• Aucun résultat trouvé

L’effet de la complexité : l’insécurisation de l’entreprise

LA LPE ET LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE (1990-2017)

1. L’objectif du système : générer la complexité pour dissuader le management de licencier management de licencier

2.1. La phase préparatoire : le renforcement des garanties de procédure ôte au management la gestion du temps au management la gestion du temps

2.1.3. L’effet de la complexité : l’insécurisation de l’entreprise

Nous nous sommes écartés lors du paragraphe précédent de la logique de sanction dont nous avons souligné qu’elle sous-tend l’ensemble de la LPE, en particulier dans le cadre du processus de licenciement économique. Nous la retrouvons comme conséquence automatique de la complexité procédurale qui s’impose aux entreprises de plus de 50 salariés qui veulent procéder à des licenciements économiques collectifs.

Le cas s’est posé d’une entreprise qui devait licencier une quarantaine de salariés et qui était confrontée à deux obligations distinctes : celle de l’information et de la consultation du comité d’entreprise. Certes, l’obligation d’information repose sur l’article L.432-1 ancien du code du travail lorsque, par exemple, un établissement doit être fermé, alors que l’obligation de consultation du comité d’entreprise repose sur l’article L.321-3 ancien lorsque l’on envisage un licenciement collectif. L’entreprise, de toute évidence par facilité et sans doute pour gagner du temps, mais en ayant la certitude de respecter au plus près la loi, procède à la saisine du comité d’entreprise sur le seul fondement de l’article L.321-3 et L.327-1 du code du travail. Elle pense ainsi, en consultant le comité d’entreprise sur le projet de licenciement, l’informer pleinement sur son projet économique. Lorsque le contentieux parvient devant la cour de cassation, celle-ci explique que les deux obligations sont distinctes et qu’il ne peut y avoir de confusion

entre les deux. En conséquence, l’entreprise aurait dû informer, puis consulter dans le cadre de deux temps parfaitement distincts73. Le licenciement est annulé.

2.1.3.1. L’insécurisation, effet direct du contrôle du juge

Seconde observation, concernant toujours les entreprises de plus de 50 salariés auxquelles s’impose la mise au point d’un plan social. La nouvelle loi du 2 août 1989 définit les objectifs du plan, mais elle ne va pas jusqu’à définir le contenu de ce plan.

Comme nous l’avons souligné, la loi dite Aubry du 27 janvier 1993, qui renoue avec les principes fondamentaux de la législation sur la protection de l’emploi de 1975, légalise l’obligation de reclassement que conseillaient les avocats mais qui n’étaient jusqu’alors imposée que par la jurisprudence. Elle fait de la matérialisation du plan social un aspect incontournable de la procédure de licenciement pour motif économique, dont l’insuffisance ou l’inexistence génère la nullité du licenciement.

De cette façon, et l’on en revient cette fois-ci à la logique de la loi du 5 janvier 1975, l’administration retrouve un pouvoir d’appréciation sur la formalisation du licenciement économique. La loi Aubry, matérialisée par les articles 321-4 et 321-574 du code du travail tels qu’issus de la loi de 1993, fournit des indications sur le contenu du plan social mais n’impose pas en quelque sorte une check-list impérative. Cet aspect, qui dans un premier temps apparaissait libéral, était en fait une disposition éminemment perverse qui laisse la possibilité à l’administration ou au juge de considérer qu’il manque un aspect au plan présenté. Cette imprécision de la loi vise donc à insécuriser l’entreprise pour permettre aux salariés de recourir contre le plan social et les licenciements. Cette insécurité conçue comme un moyen se situe bien dans la logique de la législation sur la protection de l’emploi.

Le texte de la loi Aubry permettra des annulations largement médiatisées de plans sociaux, tels que celui de la Samaritaine, dans le cadre d’une décision rendue par la

73 Arrêt SIETAM avec commentaire du professeur Lyon-Caen, droit social, mai 1996, p. 488.

74 Article L.321-5 Quels que soient l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement et le nombre de salariés sur lequel porte le projet de licenciement pour motif économique, l'employeur qui envisage de prononcer un tel licenciement doit dégager, dans les limites des dispositions de l'article L.321-5-1, les moyens permettant la mise en œuvre des conventions mentionnées à l'article L.322-3.

Dans le cas visé à l'article L.321-4-1, l'employeur est tenu d'informer les salariés de leur possibilité de bénéficier de ces conventions et de les proposer aux salariés en faisant la demande. Dans tous les autres cas, l'employeur doit les proposer à chaque salarié concerné.

chambre sociale de la cour de cassation le 17 juin 1997 publié au bulletin V n° 111.

Dans cet arrêt, la cour de cassation estime le plan social insuffisant, alors que les juristes qui avaient assisté l’entreprise s’étaient montrés particulièrement circonspects au regard du texte de la loi nouvelle. La cour de cassation exige un plan de reclassement, qui était en l’occurrence produit, mais devant comprendre « les mesures précises et concrètes de nature à éviter les licenciements ou à en limiter le nombre ». Les premiers juges avaient considéré que le plan était insuffisamment précis, en ce qui concerne les catégories professionnelles qui étaient visées par le licenciement collectif, et ils estimaient également que les postes offerts n’étaient pas suffisamment détaillés pour donner une idée précise d’un « reclassement efficace ».

Dans une autre affaire75, la Cour évoque également ce qu’elle considère être comme l’insuffisance du plan social. Elle le critique parce que, selon elle, il ne comporte

« aucune indication sur le nombre et la nature des emplois qui pouvaient être proposés aux salariés à l’intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation du lieu d’exploitation, leur permettaient d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel »76. L’obligation de reclassement s’étend à l’ensemble du groupe. Ces deux arrêts, qui sont certes vieux aujourd’hui de vingt ans, permettent de démontrer les conditions dans lesquelles l’essence même du pouvoir de direction du chef d’entreprise est atteinte et la façon dont l’action du management est encadrée et sanctionnée avec la volonté clairement exprimée d’entraver le fonctionnement de l’entreprise.

2.1.3.2. l’affaire SAPEF De Lestapis : deux arrêts de la cour de cassation et huit ans de procédure

Nous avons été conduits à suivre de ces conflits jusqu’à leur terme, pendant une période pouvant aller jusqu’à 10 ans77. Dans l’affaire Société Africaine de Presse et d’Éditions Fusionnée (SAPEF) contre de Lestapis, le problème de la réintégration du journaliste salarié protégé licencié, dont le licenciement a été annulé se pose avec une particulière

75 Cass. Soc. 17 mai 1995, bulletin civil V, n ° 108.

76 La Cour vise évidemment l’article 321-4-1 issu de la loi Aubry, devenu aujourd’hui l’article L.1233-62 dans le cadre de la nouvelle numérotation.

77 Premier arrêt de la cour de cassation sur la première partie de l’affaire : Cass. Soc. 8 juillet 1997, M. de Lestapis C/ Société Africaine de Presse et d’Edition Fusionnée, bulletin civil V, n° 250, p. 181, analysé au droit social 1997 n° 990, observation G. Couturier.

acuité. La publication de la revue publiée par la société est supprimée et donc la réintégration du salarié dans sa fonction se révèle impossible.

Le journaliste a été engagé en 1968 pour occuper divers emplois à Douala (Cameroun) dans des revues éditées par la société SOCAPE depuis lors transformée et rachetée. Il a été nommé en 1977, à son retour en France, directeur de la publication de la SAPEF Paris, venant aux droits de la précédente. En 1986, il est rédacteur en chef et dans le même temps, très investi dans le syndicat des journalistes, il est successivement délégué du personnel et conseiller du salarié. En 1983, le journaliste s’oppose avec son employeur sur des conditions de rémunération. Des procédures sont engagées et la SAPEF prend acte de la rupture du contrat de travail de son salarié le 7 avril 1994.

Le salarié engage une nouvelle procédure pour obtenir sa réintégration dans une des sociétés du groupe auquel appartenait la SAPEF Paris dirigée par un sieur de Breteuil.

Le chef d’entreprise dirigeant de la SAFEP se trouve à la tête des autres sociétés au sein desquelles la réintégration est sollicitée par le journaliste qui obtient cette réintégration.

Mais la société se trouve placée en liquidation et le mandataire liquidateur licencie le salarié le 17 février 1997, en exécution d'une autorisation administrative régulièrement délivrée le 22 novembre 1996.

Le salarié conteste la décision de l’inspecteur du travail devant le tribunal administratif.

Dans le même temps, il poursuit son action prudhommale devant le juge civil mais par arrêt du 26 novembre 1998, la cour d'appel de Paris statuant sur la demande de réintégration dans le groupe, sursoit à statuer jusqu'à la solution donnée par la cour d'appel de Versailles dans le litige qui s'était ouvert en 1983 et qui avait connu une évolution parallèle à celui qui vient d'être décrit.

C’est la Cour civile de Versailles qui statue le 12 mai 1999. Elle constate que la société SAFEP Paris, dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif, n'avait plus d'activité au moment de la demande de réintégration du sieur de Lestapis, en sorte que la réintégration du salarié en son sein était impossible. La cour d'appel rejette également la demande du salarié tendant à sa réintégration au sein de l'une des sociétés du groupe de Breteuil et au paiement des salaires lui revenant depuis le 1er juillet 1994. Elle indique que l'unité de dirigeant ne suffit pas à donner à chacune des sociétés

la qualité d'employeur, que le salarié n'a pas collaboré à d'autres sociétés du groupe que la SOCAPE devenue SAPEF Paris, son ancien employeur et que l'article L.122-12 ne pouvait s'appliquer dans les rapports entre les sociétés SAFEP Paris et SAFEP Dakar devenue Amina international. La Cour de Versailles rejette la demande de réintégration.

Le salarié se pourvoit, et la cour de cassation casse l’arrêt de Versailles le 16 octobre 2001. Elle réaffirme que lorsqu'il existe un groupe de personnes morales ou physiques constitutif d'une seule entreprise, ce qui est le cas, en particulier lorsqu'une unité économique et sociale est reconnue, le périmètre de réintégration d'un salarié protégé s'étend à toutes les personnes juridiques constituant ce groupe. Le salarié estime qu’une unité économique et sociale a été reconnue entre les sociétés SAFEP Paris et SAFEP Dakar devenue Amina International et la cour de cassation estime que la cour d'appel devait vérifier si, nonobstant la mise en liquidation judiciaire de la société SAFEP Paris, l'existence du groupe qui avait été constitué entre cette société et la société SAFEP Dakar devenue Amina, n'obligeait pas celle-ci à réintégrer Monsieur de Lestapis. La cour de cassation considère que la cour d’appel devait prendre en considération l’existence du groupe et vérifier si le salarié pouvait être reclassé dans le groupe, ce qu’elle n’a pas fait. La cour de cassation casse et annule, mais seulement en ce qui concerne la réintégration, l'arrêt rendu le 12 mai 1999 par la cour d'appel de Versailles.

Elle renvoie devant la Cour de Lyon par cet arrêt du 16 octobre 2001 qui ne clôt donc pas le contentieux78.

2.2. L’intervention de l’État dans le périmètre du pouvoir de direction du

Outline

Documents relatifs