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Le changement de stratégie des propriétaires agricoles après

LE TEMPS DE L’INONDATION

Chapitre 10. Après l’inondation : une rupture dans la gestion de l’asséchement ?

4. Le changement de stratégie des propriétaires agricoles après

L’inondation peut modifier les pratiques des acteurs locaux directement concernés par celle-ci. La catastrophe peut notamment être un événement qui ouvre la place à une multiplication de pétitions et de réclamations de ceux-ci, qui cherchent à améliorer leur situation face aux inondations mais également demandent réparation par suite des dommages dont ils ont été victimes.

L’hiver 1880-1881 est en soi un cas exemplaire, agissant particulièrement dans les mémoires des acteurs qui y font référence les années qui suivent. Après cet hiver-là, on peut analyser surtout un changement de comportement et de stratégies dans la manière des administrateurs des wateringues de gérer le réseau d’assèchement et d’interagir avec les ingénieurs publics.

On a déjà montré comment la vigilance des représentants des propriétaires agricoles est accrue après cet événement, et comment ils s’assurent de l’exécution promise par le préfet de travaux dont les ingénieurs du port ont la charge exclusive. En se focalisant surtout ici sur la 4e

section des wateringues, nous pouvons analyser comment ses administrateurs ont changé de stratégie sur la mise à l’étude et l’exécution de travaux. Celle-ci consiste alors à se focaliser sur l’ouverture d’un véritable débouché à la mer à l’Est du port pour évacuer les eaux de leur section. Ils s’appuient notamment sur les déclarations du préfet et des ingénieurs qui, au cours de l’hiver 1880-1881 et notamment lors de la réunion du 28 décembre 1880, ont souligné que la seule vraie solution serait l’ouverture d’un exutoire efficace au réseau des wateringues indépendant de la navigation et que celle-ci dépendait alors des décisions des autorités municipales de Dunkerque, des autorités militaires et de travaux du service maritime.

Il s’agit tout d’abord de comprendre comment la 4e section fait valoir son incapacité à

exécuter des travaux seule après les inondations. Elle avance le fait que l’hiver a été catastrophique pour ses comptes et qu’elle n’a plus la capacité de faire autant de travaux ni même de rembourser intégralement ses anciennes dépenses dues à l’hiver à partir de ses fonds propres. Il s’agit alors de se tourner vers l’administration publique qui pourrait financer ses travaux ou autoriser l’ouverture de nouveaux crédits (puisque toute dépense ou modification du budget doit être validée par la préfecture). L’hiver 1881, la commission administrative de la section demande à la préfecture l’autorisation de contracter un emprunt de 25.000 francs pour rembourser les dépenses extraordinaires de l’hiver et faire ensuite les travaux d’entretien et de réparation rendus nécessaires par les inondations. Il s’agit alors surtout de remédier au trou

181 financier qu’ont représenté les manœuvres de la machine de Steendam pendant l’hiver, qui a été utilisée à un rythme plus important que prévu275. En juin 1881, la section cumule alors 29.875 francs de dettes alors qu’elle est toujours en train de rembourser son emprunt de 100.000 francs contracté en 1878 pour l’achat du terrain et la construction du barrage éclusé de Steendam276. Le rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique fait état de l’incapacité financière de la section à exécuter des travaux d’amélioration nécessaires pour « faire profiter tout le territoire de l’établissement de ladite machine, notamment le curement du canal de Coudekerque qui agit sur les terrains bas de Coudekerque et Hoymille. »277 et est en faveur de ce nouvel emprunt, qu’elle se voit autoriser quelques jours plus tard278.

Ces difficultés financières sont rappelées par la section régulièrement les années suivantes. Cette situation est alors surtout provoquée par l’investissement pour établir la machine hydraulique de Steendam entre 1878 et 1880 alourdi par les dépenses exceptionnelles de l’hiver 1880-1881. Se refusant régulièrement d’augmenter l’impôt des contributeurs, effort déjà demandé en 1878, la section fait alors appel à des financements extérieurs, emprunt ou encore subventions publiques. C’est sur cet argument qu’en Août 1883, la Société d’Agriculture de Dunkerque sous la présidence du même président de la 4e section Jules Delelis demande notamment à l’Etat d’attribuer des subventions pour financer les travaux projetés par les 4 sections279.

La section explique ses difficultés financières tout d’abord par les dégâts des inondations de l’hiver 1880-1881, dont elle considère les ingénieurs du service maritime comme principaux responsables. Les administrateurs des wateringues mettent en évidence l’utilisation anormale de la machine de Steendam pour pallier les déficiences des écoulements à la mer aux extrémités du réseau. En mars 1881, la commission administrative de la section réclame déjà des réparations financières aux ingénieurs du port pour cette raison, faisant valoir 16.000 francs de déficit dus au fonctionnement continu de la machine pour « suppléer au manque d'écoulement naturel dans les mortes eaux et dans les moments où les vents de Nord et

275 ADN, S8697, Procès-verbal des délibérations de la commission administrative de la 4e section des wateringues, 4/06/1881.

276 ADN, S8697, Procès-verbal des délibérations de la commission administrative de la 4e section des wateringues, 4/06/1881.

277 ADN, Rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique concernant les « dépenses extraordinaires occasionnées par les crues de l’hiver 1880-1881 », 2/09/1881

278 ADN, S8697, Lettre du préfet du Nord au sous-préfet de Dunkerque accompagnant son arrêté du 7/09/1881 autorisant à un nouvel emprunt de la part de la 4ème section des wateringues, 7/09/1881.

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Nord-Ouest maintiennent les eaux de la mer plus élevées que celles du canal des Moëres. »280 et à l’impossibilité d’écouler correctement par le canal de la Cunette encombré.

Cette affaire fait l’objet des procédures judiciaires intentées par la 4e section et surtout

par la famille de Stanislas de Meezemaker, successeur de Jules Delelis à la présidence de la section de 1866 à 1903281. La commission administrative cherche notamment à prouver les droits que les wateringues ont sur le canal de la Cunette pour faire reconnaître l’illégalité des manœuvres du port dans celui-ci et la responsabilité de ses ingénieurs concernant son mauvais état en 1880. La session de la commission administrative du 18 aout 1883 fait état d’un travail de recherche d’archives de ses membres en ce sens. Cette rétrospective montre que ce sont les propriétaires qui ont payé (par un impôt notamment) une partie des travaux de recreusement de la Cunette entre 1810 et 1820282. Ils s’appuient notamment sur un décret du 29 novembre 1810 qui fixerait les engagements de l’Etat vis-à-vis de ces propriétaires payeurs. Ils accusent les ingénieurs du port de ne pas les avoir respectés à partir de 1867 en ayant exécuté des chasses dans ce canal qui auraient provoqué la chute de l’écluse Magloire, réduisant le débouché maritime du canal des Moëres. Les ingénieurs du port réfutent constamment ces arguments, niant avoir réalisé des chasses dans le canal de la Cunette. Le verdict du procès des de Meezemaker quelques décennies plus tard donne finalement raison aux arguments des agriculteurs concernant les chasses.

Les administrateurs de la section s’appuient alors sur ces arguments pour demander un remboursement des dommages depuis 1880. En mars 1883, ils veulent un dédommagement d’un million de francs pour les travaux et manœuvres exceptionnels faits par la section pour contenir les eaux à cause du mauvais état de la Cunette, et de cent-mille francs pour rembourser les dommages directs causés des inondations par le rétrécissement du plafond de la Cunette selon eux. Lors des inondations de 1894, la commission administrative exige toujours des réparations financières de l’Etat pour les coûts exceptionnels des manœuvres de l’hiver 1880- 1881283.

Il est intéressant de noter comment ces acteurs se concentrent sur cet événement et non sur d’autres inondations passées. La demande de 1883 de réparations aborde ce sujet : les

280 AMDK, 5S629, Extrait des délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues, 19/03/1881.

281 ADN, 5S811, Livret dressé par le conducteur spécial de la 4e section des wateringues Smagghe, 1925. 282 ADN, S8697 Extrait des délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues, 18/08/1883.

283 AN, F/10/5861, Extrait des délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues, 17/11/1894.

183 administrateurs de la section reconnaissent que les conséquences des inondations précédentes, comme en 1867 et 1872, ne seraient pas du fait des aménagements au port. Ils estiment que c’est dû à l’insuffisance de la partie du réseau dont ils ont la charge, et s’attribuent ainsi une partie de leur responsabilité directe. L’achèvement de la machine hydraulique en 1880 viendrait alors changer la donne. Les administrateurs estiment que cet investissement résout la plupart des déficiences du réseau des wateringues, et que s’il y a des difficultés à écouler l’eau à l’avenir, il en adviendrait de la responsabilité de l’état des débouchés du réseau au niveau du port, et donc des ingénieurs du service maritime284.

Ce changement de stratégie consiste alors à avancer que des travaux à l’échelle de la section n’ont plus aucun impact tant qu’il n’y a pas d’amélioration significative dans les aménagements au niveau du port. L’enjeu est alors d’offrir à la section et à la machine de Steendam un véritable débouché. Ce discours s’appuie notamment sur les résultats de la réunion du 28 décembre 1880, mais encore sur la loi du 31/07/1879 d’aménagement du port qui reconnaît la nécessité d’offrir au canal des Moëres un nouveau débouché indépendant en le faisant communiquer avec les fossés Est de Dunkerque par un siphon sous le canal de Furnes. C’est là la demande principale adressée et martelée auprès du préfet et des ingénieurs pendant près de vingt ans : « la prompte ouverture d’un débouché à la mer pour empêcher le retour des inondations qui se sont produites pendant l’hiver 1880-1881. »285

La section appuie ses demandes par le fait qu’elle a déjà beaucoup investi dans l’amélioration des wateringues, avec comme point d’orgue la machine de Steendam, mais que beaucoup de ses travaux voient leurs résultats amoindris par l’absence de débouché. Elle s’oppose alors rapidement à l’octroi de subventions de l’Etat pour exécuter de nouveaux travaux qui seraient selon elle inutiles, mais demande à la place des réparations financières pour le manquement des ingénieurs du service maritime qui rendraient leurs efforts inutiles. Ce refus d’octroi de subventions se comprend également par une certaine volonté des administrateurs des wateringues de garder une autonomie financière et le caractère privé des travaux que la section effectue. En novembre 1894, ses administrateurs ajoutent même aux demandes de réparation financière et d’ouverture d’un nouvel exutoire à Dunkerque une menace de ne même

284 ADN, S8697, Extrait des délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues, 18/08/1883.

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plus faire aucun investissement dans l’amélioration du réseau à leur échelle s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent286.

On assiste donc à un changement de stratégie de la part des administrateurs de la 4e section après l’achèvement de la machine hydraulique de Steendam en 1880 et les inondations de 1880-1881. Ceux-ci veulent obtenir des réparations financières en essayant de prouver la responsabilité du port dans l’aggravation des inondations à cette période. Ils essayent alors surtout de faire pression sur le préfet pour obtenir l’exécution de travaux d’ouverture d’un nouvel exutoire à leurs eaux écoulées qui deviennent alors leur priorité. Ils avancent leur volonté de ne pas engager de nouvelles dépenses importantes, sûrement motivée par les dettes accumulées avec les dépenses de 1878 à 1881, en conditionnant l’amélioration du système d’écoulement à des travaux effectués aux frais de l’administration publique et sous la direction des ingénieurs du service maritime au port de Dunkerque.

286 AN, F/10/5861, Extrait des délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues, 17/11/1894.

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