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Le développement commercial puis industriel du port au détriment des intérêts du desséchement ?

LA GESTION DE L’ÉCOULEMENT DES EAUX : UNE FORME PARTICULIÈRE DE POUVOIR

Chapitre 6. Intérêts d’assèchements et autres intérêts : mobiliser et interpeller

1. Le développement commercial puis industriel du port au détriment des intérêts du desséchement ?

Pendant la deuxième moitié du 19e siècle, le port de Dunkerque connaît un développement économique impressionnant surtout grâce au trafic commercial. Ce dernier fixe un regard tout particulier des gouvernements nationaux et des élus et experts locaux sur les capacités du port à accueillir ces flux (extension du port) et sur la manière dont on peut écouler et alimenter des marchandises, c’est-à-dire surtout le chemin de fer et la navigation sur canaux ou fleuves.

On l’a déjà vu, la navigation sur les canaux autour de Dunkerque et le trafic des navires dans le port dépendent aussi du fonctionnement des wateringues, puisque la plupart des canaux d’assèchement et de navigation communiquent entre eux ou sont indifférenciés, et que les eaux intérieures sont déversées à la mer par des écluses dans le port. Alors que l’économie de la Flandre maritime (et de la France en général) reposait essentiellement sur l’exploitation des terres cultivées avant l’industrialisation, une attention toute particulière est mise au 19e siècle à

améliorer et entretenir le réseau des wateringues sous la surveillance du service hydraulique des Ponts et Chaussées. Seulement, nous devons essayer de comprendre si le développement commercial et industriel surtout polarisé par le port de Dunkerque n’influence pas sur la hiérarchisation des intérêts et travaux sur lesquels se focalisent l’Etat et son administration déconcentrée dans le périmètre autour de Dunkerque.

Les manœuvres des écluses des canaux principaux, effectuées par les ingénieurs du service maritime, sont conditionnées par cet impératif de conciliation entre dessèchement et navigation. On a retrouvé des ordres de l’ingénieur en chef du département à l’ingénieur en chef

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du service maritime Plocq de faire cesser l’écoulement des eaux entre 1869 et 1870, ou bien des consignes de ce dernier aux ingénieurs ordinaires de son service. On voit par exemple l’ingénieur en chef du département ordonner l’arrêt des tirages à la mer « pendant une marée » pour laisser la circulation d’une trentaine de bateaux arrêtés depuis plusieurs jours. On comprend qu’on doit être en période pluvieuse, et que les tirages à la mer sont par conséquent très fréquents. Seulement, le blocage des bateaux par ces manœuvres nécessite un arrêt de celles-ci, motivé par la fin des pluies, sous l’ordre de l’ingénieur en chef.76

L’absence de plan d’eau stable ne permet en effet pas aux bateaux de naviguer, sans compter les manœuvres des écluses comme celles du sas octogonal qui interrompent la navigation. Le système habituel mis en place consiste surtout à effectuer des tirages à la mer au début de l’hiver en prévision des pluies, pour abaisser le plan d’eau général et éviter de faire à chaque marée basse un tirage systématique.

On dispose d’une note de l’ingénieur Plocq qui détaille les opérations début janvier 1869, indiquant vouloir profiter de la période des « mortes eaux » (périodes de l’année où la marée est très basse) pour faire ces opérations. Les tirages exceptionnels en cas de crues doivent alors être régulés pour concilier la navigation et l’asséchement. Cet hiver-là, il propose d’interrompre la navigation et de faire des tirages à marée basse un jour sur deux77.

L’intérêt accentué pour la navigation se retrouve également dans les décrets successifs visant à règlementer les prises d’eau sur les canaux qui sont navigables du bassin de l’Aa. Le règlement de police adopté le 25 octobre 1822 normalise déjà les prises d’eau et décharges des fossés et watergands des quatre sections du Nord qui se déversent dans les canaux de navigation et codifie leurs dimensions. Il y a toute une série de textes visant à assurer une régularité du niveau du plan d’eau de ces canaux, en régulant les prises d’eau et déversements notamment qui sont adoptés dans la deuxième moitié du 20e siècle.

Des règlements sont pris en 1855 et 1856 et sont mis à jour en 1886 pour contrôler les prises d’eau dans l’Aa qui doivent être soumises à l’approbation du service des voies navigables. De la même manière, l’arrêté préfectoral du 20 janvier 1877 détermine le niveau auquel doit être gardé l’Aa au niveau du port de Gravelines pour assurer la navigation ; il est spécifié que ce niveau « peut varier […] en raison de l’abondance ou de la pénurie des eaux et

76 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du département du Nord à l’ingénieur en chef du service maritime Plocq, le 10/04/1869.

77 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Plocq à l’ingénieur du service maritime Guillain, 04/01/1869.

111 aussi de l’état de la marée, de manière à satisfaire aux besoins du dessèchement et de l’irrigation »78.Un règlement de 1899 pour les deux départements de la région détermine les

cotes auxquelles doit être maintenue l’Aa et détaille les procédures d’autorisations d’utilisation de son eau par les agriculteurs pour l’irrigation notamment79. On comprend alors que ces divers textes tendent à réguler le plan d’eau général du bassin de l’Aa et donc du réseau de wateringues, pour améliorer les conditions de navigation sur l’Aa et les canaux de navigation qui l’alimentent (fig. 9).

La situation à l’hiver 1880-1881 permet de comprendre plus en détails les enjeux lors de crues prolongées. Une réunion d’urgence est tenue le 28/12/1880 entre le maire de Dunkerque, le sous-préfet de Dunkerque, le préfet du Nord, les ingénieurs des trois services des Ponts et Chaussées concernés et les présidents des quatre sections de wateringues du département80. Elle consiste à chercher des solutions aux inondations répétées depuis novembre

1880 qui mettent surtout les propriétaires de la 4e section sous l’eau. Le président de la 4e section

demande qu’on puisse écouler les eaux du canal des Moëres par le canal de Jonction (puis dans les fortifications Ouest, comme c’est le cas pour les eaux du canal de Bergues), c’est-à-dire le canal à l’Ouest du port qui relie le port au sas octogonal pour la navigation vers le canal de Furnes notamment.

L’ingénieur du service hydraulique tente de soutenir cette demande en précisant les conditions à respecter (que le niveau du canal soit plus bas notamment), tandis que l’ingénieur du service maritime s’y oppose tout d’abord, en mettant dans la balance les intérêts du « commerce ». Sans représenter celui-ci comme le défenseur des uniques intérêts du port, rôle que lui attribue le président de la 4e section, il faut analyser comment il « concilie » les deux enjeux, assèchement et navigation. L’ingénieur en question parle plusieurs fois de « balancer » les deux intérêts, et veut s’assurer notamment que l’évacuation par ce canal ne causerait pas plus de dégâts aux ouvrages du port et à sa situation qu’il n’en existe pour l’agriculture. Même si finalement le préfet soutient l’application de cette mesure urgente appliquée du 9 au 11 janvier 188181, il faut surtout comprendre pour l’instant que les autorités en place ne semblent pas, dans le discours en tout cas, accorder de priorité à la navigation ou à l’agriculture.

Il s’agirait tout de même de questionner les précautions omniprésentes pour « [tenir compte] toutefois des intérêts du commerce » comme le dit le préfet face à des inondations qui

78 AMDK, 5S629, Arrêté préfectoral du 20/01/1877 sur le niveau de la retenue de l’Aa. 79 G. Delaine, Les waeteringues du Nord de la France, op. cit., p. 166.

80 AMDK, 5S629, Procès-verbal de la réunion tenue le 28 décembre 1880 à la sous-préfecture de Dunkerque. 81 AMDK, 5S629, Rapport de l’ingénieur en chef du service hydraulique Doniol sur les travaux nécessaires pour améliorer le dessèchement après les inondations de l’hiver 1880-1881, 15/04/1881.

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durent déjà depuis plusieurs semaines. Une des principales solutions évoquées à plusieurs reprises dès cette réunion est l’ouverture d’un débouché à la mer direct pour le canal des Moëres (réalisé en 1905 comme on l’a vu) pour aller vers une indépendance de l’asséchement et de la navigation.

L’examen des discussions internes de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes questionne cette égalité d’intérêts dont il se veut le garant. Alerté le 20 décembre par la chambre de commerce du port de Dunkerque inquiète par l’autorisation donnée par le préfet d’évacuer les eaux par le port, l’ingénieur fait un long rapport à celui-ci pour le dissuader de prendre cette dissuasion. Il s’oppose aux demandes de la 4e section en affirmant notamment

que l’Etat ne doit pas prendre la responsabilité de risquer des dégâts sur le port et les navires en faisant cette opération. Il présente les inondations comme une situation certes déplorable, mais face à laquelle il vaut mieux éviter d’agir pour les raisons précédentes : « Lorsque l'inondation est un fait accompli, le mal est accompli, et, si on doit le déplorer, on ne doit pas l'augmenter en sacrifiant les intérêts du commerce maritime sans profit pour ceux de l'agriculture ». Ce discours de laissez-faire qui tend à nier les besoins que la section a fait remonter à l’ingénieur du service hydraulique peut étonner quand elle est comparée à la promptitude et la croyance qu’ont pu avoir surtout au 19e les ingénieurs des Ponts et Chaussées sur leur capacité à

transformer voire « dominer » le milieu et la « nature des choses »82.

Sans pouvoir affirmer que le développement du trafic commercial a été privilégié aux dépens des intérêts agricoles encore vulnérables à des crues, il faut rendre compte de l’existence de ce débat notamment porté par les sections de wateringues, surtout après l’hiver 1880-1881. Les propriétaires ont pu soutenir un discours critique et revendicatif face à cette situation présumée, potentiellement accentuée par le retard pris dans la mise en projet de travaux censés résoudre le dilemme entre assèchement et navigation et améliorer véritablement la situation de la 4e section des wateringues, qu’est le nouveau débouché à la mer indépendant à l’Est de la ville, provisoirement mis en place en 1905 et vraiment mis en place à partir de 1929 parallèlement à la destruction des remparts.

82 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au préfet du Nord, le 21/12/1880.

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2. Interpeller les pouvoirs publics pour défendre les intérêts de l’association de

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