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Les hésitations face à la nécessité du changement

LA LPE ET LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE (1990-2017)

1. L’objectif du système : générer la complexité pour dissuader le management de licencier management de licencier

2.4. Les modifications du dispositif

2.4.4. Les hésitations face à la nécessité du changement

Nous avons évoqué la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, dont les effets sont en partie atténués par une loi postérieure de quasiment une année (3 janvier 2003) après la réélection de Jacques Chirac à la présidence de la république. En fait, le nouveau gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne s’engage pas dans une politique de franche rupture au regard de la période précédente. Pendant 18 mois, les partenaires sociaux vont discuter des évolutions envisageables. Le 18 janvier 2005, sera votée la loi dite de cohésion sociale qui modifiera à la marge les dispositions de l’article L.1233-21 du code du travail. Certes, désormais ce sont les accords d’entreprise, de groupe ou de branche qui peuvent fixer les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise dans la perspective des projets de licenciement économique d’au moins 10 salariés sur une période de 30 jours. Nous considérons globalement que ce texte ne modifie pas

92 Cour d’appel de Rennes, 28 juin 2017. SA France Télévision c/ Madame H. RG 14/07.158.

sensiblement l’esprit de la loi, les obligations du management confronté à la nécessité de procéder à des licenciements importants pour une raison économique. Si de nombreux auteurs se satisfont d’une première tentative d’inverser la hiérarchie des normes, dans la perspective qui est la nôtre d’analyse de la législation sur la protection de l’emploi, nous ne voyons pas un avantage concret au niveau de la durée des procédures préalables à la décision de licenciement économique, des obligations en matière de reclassement du personnel menacé par ces licenciements et globalement au niveau du coût du travail constitué par l’effectif excédentaire qui reste dans l’entreprise pendant la période durant laquelle la procédure fixée par les textes anciens doit se dérouler.

Au contraire, les recours aux experts du comité d’entreprise aux juges pour contester les plans sont toujours possibles et se développent pendant cette période jusqu’à ce jour dans des conditions similaires. Les défenseurs de la loi du 18 juillet 2005, dite Loi Borloo, feront valoir que la nouvelle rédaction de l’article L.122.14-4 alinéa 1er du code du travail, telle qu’elle résulte de l’article 77 de cette loi, constitue un avantage pour les entreprises. En effet, désormais, le juge a simplement la faculté de prononcer la nullité du licenciement pour motif économique qui ne respecte pas les conditions de garantie de procédure et de fondement, et ordonner la réintégration du salarié. D’autre part, lorsque la réintégration est devenue impossible, en raison en particulier de la fermeture pure et simple de l’établissement, le reclassement se résout en une indemnisation dont la loi indique cependant qu’elle ne peut être inférieure au montant des salaires des 12 derniers mois, soit à un an de salaire purement et simplement.

La modification de la loi ne nous semble pas constituer à cet égard une rupture fondamentale dans la logique de la législation sur la protection de l’emploi. La vérification du tableau de corrélation entre les pics de législation et le niveau du chômage n’est pas davantage de nature à indiquer que ce texte aurait eu un effet positif et mobilisateur à l’égard des entreprises. La sanction de 12 mois de rémunération dans le cadre de la garantie d’indemnisation particulièrement forte (les 12 mois viennent bien entendu s’ajouter aux indemnités de licenciement et de préavis) est de nature à perpétuer le doute des entreprises confrontées à des situations économiques difficiles.

Le point d’orgue est atteint avec la loi du 17 janvier 2002. Pour ce faire, le gouvernement recourt aux moyens classiques : il renforce les conditions de la procédure de licenciement, et aggrave la sanction du moindre manquement. Désormais, le licenciement économique ne peut intervenir que « lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés, et que le reclassement d’un intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe, ou sur un emploi équivalent ou à défaut et sous réserve de l’accord express du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise ». Bien entendu, les offres de reclassement doivent être écrites et précises…

Le gouvernement Jospin revient au régime de « l’employeur suspect » : suspect de sacrifier les emplois sur l’autel des profits exigés par les fonds de pensions américains ou autres, actionnaires des groupes multinationaux. Mais derrière les slogans, on doit mesurer l’ignorance de la réalité des PME qui génèrent une grande partie de l’emploi en France. Très souvent, le patron de PME ne licencie qu’à la dernière extrémité, lorsqu’il est souvent déjà trop tard pour revenir rapidement au niveau de rentabilité.

Licenciant dans l’urgence, il n’a plus le temps, ni sur le plan économique (car sa trésorerie est déjà exsangue), ni en termes d’investissement personnel, de s’attarder sur la procédure. Il commet alors la faute et est livré pieds et poings liés à la justice prudhommale qui le condamne sans pitié.

2.5. Conclusion

Devant la complexité d’un tel système et ses conséquences financières en cas de violation des textes, de nombreux dirigeants d’entreprise ont recours à la déclaration de cessation des paiements. En effet, lorsque la faillite de l’entreprise est déclarée (pour reprendre le vocabulaire ancien, présent dans tous les esprits), les choses deviennent soudainement plus faciles. La procédure est menée tambour battant par le mandataire de justice qui peut licencier en quelques jours sans s’inquiéter des dispositions préalables. Bien souvent, le redressement judiciaire (terminologie issue de la loi du 25 janvier 1985 concernant les procédures collectives) se termine par une liquidation judiciaire car l’employeur a attendu trop longtemps et s’est perdu dans les méandres des

procédures avant de choisir la seule solution possible93. Il convient de noter à ce sujet que l’arrivée à la tête des PME du bâtiment en particulier d’une nouvelle génération de dirigeants peu ou pas du tout formée à la gestion, dont l’expérience est essentiellement acquise au niveau familial dans d’autres pays européens, accentue actuellement le phénomène. Hors de capacité d’assimiler les finesses du droit social, ces nouveaux entrepreneurs préfèrent se séparer de l’entreprise et de ses salariés, pour reconstituer une nouvelle entité et relancer leur activité dans ces conditions. Dans les colloques sur le droit du travail, ce type de comportement est hautement critiqué. On évoque l’interdiction préalable de gérer une entreprise en cas d’absence de formation, la nécessité de l’obtention d’une sorte de permis de gestion… Mais l’on tend rarement une réflexion de fonds évoquant comme élément causal de cette situation une excessive complexité du droit, sans commune mesure avec son efficacité économique qui devrait être la création de l’emploi et non la préservation contre tout événement des emplois condamnés par la réalité économique, qu’elle soit structurelle ou conjoncturelle.

Pour illustrer notre raisonnement sur l’imaginaire politique où règne encore l’idée que le droit doit contraindre l’économie, nous avons choisi l’exemple de la contribution Delalande qui apparaît significatif à plusieurs niveaux. Nous étudierons les conditions de la création de cette contribution avant d’en examiner le contenu et d’envisager son effet sur la situation du chômage en France.

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