,

« victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L.122-14-4 du code du travail ; qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les textes susvisés ».

Outline

Documents relatifs