• Aucun résultat trouvé

Une certaine autonomie dans les opérations de dessèchement, la gestion financière, les rendements agricoles

LA GESTION DE L’ÉCOULEMENT DES EAUX : UNE FORME PARTICULIÈRE DE POUVOIR

Chapitre 4. Une gestion quotidienne autonome sous la surveillance des ingénieurs

3. Une certaine autonomie dans les opérations de dessèchement, la gestion financière, les rendements agricoles

Au bout de l’échelle décisionnaire, comme un dernier maillon assurant lui-aussi la continuité de l’Etat, les associations de wateringues fonctionnent également sur les mêmes principes de procédures et routines bureaucratiques. Notre hypothèse est ici que, les associations de propriétaires, même si elles semblent à première vue de l’ordre de l’intérêt privé, sont elles-mêmes un pouvoir territorial, puisqu’elles ont notamment une forme d’autorité publique15 sur leurs administrés et font usage des procédures bureaucratiques classiques d’un Etat.

L’exploration des comptes de gestion annuelle de la 4e section des wateringues

disponibles pour quasiment toute la seconde moitié du 19e siècle permet de rendre compte du

fonctionnement interne de ces associations. Les procédures sont sensiblement les mêmes de 1852 à la fin du siècle. Les différents documents de comptes annuels utilisés par la section pour ses procédures sont tout d’abord des imprimés destinés à l’usage des municipalités ; l’adaptation de ces imprimés officiels pour l’usage de ces associations particulières est déjà intéressante pour comprendre le rôle qu’on leur donne et leurs actions, d’administration d’une certaine manière les propriétaires de la section et d’aménager l’environnement pour ceux-ci.

Les dossiers du receveur de la section, archivés dans leur intégralité entre 1870 à 1873 permettent de rendre compte des procédures multiples. Le receveur, ou percepteur, nommé par le préfet sur une liste proposée par la commission administrative, tient un livre de comptabilité où il recense toutes les dépenses et recettes. Il se charge par exemple de lever les impôts auprès de chaque propriétaire de la section, suivant la répartition proposée au début de l’année par la commission administrative et validée par le préfet. Il acquitte également toutes les dépenses de dessèchement avec des mandats de paiement délivrés par le président de la section et conservés précieusement chaque année16. Systématiquement, au début de chaque année, la commission administrative monte un budget, qui détaille les recettes et dépenses prévues pour l’année avec notamment le nom de l’entrepreneur en charge des travaux. Les projets de travaux sont faits par

14 Ibid.

15 L. Coumel, R. Morera et A. Vrignon (eds.), Pouvoirs et environnement, op. cit., p. 7. 16 ADN, S8680, Nouveau règlement organique des Wateringues, 29/01/1852

87 le conducteur de la section. Ce budget est transmis soumis à l’approbation ou non de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique, qui donne son avis et modifie s’il le souhaite. De même, les conseils municipaux des communes de la section sont invités à donner leurs avis sur le projet de budget. Il est ensuite transmis au préfet et soumis à approbation. A la fin de l’année, la section transmet les résultats finaux, avec les pièces justificatives des dépenses et revenus (certificats de travaux rédigés par le conducteur, mandats de paiement de crédits, achat de biens…) rassemblées par le percepteur. L’ingénieur hydraulique et le conducteur de la section s’assurent de la conformité de ces travaux (vérification de terrain et examen des dossiers du receveur) avant de le valider ou de demander des précisions. Il est ensuite approuvé par le préfet17.

A première vue, on pourrait penser que les sections de wateringues sont juste un niveau d’échelle supplémentaire de l’Etat, dont les agents sont soumis à la surveillance et à l’évaluation constante. Le « contrôle bureaucratique »18 est clairement instauré dans le règlement de 1852 :

les procédures concernant les budgets, les travaux, sont soumises au contrôle des ingénieurs et de la préfecture, les percepteurs et conducteurs sont nommés par ceux-ci, ou encore chacune de ces procédures sont soumises à l’organisation de réunions de la commission administrative dont le lieu et la date limite sont imposés. L’article 26 du règlement stipule également que toutes les réunions de la commission administrative en dehors de ces procédures doivent être signalées en sous-préfecture au préalable, et que les délibérations qui y sont prises ne peuvent être appliquées qu’après autorisation préfectorale. L’analyse détaillée des comptes permet de relativiser cette première impression et de souligner l’autonomie et la capacité d’action étendue d’une section de wateringues. On peut également mesurer le poids budgétaire des diverses dépenses et recettes, et voir s’il y a une évolution sensible sur 40 ans.

En 1852, la 4e section déclare avoir obtenu 46 290,31 francs de recettes, auxquelles s’ajoutent les 17 816,14 francs de l’excédent de l’année précédente, et dépensé 53 673,98 francs19. On assiste déjà à des modifications de la préfecture sur le détail de certaines dépenses, notamment celles qui concernent l’entretien des fossés et ouvrages. Le préfet réclame des pièces justificatives « régulières et suffisantes » pour celles-ci. . Les comptes de gestion annuelle de 1854 sont similaires : elle déclare 45 943,31 francs de recettes, plus 10 514,20 francs d’excédent de l’année précédente20. Les cotisations payées par les propriétaires de la section

17 ADN, S8699, Comptes de gestion annuelle de la 4e section, 1870 à 1873. 18 P. Bourdieu, O. Christin et P.-E. Will, « Sur la science de l’État », art cit, p. 8. 19 ADN, S8652, Comptes de gestion annuelle de la 4e section, 1852.

88

forment la source principale de recettes de la section, près de 45 000 francs ; s’y ajoutent quelques centaines de francs pour la location de canaux et watergands et la vente de terrains. On observe 31 555,91 francs de dépenses, dont 930,18 de remboursements de crédits. Les paiements sont multiples et concernent par exemple les rémunérations du conducteur, du garde, du secrétaire, du cantonnier, des éclusiers. Ils concernent aussi les frais de fonctionnement de la section (entretien du local, habillement du garde) et surtout des travaux (3700 francs d’ouvrages d’art, entretien des chemins, 1542,40 francs pour le recreusement d’une partie du canal des glaises, curements et faucardements…). La section fait à la fin de l’année 24 901,6 francs d’excédent. En 1862, la section bénéficie d’un excédent de 56654,46 francs issu de l’année précédente. Elle bénéficie de 36293,89 francs de recettes (environ 34 000 de cotisations, 500 pour la location de pêche, 1200 francs d’intérêts sur des fonds placés en 1860, et 170 francs de cotisations d’années d’avant payées en retard). Elle dépense 32671,18 francs, dont 7479,59 francs de dépenses extraordinaires21. Les sections bénéficient d’un certain confort financier

apparent, puisqu’elles arrivent chaque année à rembourser leurs frais et à avoir un excédent qui se répercute l’année suivante. Elles se permettent même de placer des fonds pour bénéficier d’intérêts. La plupart des sommes d’excédent semblent surtout être conservées pour des travaux extraordinaires, ou bien pour des travaux imprévus en cas d’urgence.

Les comptes de 188022 permettent de rendre compte de la constance dans les sommes perçues, avec toujours une prépondérance des cotisations (41109,71 francs de recette prévues). Sur les 40740 francs de dépenses prévues, 29886 font l’objet d’examen des ingénieurs : « en dehors des frais d’administration, de perception, traitements, contingents dans l’entretien des chemins d’intérêt commun, intérêts d’emprunts etc qui échappent à notre contrôle, le projet de budget présenté ne comprend que les dépenses suivantes, qui sont applicables aux travaux de dessèchements proprement dits […]. ».

L’administration technique laisse une autonomie de gestion financière de l’association pour tout ce qui ne concerne pas les travaux d’assèchement directement, de la même manière que le montant des cotisations ne fait pas l’objet de correction importante. L’ingénieur ordinaire contrôle et justifie dans son rapport les travaux projetés et dépenses qui y sont liées, qui, rappelons-le, ont été dressés par le conducteur des Ponts et Chaussées de la section en interaction constante avec lui : il s’agit de travaux de faucardement (3000 francs), curement (5300 francs), entretien des ouvrages d’art (3000 francs), salaires du garde et des éclusiers (2086

21 ADN, S8652, Comptes de gestion annuelle de la 4e section, 1862.

22 ADN, S8697, Rapport de l’ingénieur ordinaire sur le projet de budget pour 1880 de la 4e section des wateringues, 25/04/1880.

89 francs), achat de terrains et travaux d’établissement des bâtiments de la machine de Steendam (9000 francs), salaires du mécanicien et deux chauffeurs à sa manœuvre (6000 francs) et de 1500 francs de dépenses imprévues éventuelles (en prévision pour l’année). Le faucardement (ou faucardage) consiste à couper et évacuer les végétaux qui poussent dans l’eau des fossés et canaux, comme les roseaux, qui risquent de gêner l’évacuation des eaux ou d’obstruer les ouvrages. Le curement (ou curage) consiste à curer, débarrasser le fond de ces cours d’eau de la vase ou des déchets qui s’y accumulent dans la logique de garder un fossé à ses dimensions d’origine pour assurer un drainage assez efficace mais également éviter la stagnation d’eaux impropres.

On voit ici que l’ingénieur du service hydraulique ne contrôle vraiment qu’une partie des dépenses de la section de wateringues. Une autonomie de gestion financière est laissée à la section pour environ un quart de ses dépenses, celles concernant les frais d’administration ou encore le traitement du personnel et de ses frais de travail (éclusiers, conducteur etc). Le projet de budget est même présenté et monté avec le conducteur d’une telle manière que l’examen du budget ne semble jamais être l’occasion pour l’administration technique d’inquiéter la section de wateringues. Les frais concernant l’établissement d’une machine à vapeur pour pomper les eaux du canal des Moëres (machine de Steendam) sont des frais exceptionnels, répartis sur plusieurs années, mais qui semblent être amortis par l’apport des excédents successifs des années précédentes et par un crédit. Le projet de budget de 1882, qui comporte sensiblement les mêmes sommes de recettes et de dépenses, indique le type d’observation que peut faire l’ingénieur du service hydraulique. Elle concerne ici la manière de dresser les devis de travaux par le conducteur, et donc les outils de représentation/appropriation de l’environnement en vue d’y engager des travaux :

Les devis estimatifs de tous ces travaux sont trop sommaires ; il conviendra de réclamer pour l’avenir, au conducteur spécial de la section, au moins un profil en travers moyen pour chacun des curements projetés et un métré avec dessins à l’appui, s’il y a lieu, des quantités portées dans l’estimation des dépenses pour les ouvrages d’art ; l’absence de ces renseignements empêche toute vérification sérieuse des pièces présentées.23

On trouve ici encore les signes du contrôle bureaucratique de l’ingénieur envers le conducteur, agent à la fois sous l’autorité du service hydraulique et de la préfecture mais travaillant au sein et avec la commission administrative de la 4e section de wateringues. Notons

23 ADN, S8697, Rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique sur le projet de budget de 1882 de la 4e section des wateringues, 14/03/1882.

90

que les comptes de 1897 confirment la constance des montants dont dispose la 4e section des wateringues dans sa gestion quotidienne, avec 41550,02 francs de recettes (dont 40178,02 issus des cotisations, 724 de la location de droits de pêche, 42 de la location d’herbages, 45 de redevances pour prises d’eau) pour 39721,38 francs dépensés (avec une prévision de 41763 francs au début de l’année)24.

Outline

Documents relatifs