• Aucun résultat trouvé

L’écoulement des eaux et l’entretien du réseau d’assèchement à l’ère des ingénieurs : vers une gestion partagée

MIS EN VALEUR

Chapitre 3. La gestion des wateringues

3. L’écoulement des eaux et l’entretien du réseau d’assèchement à l’ère des ingénieurs : vers une gestion partagée

Les sections de wateringues ont été réorganisées tandis que l’organisation de l’Etat a elle-même été modifiée à plusieurs reprises. On assiste alors à un « Siècle de décentralisation encadrée de façon libérale »73 qui voit en même temps s’affirmer l’Etat à toutes ces échelles et dans de nombreuses compétences.

Le régime municipal a été créé en 1789 et a donné des premières compétences déconcentrées à l’échelle de la commune. La loi du 17 février 1800 a divisé le territoire en départements et arrondissements communaux, instituant les préfets et sous-préfets, les conseils de préfecture et les conseils généraux. Le conseil municipal est également institué dans toutes les municipalités avec cette loi. D’autres textes au long du 19e siècle ont précisé les quelques

compétences autonomes de ces communes.

Les lois de 1871 sur les départements et du 05 avril 1884 sur les communes instituent le principe d’omnicompétence des collectivités locales, et attribuent donc à ces institutions une certaine autonomie sur leur compétence attribuée, même si les municipalités sont toujours sous tutelle des préfectures74. Ces évolutions augmentent le nombre d’entités de pouvoirs sur un territoire local. Ainsi, les municipalités ont une capacité d’intervention selon les compétences prédéterminées et certes limitées, mais deviennent une entité administrative élue qui peut devenir un interlocuteur privilégié pour les populations locales. La France suit alors un mouvement d’organisation du pouvoir de façon administrative et centralisé dont les compétences sont étendues à toutes les échelles géographiques (déconcentration), et aboutit sous la IIIe République à une organisation du pouvoir souvent associée à l’idéologie jacobiniste75.

Cet Etat centralisé se matérialise sur les territoires par les préfectures et les services des Ponts et Chaussées qui y sont rattachés. Le préfet, aux pouvoirs accrus et « tuteur des collectivités locales »76, enrobe et contrôle les administrations décentralisées surtout à partir de 1852. Le corps des Ponts et Chaussées, qui constitue la majeure partie de l’administration

73 Xavier Bezançon, Les services publics en France: de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Paris, Presses de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, 1997, p. 67.

74 S. Frioux, « Le rôle du social dans le développement de l’assainissement des villes de province françaises (fin 19e - milieu 20e siècle) », art cit, p. 369.

75 Ibid.

70

technique des Travaux Publics « à la fois hiérarchisée et largement déconcentrée »77, s’impose peu à peu dans la conception des infrastructures de toute nature (Ponts, routes, ports de commerce, creusement de canaux) et se rend indispensable pour moderniser et accompagner la France dans l’industrialisation du 19e siècle78. L’importance grandissante de ce corps ingénieur

et des fonctionnaires à différentes échelles est significative d’une volonté de « contrôle » et d’ « encadrement » de la population notamment affirmée sous le second Empire79.

Concrètement, dans chaque département, un service ordinaire des Ponts et Chaussées est créé dans chaque département et est responsable des travaux neufs et de l’entretien des infrastructures de l’Etat80. Les services sont ensuite déconcentrés aux échelons territoriaux

inférieurs (arrondissements) et contrôlent quasiment toutes les infrastructures relevant du Génie Civil.

La question de l’hydraulique agricole, qui contient notamment les enjeux des desséchements des marais et du drainage des terres humides, a été l’objet de la création d’un service ingénieur dès 1848. Le service à la fois hydraulique et agricole est alors créé à l’initiative du ministre des Travaux Publics et est rattaché à son ministère. Il s’agit alors d’un service spécial, certes constitué d’ingénieurs des Ponts et Chaussées, mais qui est contrôlé par une commission permanente où sont représentés le ministère des Travaux Publics mais aussi les responsables des questions agricoles81. Ainsi, toutes les études et projets de travaux publics agricoles qui relèvent du service hydraulique sont examinés par le conseil général des ponts et chaussées mais aussi par des experts du point de vue agricole, « hommes spéciaux dont les lumières offrent toute garantie au pays »82

Il existe donc dans chaque département un ingénieur en chef du service hydraulique qui dirige le service et ses membres issus du corps des ponts et chaussées, et est lui-même sous l’autorité de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département. Les compétences attribuées à ce service sont hybrides, puisqu’elles concernent tout autant l’industrie (usines), l’agriculture (desséchements, irrigations) ou encore la salubrité publique (assainissement)83.

77 C. Bouisset, S. Clarimont et I. Degrémont, « L’État face au risque d’inondation », art cit, p. 136.

78 Emmanuel Fureix et François Jarrige, La modernité désenchantée: relire l’histoire du XIXe siècle français, Paris, Découverte, 2015, p. 315.

79 Q. Deluermoz, Le crépuscule des révolutions, op. cit., p. 125.

80 C. Bouisset, S. Clarimont et I. Degrémont, « L’État face au risque d’inondation », art cit, p. 136.

81 Jean-Michel Derex, « Les ingénieurs des Ponts et Chaussées et la question hydraulique dans la seconde moitié du XIXe siècle », Pour Mémoire. Revue des ministères de la transition écologique et solidaire et de la cohésion

des territoires, 2016, no 18, p. 63.

82 ADN, S3519, Lettre du ministre des Travaux Publics Vivien aux préfets, Instructions relatives aux travaux publics d’utilité agricole. 17/11/1848.

83 J.-M. Derex, « Les ingénieurs des Ponts et Chaussées et la question hydraulique dans la seconde moitié du XIXe siècle », art cit, p. 65.

71 Les questions agricoles furent attribuées au ministère de l’Intérieur du début du Second Empire jusqu’en 1861, où elles furent rétablies sous l’autorité exclusive, avec les autres missions hydrauliques, du ministère des Travaux Publics. Notons qu’en 1897, une partie des compétences concernant l’utilisation agricole des eaux fut remise au ministère de l’Agriculture (créé en 1881) et à ses ingénieurs du corps des Eaux et Forêts, tandis qu’en 1903, la séparation des compétences fut nette, donnant à un nouveau service de l’hydraulique et des améliorations agricoles (avec le nouveau corps d’ingénieurs du Génie rural) celles concernant l’aménagement des eaux pour la production agricole et la structure du territoire rural, tandis que les Ponts et Chaussées conservent la gestion des affaires concernant la navigation, l’alimentation des voies navigables et la protection contre les inondations et contre la mer84.

L’entreprise hydraulique agricole des wateringues du Nord et du Pas-de-Calais, dont on a déjà évoqué la complexité des enjeux hydrographiques (mêlant irrigation, drainage, lutte contre les inondations…) et historiques, suit alors un traitement particulier face à ces évolutions, et reste globalement sous la direction des ingénieurs des Ponts et Chaussées et du service de l’hydraulique agricole. Leur gestion n’est que partiellement autonome et sous le contrôle des ingénieurs.

Entre leur réorganisation au début du 19e siècle et 1852, les associations de wateringues sont contrôlées par l’ingénieur d’arrondissement de Dunkerque et son ingénieur en chef (du département). Ainsi, le règlement de 1806 précise notamment que tous les travaux projetés par le conducteur d’une section de wateringues « seront communiqués avant le 1er janvier de chaque

année à l’Ingénieur de l’arrondissement qui y donnera son avis et transmettra le tout à l’Ingénieur en Chef du Département pour recevoir son approbation. »85 et qu’aucune

construction ne peut être débutée sans approbation de ce dernier, sauf autorisation spéciale du Préfet. La gestion est donc partagée, ou au moins sous le contrôle de l’administration déconcentrée du ministère des Travaux Publics. La marge de manœuvre de la commission administrative d’une section est encore assez importante pour des cas spéciaux comme les travaux d’urgence, où ses membres n’ont pas besoin d’approbation administrative mais engagent leur responsabilité.

En 1852, le service hydraulique devient le service technique auquel sont rattachées les sections de wateringues. Ainsi, les conducteurs de celles-ci doivent alors « assister l’ingénieur

84 Ibid., p. 67‑68.

85 Décret de réorganisation de l’administration des waeteringues du 12 juillet 1806, dans Gilbert DELAINE, Les

72

du service hydraulique [de l’arrondissement de Dunkerque] chargé de la vérification des travaux et de signer avec lui les procès-verbaux de réception », et procéder de la même manière qu’avec l’ingénieur ordinaire concernant la communication des travaux projetés chaque année86. De même, la commission administrative propose un budget et des travaux chaque année en se basant sur l’examen des comptes de gestion de leur percepteur de l’année précédente, et ceux-ci sont examinés par les ingénieurs du service hydraulique qui conseillent par rapport l’approbation du préfet ou non.

Le règlement de 1852 témoigne d’un attachement supplémentaire du pouvoir central pour l’asséchement de ce territoire et une volonté de contrôle : toutes les procédures de décisions sont notamment beaucoup plus détaillées et contraignantes que les textes réglementaires. Ce mouvement d’intérêt pour l’asséchement des zones humides et leur mise en valeur agricole passe donc par la structuration de l’administration technique jusqu’à l’échelle de l’arrondissement avec le service de l’hydraulique agricole et une certaine mise à mal du particularisme au profit d’une volonté « générale » incarnée par les ingénieurs d’une administration centralisée. Cette réglementation et prise de contrôle relative du service hydraulique sur la gestion des wateringues intervient dans un contexte de mouvement global de politique de drainage sous le Second Empire et donc d’entreprises d’asséchement de grande envergure comme dans les Landes, les Dombes ou la Sologne87.

Le partage de la gestion du réseau des wateringues se fait également entre services des Ponts et Chaussées : le réseau d’asséchement a la particularité d’être lié directement à d’autres infrastructures, le port et les canaux de navigation. Un projet interne proposé pour l’élaboration du 7ème Plan de 1976 à 1980 qui a pour but d’améliorer l’évacuation des crues dans les « terres agricoles des zones basses dans le Nord-Pas-de-Calais » résume la complexité et la diversité des acteurs en jeu pour la zone des wateringues : il souligne notamment l’exécution de trois catégories de travaux liées entre elles au sein du réseau88. Au niveau parcellaire, les propriétaires agriculteurs associés drainent leurs terres pour rejeter les eaux dans les fossés d’écoulement watergands ou voies navigables, notamment au moyen de stations de pompage. Au niveau local, les mêmes sections de wateringues adaptent les fossés et les entretiennent. Ces

86 ADN, S8680, Nouveau règlement organique des Wateringues, 29/01/1852

87 J.-M. Derex, « Les ingénieurs des Ponts et Chaussées et la question hydraulique dans la seconde moitié du XIXe siècle », art cit, p. 69.

88 AN, 19920428/31, Fiche de proposition d’un projet de programme d’action prioritaire, valorisation des terres agricoles des zones basses dans le Nord-Pas-de-Calais. Evacuation des crues en liaison avec les voies navigables. Maîtrise du niveau d’eau, 1976.

73 fossés servent de transit des eaux d’écoulement jusqu’aux canaux plus importants. Enfin, au niveau régional, il existe des ouvrages spéciaux de collecte et d’évacuation des crues d’amont jusqu’à la mer. Ces ouvrages spéciaux sont surtout les écluses maritimes principales, se situent dans les ports (Calais, Gravelines et Dunkerque) et sont à la charge du service maritime des ponts et chaussées pour la période étudiée, que ce soient pour leur entretien et les manœuvres effectuées. Les canaux d’évacuation n’étant pas indépendant des canaux de navigation, et souvent non distincts, le service hydraulique en charge de le leur entretien et des travaux interagit avec le service spécial des Voies Navigables du Nord et du Pas-de-Calais, qui défend les intérêts de la navigation et participe par moments aux travaux notamment. Cette multiplicité de fonctions pose de nombreux problèmes parmi lesquels un des plus importants est la gestion du niveau d’eau dans les canaux. Celui-ci fluctue selon les manœuvres des écluses maritimes d’évacuation des eaux dans les ports, effectuées par le service maritime, et ces manœuvres coupent la possibilité de naviguer sur les canaux pendant un certain temps.

75

Outline

Documents relatifs