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Des conflits qui font ressortir les problématiques socio-économiques ou politiques du territoire

LE TEMPS DE L’INONDATION

Chapitre 8. Le rythme d’inondations et leurs conséquences

3. Des conflits qui font ressortir les problématiques socio-économiques ou politiques du territoire

L’inondation de 1880-1881 fait ressortir des tensions qui peuvent être liées à des problématiques socio-économiques voire politiques qui vont au-delà de la question hydraulique. Ainsi, on observe que durant l’inondation et les moments qui ont suivi, les agriculteurs et surtout la 4e section des wateringues mènent des accusations contre l’administration publique et conduisent voire mettent en scène une sorte de rivalité et conflit entre le port et l’agriculture, voire entre la ville et la campagne. Ce discours mettant dos à dos agriculture défendue par les sections et commerce par les ingénieurs du port est également tenu lors des inondations de 1894.

177 AMDK, 5O15, Pétition adressée au préfet du Nord, 4/02/1881.

178 ADN, S8698, Extrait du registre des délibérations de la 4e section des wateringues, 18/06/1892.

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Le discours des associations consiste à mettre en cause l’absence d’entretien du canal de la Cunette par les ingénieurs du port de Dunkerque et l’impossibilité d’évacuer efficacement les eaux depuis que l’écluse à son débouché a chuté180. Les agriculteurs se placent alors en

opposition au port, au commerce et aux ingénieurs du service maritime qui seraient leurs plus grands défenseurs. Lorsque l’ingénieur du service maritime met en cause la séparation des compétences entre différents services d’ingénieurs et explique qu’il serait capable d’agir contre les crues plus efficacement seulement s’il obtenait les compétences du service hydraulique, la commission administrative rétorque : « les intérêts que [l’administration des wateringues] représente étant opposés à ceux du commerce, [ils] ne peuvent être sauvegardés par le service par le service maritime, enclin de tout temps à donner la préférence à ces derniers »181.

Ce « conflit » entre agriculture et commerce est instrumentalisé et accentué par la section de wateringues, qui fait valoir des travaux d’améliorations qu’elle a réalisé seule et qui seraient réduits à néant par le manquement de l’administration publique à ses devoirs. Ainsi, les agriculteurs porteraient à eux seuls le maintien et l’amélioration du réseau de wateringues, avec des initiatives comme la machine de Steendam, tandis qu’en parallèle le gouvernement financerait uniquement des travaux, programmés notamment dans la loi du 31/07/1879182, visant à améliorer le trafic commercial au port et dans les canaux en étendant notamment les infrastructures portuaires vers l’Ouest.

En 1894, face à la nouvelle inondation qui les touche, les administrateurs de trois sections de wateringues du Nord remettent en avant cette dichotomie entre une agriculture abandonnée à son propre sort qui fait des « sacrifices » et un commerce privilégié par une administration qui ne tiendrait pas ses engagements concernant les travaux sur les canaux et écluses où débouchent les eaux d’assèchement183.

Ces tensions surtout exprimées par les sections de wateringues interviennent à une période où le port connaît effectivement un développement économique fulgurant qui se matérialise par une extension surtout à l’ouest et une modernisation de son équipement ; l’agriculture perd alors sur le territoire dunkerquois son statut de première activité économique, même si le trafic de navigation maritime et intérieure peut lui profiter également. Seulement, il faut souligner que l’inondation de 1880-1881 intervient dans des circonstances qui aggravent la situation des agriculteurs de la 4e section des wateringues mais qui ne semblent pas forcément

180 AMDK, 5O15, Pétition d’habitants de la 4e section des wateringues, 4/02/1881.

181 AMDK, 5S629, Extrait du registre des délibérations de la 4e section des wateringues, 19/03/1881.

182 AMDK, 5O7, Loi du 31/07/1879 déclarant d’utilité publique les travaux d’extension du port de Dunkerque. 183 AN, F/10/5861, Délibérations des Commissions Administratives des 3e, 4e et 2e sections des wateringues, 5/11/1894, 17/11/1894 et 12/03/1895.

151 être du fait directement de l’administration publique et des autorités portuaires. L’écluse à l’extrémité du canal de la Cunette (fig. 14), maillon final du réseau d’assèchement de la 4e

section, chute en 1877 et bouche une partie des flux hydrauliques vers la mer, tout en protégeant plus les reflues à marée haute de la mer dans ce canal. Cette situation a très certainement joué un rôle important dans le débordement des canaux chaque hiver entre 1877 et 1881. La loi du 31/07/1879 prévoit notamment de remédier partiellement à ce problème et d’améliorer le dessèchement en ouvrant deux écluses, celle du bastion 28 à l’est de la ville et celle du bastion 27 à l’ouest. Ces constructions semblent avoir amélioré la capacité d’écoulement du réseau, selon l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement pour le service hydraulique après l’inondation de 1894184.

L’inondation de 1880-1881 révèle également la certaine fragilité économique des sections de wateringues qui font tous les travaux hydrauliques sur le réseau dont elles ont la charge de façon autonome financièrement. C’est particulièrement le cas pour la 4e section des

wateringues qui a engagé quelques années plus tôt de fortes dépenses pour établir la machine de Steendam censée améliorer l’écoulement de leurs eaux. L’inondation de 1880-1881 a poussé la section à la faire fonctionner à un rythme beaucoup plus soutenu que prévu et a donc contracté encore plus de dépenses pour l’alimentation en charbon notamment.

L’accumulation de ces dépenses a un impact sur les finances de la 4e section185. Ainsi,

on a déjà remarqué qu’en 1888, la section se plaint de sa situation financière depuis l’inondation et qu’elle peine à mener des nouveaux travaux, puisqu’elle rembourse encore la construction de la machine et ses coûts de fonctionnement exceptionnel186. En 1912, c’est un ingénieur du service hydraulique qui s’inquiète d’autant plus de la situation financière de la section depuis cette époque et de sa difficulté à faire de nouveaux projets d’amélioration187. Il faut également avoir conscience que l’inondation et les pertes qu’elle a engendré pour la section peut être instrumentalisée, dans une certaine mesure, par ses administrateurs, pour justifier des demandes de réparations financières en faisant valoir une fragilité économique relative.

184 AN, F/10/5861, Rapport de l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement de Dunkerque, service hydraulique, 21/03/1895.

185 AN, F/10/5861, Pétition de membres de la 4e section des wateringues, 28/02/1881.

186 AMDK, 5O15, Délibérations de la Commission Administrative de la 4e section des wateringues du Nord, 28/01/1888.

187 AN, F/10/5861, Rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique Genissieu réclamant une subvention pour le remplacement des chaudières de l’usine de Steendam, 07/11/1912.

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