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Permettre aux salariés et à l’État de gérer la menace

LA LPE ET LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE (1990-2017)

1. L’objectif du système : générer la complexité pour dissuader le management de licencier management de licencier

1.3. Permettre aux salariés et à l’État de gérer la menace

Logiquement, les entreprises admettent les conséquences du fonctionnement de l’environnement institutionnel dans leur processus de décision. L’intégration de la sanction financière comme élément d’influence d’une décision de gestion, en l’occurrence le licenciement, atteste de la réussite apparente du système issu des lois de 1973 et de 1975. Nous précisons : réussite apparente car le but du législateur n’était initialement ni l’accroissement du patrimoine du salarié dans le cadre du processus de compensation -rupture du contrat de travail/ indemnisation- ni la faillite de l’entreprise.

Or il se trouve que la sanction financière et la menace de sanction vont toutes deux aboutir à ces fins initialement non prévues. Le seul objectif choisi, le maintien de l’emploi, sera globalement raté, étant précisé que le mécanisme privilégie le maintien de l’emploi tel qu’il est : il s’oppose à l’évolution de l’entreprise, élément consubstantiel à l’acte entrepreneurial, sans qu’il soit besoin d’évoquer à nouveau le concept schumpétérien de la destruction créatrice.

1.3.1. Lorsqu’André Gorz inspire Tiennot Grumbach et André Jeammeaud Nous soulignons ici l’aspect déraisonnable d’un texte dont le fondement-même est une illusion : la loi pourrait s’opposer au fonctionnement de l’économie, et qui plus est, de l’économie mondialisée. Si cette mondialisation n’est pas encore apparente aux yeux de tous en 1973, elle l’est évidemment en 1982 et plus tard encore en 2002 lors de la loi sur la modernisation sociale. En revanche, nous rappelons que l’inspiration de l’école française de droit du travail, qui soutient cette novation législative et l’enrichit au fil des années, repose quant à elle sur un substrat marxiste qu’évoque librement nombre de commentateurs. Lorsqu’en 1973 André Gorz, philosophe du travail, publie Critique de la division du travail66, ce livre a pour objet de rappeler que la division du travail, produit naturel de la « dictature des fabriques », c’est-à-dire des usines, vise à maintenir le

66 André Gorz, Critique de la division du travail, Seuil, 1973. Il s’agit d’un ouvrage collectif où le philosophe marxiste réunit plusieurs textes.

salarié sous la domination du chef d’entreprise en maîtrisant à la fois son temps et son revenu, dans la pure logique marxiste. Les éléments fondamentaux du Capital, livre premier, IVème partie, chapitre XII, sont d’ailleurs publiés en exergue. Et les auteurs réunis par André Gorz expliquent que l’ouvrier d’usine doit retrouver une liberté d’agir et de produire, à l’instar de ce qui existait en Grande Bretagne avant la révolution industrielle des années 1750, en France avant le code civil et en tous cas jusqu’au Second Empire.

Les auteurs reprochent au système capitaliste de production et aux chefs d’entreprise de priver le salarié de cette maîtrise du temps, sous un prétexte d’efficacité et de « profit ».

Nous notons à ce propos que les écrits de Gorz, que ce soit dans cette publication ou dans d’autres livres, n’abordent ni le coût du travail, ni la dégradation du profit pur de l’entrepreneur depuis la mise en œuvre de lois et d’obligations sociales au fil du temps, en France depuis globalement le début de la troisième République. Ainsi, nous soulignons que Gorz, l’école française de droit du travail et globalement les forces politiques de gauche considèrent comme naturel que la loi permette aux salariés, par l’intermédiaire de leurs syndicats de « reprendre du temps » aux entreprises. La terminologie n’est pas très élégante, mais elle est significative et elle exprime en quelque sorte la démarche inverse de celle de Taylor. La légitimité de cette « reprise de temps » est exprimée dans les lois successives qui vont de l’organisation de la procédure de licenciement individuelle, jusqu’à la mise en œuvre du plan social avec la possibilité des recours successifs et le blocage de l’opération prévue par la direction de l’entreprise telle qu’elle a été démontrée dans le dossier Goodyear. Contrairement à ce que soutiennent certains commentateurs, la gestion du temps telle qu’elle résulte des obligations de la loi n’est donc pas « innocente » : elle est consubstantielle au texte.

L’un des arguments développé de façon classique par les commentateurs favorables à la LPE est fondé sur le fait que de toutes façons, le contexte institutionnel global (juridique et judiciaire, comptable, fiscal) qui devrait empêcher les licenciements, ne peut les bloquer. Et ces commentateurs en concluent que la liberté de l’entrepreneur reste totale : il lui suffit de payer le prix prévu par la loi.

Énoncé de cette façon, au-delà de la reconnaissance implicite de l’objectif de la loi, le propos est cependant incomplet. Certes, sur le papier, le manager a toujours la capacité

de rompre les contrats de travail, s’il est décidé à affronter le prix de la rupture. Mais à ce stade, deux éléments restent dans l’ombre : la notion de menace, et la notion d’indétermination du prix, notion fondamentale dans le cadre de notre recherche.

1.3.2. La menace à l’encontre de l’entreprise

La menace à l’encontre de l’entreprise est constituée par l’existence même des textes et la volumineuse littérature à caractère répressif67 émise depuis les années 1975. Elle va bien au-delà de la seule jurisprudence de la cour de cassation. Cette menace est assurée par la certitude d’une pénalité financière dans le cadre du processus de licenciement, quelle que soit la situation donnée. Cette pénalité peut être immédiate et consentie par l’entreprise au moment de la décision de rompre (paiement des indemnités légales), mais elle peut être également différée dans le temps, de nature administrative (pénalité Delalande), pénale (sanction décidée par un tribunal correctionnel, à la fois de nature financière et personnelle) ou enfin prudhommale (décidée par les juridictions du travail).

Elle peut même être civile décidée par le tribunal de grande instance dans le cadre des contentieux de droit syndical.

Ces mêmes commentateurs déclarent sans barguiner que cet effet de menace est purement psychologique, ce qui sous-entend qu’il serait imaginaire et n’aurait donc aucune réalité concrète. Il s’agit d’une triple erreur. D’une part, l’effet de menace est bien réel et il a tendance à pétrifier l’entrepreneur au moment-même où celui-ci devrait prendre une décision essentielle à la sauvegarde de l’outil de travail. Ainsi, au mieux il retarde, au pire il bloque totalement la réactivité de l’entreprise et de cette façon, menace sa survie. Enfin, l’effet de menace est d’autant plus certain que la PME est confrontée à des IRP qui ont pour seul objectif non la permanence de cet outil de travail, mais la meilleure indemnisation des salariés dans le cadre de la disparition acceptée de l’entreprise. Certitude de la pénalité, complexité du processus, action retardataire des IRP puis des juges, civils ou prudhommaux, voilà autant de facteurs empêchant l’adaptation de l’entreprise à une nouvelle donne économique.

67 En ce sens, Jean Michel, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail, La Documentation française, 2004, sous l’égide du Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, déjà cité.

Lorsque l’entreprise dépasse le stade de la menace pour affronter la nécessité du licenciement, sa faute dans le processus est presque incontournable. Qu’il s’agisse des obligations imposées par les garanties de procédure, ou des obligations renforcées et imposées sur la garantie de fondement dans le cadre de la loi du 3 janvier 1975, la perversion du dispositif est telle qu’une erreur à l’une ou l’autre de ces phases est quasiment inévitable pour une PME. Ainsi, le dispositif légal mis en place joue totalement son rôle. Il retarde ou empêche le licenciement économique. Il conduit finalement à la perte de compétitivité de l’entreprise, éventuellement à sa liquidation et en conséquence à la destruction des emplois qui subsistaient après la décision de licenciement économique.

Certes, si l’argument est pleinement valable dans le monde de la TPE et de la PME, il l’est beaucoup moins dans le monde de la très grande entreprise où les directions des ressources humaines sont à la fois pléthoriques et hautement compétentes sur le plan technique. Elles peuvent donc préparer le dossier de licenciement pour rompre à tout moment n’importe quel contrat, monter des plans de sauvegarde de l’emploi préalables à des mesures massives en dépit de leur réelle complexité. Cela étant, même ces DRH, même assistées des meilleurs conseils, sont faillibles, ainsi que le prouve le nombre de décisions de justice qui mettent à néant des plans de sauvegarde de l’emploi. Ces jugements contraignent de grandes entreprises à reprendre l’intégralité du processus avec l’ensemble des conséquences au niveau du maintien d’un coût du travail largement supérieur à leurs besoins économiques stricts à ce moment.

En tout état de cause, pour en revenir au niveau de la PME qui est celui du cœur de notre recherche, le dispositif se concrétise par un niveau de coût insupportable. Le manager humaniste (nous ne parlons pas du cost-killer) attend déjà l’ultime instant pour prendre une décision de licenciement économique, tant il espère le retour de l’embellie et tant il craint de devoir se séparer d’un certain nombre de collaborateurs qu’il a formés et qui constituent une ressource précieuse pour l’entreprise. Mais comme nous l’avons dit, il craint aussi le risque d’erreur et celui de condamnation prudhommale. Contrairement à la vulgate, dans la plupart des PME, la décision de licenciement pour motif économique est prise trop tardivement, au regard de la nécessité objective imposée par la situation de l’entreprise. Nous démontrons ainsi que l’effet de menace de la législation sur la protection de l’emploi produit indiscutablement des effets sur le coût du travail. En

dissuadant le chef d’entreprise de rompre immédiatement les contrats alors même que la situation économique impose la modification de la structure de ses effectifs pour alléger ses coûts, il maintient ou augmente les coûts. En tous cas, il dégrade la compétitivité de l’entreprise.

Ce qui est vrai pour le licenciement classique, c’est-à-dire disciplinaire, l’est également pour le licenciement économique. Mais pour celui-ci, la contrainte des dispositifs législatif et réglementaire et le régime des pénalités sont multipliés. Ainsi, l’énoncé des dispositions occupe désormais près de quarante pages dans le code du travail sous la référence « Titre deuxième : emploi, chapitre premier : licenciement pour motif économique ». À cette connaissance parfaite du texte, il est évidemment nécessaire d’ajouter celle des règles de forme qui sont prévues à la « Section deux du chapitre deux : règles propres au contrat de travail : résiliation du contrat à durée indéterminée ». Elles sont rassemblées dans une centaine de pages assorties bien entendu de la jurisprudence nécessaire à la compréhension des spécificités de ces procédures ! Les lecteurs qui ne sont ni DRH ni avocat spécialisé en droit du travail peuvent s’abstenir, à moins qu’ils ne disposent d’une maîtrise en droit. Tant pis pour les menuisiers ou les restaurateurs formés sur le tas, les boulangers, les maçons ou autres dirigeants de PME de moins de onze salariés titulaires du CAP ou au mieux du bac.

Comment le chef d’entreprise dont la préoccupation principale est de rechercher le client pour pouvoir soutenir son effort de production, payer les salaires et l’investissement, aurait-il le temps d’apprendre par cœur tous les détails de la procédure, puis de la suivre à l’alinéa, ou au sous-alinéa près ?

Le texte du 3 janvier 1975 qui fixe le processus du licenciement économique devient la pierre angulaire de la LPE avec son corolaire, le texte sur l’indemnisation du chômage.

Cet aspect est évidemment fondamental dans le cadre de notre approche et c’est la raison pour laquelle nous lui consacrons un développement particulier au même titre que celui qui expose la contribution Delalande.

En effet, après le vote de la loi de 1973, de portée générale, ces deux textes de 1975 et de 1986 visent la protection de l’emploi face à la crise économique, et en particulier à 2. Les principes du licenciement économique, pierre angulaire de la LPE

la première crise du pétrole. Le texte qui institue la contribution Delalande renforce le dispositif existant pour tenter de protéger plus encore une population particulière : les salariés de plus de 50 ans que visent de façon privilégiée les licenciements économiques en particulier dans les grandes entreprises de la métallurgie, de l’industrie chimique, et dans une moindre mesure du bâtiment.

La loi du 3 juillet 1975 repose sur les mêmes garanties que celles instituées pour le licenciement individuel, c’est-à-dire la garantie de procédure, la garantie de cause et la garantie d’indemnisation. Nous reprendrons systématiquement l’examen de ces trois garanties dans la logique de notre démonstration en insistant sur les difficultés managériales qu’elles ont pour objet d’accumuler.

2.1. La phase préparatoire : le renforcement des garanties de procédure ôte

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