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Un quadrillage de l’espace et une vie rythmée par l’eau pour se protéger des inondations intérieures

MIS EN VALEUR

Chapitre 1. Topographie et géographie de la plaine maritime flamande

2. Un quadrillage de l’espace et une vie rythmée par l’eau pour se protéger des inondations intérieures

Se protéger des inondations des eaux intérieures a été rapidement, et est toujours, un des enjeux majeurs pour cette plaine dont les caractéristiques géographiques font sa vulnérabilité. « La Flandre, par opposition avec les pays voisins, c'est le pays bas, c'est le pays plat, c'est le pays humide. »16 : cette assertion de Blanchard résume ces circonstances qui font de la Flandre, et en particulier sa plaine maritime, un pays vulnérable aux inondations par les eaux intérieures. Ce pays bas, en contrebas de l’arrière-pays à l’altitude plus haute (des Monts des Flandres et de l’Audomarois par exemple) et protégé du cordon dunaire et des digues, reçoit logiquement les écoulements de ces régions, en partie par les rivières et cours d’eau comme l’Aa pour le territoire spécifique auquel on s’intéresse (la plaine maritime flamande française). Plat pays, la Flandre maritime ne connaît pas vraiment de pente et d’espace plus bas où les eaux peuvent s’écouler. Enfin, la terre de la plaine maritime flamande est très humide et saturée d’eau, et ne peut absorber les pluies et écoulements. Raoul Blanchard résume cet état de fait dans sa thèse:

Par sa situation de plaine basse étendue tout au long de la Flandre et la séparant de la mer, la région maritime reçoit toutes les eaux flamandes, sans compter celles que l’Aa et l’Escaut lui amènent des pays voisins. L’afflux est général ; il faut que tout passe là, s’écoule à la surface de ce sol sans pente. Il ne faut pas compter sur l’infiltration : cette terre est déjà saturée d’eau. L’épaisseur des sables pissarts, sous laquelle l’argile yprésienne étend son imperméable masse bleuâtre, est aussi liquide que solide ; l’eau douce qui y pénètre par les lacunes de l’argile poldérienne y est mêlée à l’eau de mer dont aucune cloison imperméable n’empêche la lente invasion. Tout ce qui tombe des nuages, tout ce qui descend de l’intérieur doit donc couler à la surface de la plaine.17

Les caractéristiques principales de la région sont donc : une plaine qui repose sur un banc d’argile compacte d’une grande puissance (argile yprésienne), une plaine souvent en

14 Voir par exemple les travaux de renforcement de la partie Ouest de la digue de Dunkerque en 2018-2019. 15 D. Tys, « The medieval embankment of coastal Flanders in context », art cit, p. 226‑228.

16 R. Blanchard, La Flandre, op. cit., p. 6. 17 Ibid., p. 264.

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dessous ou proche du niveau moyen de la mer, une nappe phréatique proche de la surface, un sous-sol essentiellement constitué de sable gris très fin (sable « pissart ») qui coule quand il est imbibé d’eau, et un sol qui a une très faible capacité de rétention. L’imperméabilité de la couche d’argile yprésienne a pour conséquence la présence de la nappe phréatique à un niveau proche du niveau du sol.

Ces caractéristiques détaillées par Gilbert Delaine expliquent en partie le soin particulier nécessaire pour préserver l’équilibre hydraulique de la région. Le réseau de fossés et de canaux répond à cette nécessité18. Ainsi, l’hiver et pendant les saisons pluvieuses, les fossés sont tenus au niveau le plus bas possible pour maintenir le profil hydraulique du sol très bas et pour accueillir les eaux de pluie qui ne s’infiltrent pas puis pour les évacuer. L’été, les canaux et fossés sont à l’inverse maintenus à un niveau très haut. Outre l’utilisation de ces eaux pour l’irrigation des cultures, cela permet de maintenir une couche d’eau douce dans la partie supérieure des sables pissarts et d’empêcher la remontée d’eau saumâtre à la surface (les conséquences pour les terres agricoles d’une remontée d’eaux en partie salées sont évidemment catastrophiques).19

A partir du 12e siècle environ, les habitants de la région se sont alors attachés à creuser, moderniser et entretenir un réseau d’évacuation des eaux intérieures. Cette entreprise a consisté à creuser sur tout le territoire des fossés (watergands) qui canalisent les écoulements d’eau. Ils sont reliés à des canaux et artères plus larges qui sont prolongés jusqu’aux « endroits où s’interrompt la ligne de dunes »20, pour rejeter à la mer les eaux intérieures. Afin d’éviter qu’à

marée haute la mer ne s’engouffre dans ces mêmes artères artificielles, des écluses de mer sont installées.

En France, ce réseau s’étend dans un « triangle » virtuel entre Calais, Saint-Omer, et la frontière belge au Nord-Est de Dunkerque (fig. 1). Il correspond à l’étalement de l’ancien estuaire de la rivière Aa. Cette entreprise a réellement débuté au 12e siècle, et a vu s’organiser les différents propriétaires des terres pour assurer leur desséchement.

Cela prit la forme d’associations de desséchements, appelées associations de wateringues, dans lesquelles des propriétaires voisins, sous une autorité supérieure (les comtes de Flandres aux débuts de ces associations), prennent en charge la construction et l’entretien de ces ouvrages d’asséchement pour cultiver les terres asséchées. Ces travaux sont financés par un impôt sur les wateringues, appelé geschot à ses débuts, proportionnellement payé suivant la

18 G. Delaine, Les waeteringues du Nord de la France, op. cit., p. 155. 19 Ibid., p. 155‑157.

47 superficie du terrain du propriétaire.21 On peut résumer brièvement l’organisation administrative de ces wateringues avec l’existence une Assemblée (plus ou moins ouverte selon les époques) à laquelle participent les propriétaires pour élire leurs administrateurs. Le droit de vote est plus ou moins important et ouvert selon les époques. Cette assemblée générale élit alors une commission administrative en charge de répartir les travaux et dépenses, plus généralement de prendre des décisions concernant l’association. Simplifiée, cette description correspond néanmoins à une organisation qui a certes été modifiée plusieurs fois mais reprend les mêmes fondements encore au 19e siècle.

L’entreprise d’asséchement de la région, qui résulte d’un équilibre entre les pouvoirs centraux, locaux et les associations de propriétaires, a perduré et mis sa marque sur le paysage : des espaces ruraux peu boisés, quadrillés par un réseau de fossés et canaux reliés par des écluses. Entre le 12e siècle et le 19e siècle, le desséchement de ces terres a perduré et s’est

modernisé progressivement. Certains fossés ont été comblés, d’autres canaux ont été creusés, élargis… Des cités portuaires sont nées aux endroits où le cordon dunaire laisse place à une digue et où les plus grandes artères viennent déverser les eaux intérieures dans la mer : Gravelines, Calais, Ostende, Dunkerque...

Évidemment, il ne s’agit pas d’un mouvement linéaire de contrôle de l’eau : l’entretien de ce réseau a pu être délaissé à certaines périodes et selon les endroits, avec le monopole pris par des acteurs extérieurs du territoire sur les associations de wateringues aux 15e et 16e siècles22 par exemple. Les autorités militaires, dont les intérêts différaient de ceux des populations locales dans le contexte de contestation de la région à l’époque moderne notamment, ont pu délaisser le réseau volontairement23 ou provoqué des inondations par but stratégique par exemple.

La plaine maritime flamande est donc constituée d’estuaires, protégés de la mer par un cordon dunaire et des digues et dont les eaux intérieures par un réseau d’asséchement pris en charge en partie par les propriétaires privés.

Concernant la plaine maritime flamande française, il faut s’intéresser à la transformation du bassin inférieur de l’Aa, une rivière qui débute dans l’Audomarois et se déverse principalement aujourd’hui au niveau de Gravelines. Son bassin s’étendait de Calais à Nieuport

21 T. Soens, « Threatened by the sea, condemned by man? », art cit, p. 102. 22 Ibid., p. 107.

23 R. Morera, « La gestion de l’eau en Calaisis. Pouvoirs civils et militaires face aux populations locales, fin du 17e- début du 18e siècle », art cit.

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(en Belgique). Tout ce territoire a été découpé en wateringues et mis hors d’eau, surtout à partir du 12e siècle. Gilbert Delaine a retracé les étapes de ce long processus.

La rivière Aa a d’abord été endiguée et canalisée pour qu’elle se déverse au niveau de Gravelines (avec mise en place d’une écluse), de telle manière qu’elle ne subisse plus le refoulement d’eau salée avec les marées. Ses divers affluents ont tous été canalisés, drainés et mis en réseau. La plupart des grandes artères du desséchement sont des anciens affluents de l’Aa, comme la Colme (qui rejoignait Dunkerque et Nieuport), devenue canaux de la Haute- Colme et Basse-Colme, ou encore le Haven Dyck (« fossé du port »), devenu canal de Bergues (de Bergues à Dunkerque)24 (fig. 7 et 10).

3. L’assèchement des Moëres en 1826 et l’organisation de l’assèchement global du

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