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La continuité de l’écoulement en Belgique : quelle place pour les associations de wateringues dans les négociations internationales ?

LA GESTION DE L’ÉCOULEMENT DES EAUX : UNE FORME PARTICULIÈRE DE POUVOIR

Chapitre 6. Intérêts d’assèchements et autres intérêts : mobiliser et interpeller

1. La continuité de l’écoulement en Belgique : quelle place pour les associations de wateringues dans les négociations internationales ?

Le réseau de wateringues est continu sur toute la Flandre maritime, et concerne donc aussi bien la France que la Belgique à notre période. Les associations de wateringues et les méthodes de dessèchement sont semblables, étant donné qu’elles sont héritées d’une époque où la Flandre maritime était unie sous la même autorité. Le réseau d’écoulement côté belge qui nous intéresse ici est celui lié directement à celui de la France, et concerne donc que quelques canaux transfrontaliers. Il s’agit essentiellement du canal de Furnes, reliant Dunkerque à Furnes, du canal de la Basse-Colme, reliant plus au Sud Bergues à Furnes, et les Moëres belges qui déversent leurs eaux en grande partie par le Ringsloot puis le canal des Moëres en France (fig. 8). Les deux canaux ci-dessus sont censés, côté belge, se déverser à la mer à Nieuport depuis un canal partant de Furnes.

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Les affaires liant Français et Belges concernent alors surtout l’entretien et l’utilisation réglementée de ces canaux et les ouvrages qui y sont construits pour évacuer les eaux surabondantes et pour irriguer. Le canal de Furnes, utilisé à la fois pour le dessèchement et la navigation entre Dunkerque et Anvers, a notamment été le sujet de plusieurs conférences entre les administrations françaises et belge. Gilbert Delaine estime que la Belgique n’a pas entretenu de quelque manière que ce soit le canal de Furnes depuis son indépendance jusqu’en 1891, et ce malgré des conférences internationales qui auraient eu lieu en 1850, 1851, 1865 et 1890. Du côté français, le canal est concédé de 1828 à 1896 à un privé qui n’aurait également pas entretenu le canal et aurait dégradé ses capacités d’écoulement et de navigation106. Nous avons

trace dans nos sources, pour le 19e siècle, que de trois conférences internationales entre des ingénieurs des belges et des ingénieurs français entre 1874 et 1890 qui ont abouti sur une convention entre les deux gouvernements. Celles-ci visent à améliorer le dessèchement côté belge et à réglementer les prises d’eau et manœuvres d’écluses dans les deux canaux transfrontaliers afin surtout de diminuer les évacuations des canaux trop pleins côté belge par des écluses vers les terres de la 4e section des wateringues.

Durant ces conférences internationales, permises par les gouvernements belges et français107 mais surtout relevant de discussions et accords entre les ingénieurs locaux (ingénieur de Flandre Occidentale pour la Belgique et ingénieur du service hydraulique) et leur autorité108, les propriétaires utilisent divers moyens pour influer sur les prises de décisions. Notons déjà que dès 1867109 différents maires de la 4e section alertent sur les débordements de la Basse- Colme côté belge qui inondent celle-ci et demandent l’endiguement du canal sur sa rive Nord, travail partiellement obtenu110. La commission administrative de la section et les cultivateurs en général s’adaptent à la situation et à ce format de conférence surtout informelle, de laquelle ils sont exclus, en restant informés des décisions prises et en tentant de les influencer.

On comprend déjà que ces conférences ont été rendues indispensables selon l’ingénieur du service hydraulique par la répétition des inondations subies sur la 4e section et les Moëres par une répétition des débordements des deux canaux du côté belge et de la répétition d’ouverture de leurs écluses sur les terres françaises, qui ont dû provoquer des réclamations des

106 G. Delaine, Les waeteringues du Nord de la France, op. cit., p. 200.

107 ADN, S8645, Lettres du ministre des Travaux Publics au préfet du Nord, 07/01/1874 et 01/06/1874.

108 ADN, 141J360, Procès-verbal de la séance du 16 décembre 1887 de la Commission internationale : Moëres et Waëteringues franco-belges.

109 ADN, S8695, Rapport de l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement de Dunkerque et du service hydraulique, 14/05/1867.

125 premiers concernés111. Les propriétaires adaptent leurs discours à la situation pour faire valoir leurs intérêts. Ainsi, lorsqu’ils apprennent qu’une conférence internationale est envisagée et que le gouvernement français a donné son accord, les administrateurs de la 4e section s’adressent à la préfecture pour rappeler les enjeux et les conséquences qu’ils subissent de la situation et demander la mise en place de certaines mesures, notamment d’un règlement ou d’une convention instituant les droits de chacun sur le canal et également pour faire détruire des écluses belges sur le canal qui s’ouvrent sur leurs terres, estimant qu’elles sont illégales112. Les

propriétaires comprennent ici les enjeux internationaux et adaptent leur discours.

Ayant bien conscience que la résolution passe par des accords de gouvernements au sein desquels ils n’ont pas vraiment la parole, les administrateurs de la 4e section et des maires des

communes concernées s’adressent par exemple directement à un représentant français auprès du gouvernement belge pour remercier et flatter le gouvernement et les ingénieurs français de faire valoir leurs demandes, et pour insister pour faire céder le gouvernement belge sur leurs propres réclamations113. D’une autre manière, ils demandent à leur ministre de tutelle, le

ministre des Travaux Publics, de faire pression sur le ministre des affaires étrangères français pour qu’il fasse accepter les mesures reconnues utiles dans la première conférence internationale entre les ingénieurs des deux pays en 1876114. Outre l’intermédiaire des maires, on remarque également dans cette pétition que les propriétaires français sont joints par ceux des Moëres belges pour faire pression auprès du gouvernement belge.

Une autre manière déjà évoquée pour influencer les décisions du gouvernement français et des ingénieurs sont les vœux présentés au Conseil Général. En août 1875, Jean-Baptiste Trystram, alors membre du Conseil Général, prie par exemple celui-ci d’émettre un vœu pour presser les ingénieurs français et belges de se mettre d’accord « afin d’assurer aussitôt que possible la sécurité des Moëres et de la 4e section des wateringues françaises »115. On trouve également dans les délibérations du Conseil Général du 10 avril 1877 un vœu émis par Louis Goudaert et repris par les conseillers généraux pour que le préfet poursuive « avec persistance la solution internationale d’une situation qui donne trop souvent, dans les cantons

111 ADN, 141J360, Procès-verbal de la séance du 21 septembre 1875 de la Conférence internationale : Moëres et Waëteringues franco-belges.

112 ADN, S8696, Lettre de la Commission Administrative de la 4e section au préfet du Nord, 1874.

113 ADN, 141J360, Lettre des administrateurs de la 4e section et de six maires de communes de la 4e section et des Moëres au Baron Baude, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le gouvernement belge, à Bruxelles, 19/07/1875.

114 ADN, 141J360, Pétition à destination du ministre des Travaux Publics, signée par les administrateurs et des propriétaires de la 4e section, des maires des communes de la section, les administrateurs des Moëres belges et des membres de la Société d’Agriculture, 10/06/1876.

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d’Hondschoote et de Dunkerque, des malheurs de toute nature. »116. Celui-ci fait valoir ses

arguments « en sa qualité de membre de la 4e section des wateringues » - il est même membre de la Commission Administrative entre 1866 et 1880117 - et pointe alors un fait important : les personnalités qui possèdent le plus de terres dans une section de wateringues et ont donc facilement accès à son administration sont souvent des petits notables qui peuvent être élus à certains moments de leur carrière, maires, députés118 ou encore ici Conseillers Généraux et défendent à travers leurs mandats les intérêts agricoles de leur section.

Dans les années 1910 et 1920, la 4e section des wateringues développe une autre forme de relation avec l’administration technique belge, concernant cette fois-ci l’utilisation du canal de Furnes pour écouler les eaux belges surabondantes par Dunkerque. On remarque ici des procédures officielles, où les autorités belges formulent clairement leur incapacité à évacuer les eaux du bassin de l’Yser uniquement par Nieuport par moments. Dans le contexte des inondations militaires mises en place en France et en Belgique, on a par exemple la trace d’une convention signée en 1916 entre le président de la 4e section des wateringues et le directeur du

Génie et général belge119. Malgré le contexte de conflit, il existe alors une interaction directe entre l’association de propriétaires et les autorités militaires belges. Cette convention détaille les conditions suivant lesquelles la Belgique est autorisée à évacuer ses eaux par le canal de Furnes côté français, concernant par exemple le niveau limite auquel il peut être rempli. Elle établit également des garanties de réparations aux propriétaires en cas d’inondations dues à l’envoi d’eaux venues de Belgique et surtout fixe les indemnités que l’armée belge doit leur verser pour chaque heure de pompage des eaux par la machine de Steendam appartenant à la 4e section des wateringues.

Lorsqu’en 1928, l’écluse maritime du canal de Nieuport à la mer chute, les administrateurs de la 4e section interviennent et prennent une place importante dans les négociations internationales. En réaction à cet accident, on observe que les administrateurs et leur conducteur, René Smagghe, constatent sur place la situation et anticipent les demandes belges en expliquant la nécessité de réitérer l’opération effectuée pendant la guerre. Ces

116 ADN, S8645, Délibérations du Conseil Général du Nord, 10/04/1877.

117 ADN, 5K811, Livret récapitulant les ouvrages, propriétés et règlements de la 4e section des wateringues du Nord rédigé par René Smagghe, conducteur spécial, 1925.

118 C’est par exemple le cas du président de la 4e section entre 1877 et 1886 Jules Delelis, qui est successivement et parfois en même temps Conseiller Municipal de Dunkerque, Maire, Conseiller d’Arrondissement puis député. 119 AMDK, 5S625, Convention signée entre le président de la 4e section des wateringues et le directeur du Génie et général belge, 1916.

127 discussions préventives sont notamment menées par le conducteur qui se voit confié par la commission administrative la mission de « sauvegarder les intérêts de la 4e section des waeteringues par intervention soit près des services français, soit près des services belges, en faisant toutes propositions que sa grande connaissance et l’usage de l’hydraulique tant en France qu’en Belgique lui permette de faire. »120. Il établit les conditions derrière lesquelles la

4e section accepte alors l’écoulement des eaux belges et les présente à l’ingénieur du service hydraulique de l’arrondissement. Le service maritime reçoit la demande des services belges pour faire ces manœuvres et fait figure d’autorité dans l’affaire puisque le canal de la Cunette et les écluses maritimes dans lesquelles ces eaux doivent arriver sont sous son autorité. L’ingénieur en chef du service maritime demande un avis aux services hydraulique et de la navigation.

Dans ces circonstances, l’ingénieur du service hydraulique dresse son avis en consultant le président de la 4e section qui se base sur les conditions précitées121, concernant notamment

les frais à rembourser à la section par l’Etat belge des pompages par la machine de Steendam, le débit d’eau qu’elle peut tirer par marée ou encore le contrôle des manœuvres par une liaison entre les ingénieurs des deux pays. Celles-ci sont reprises en grande majorité ou au moins discutées directement avec le président de la 4e section, de telle manière que, dans son avis général, l’ingénieur en chef du département reprend mot pour mot la plupart des conditions fixées par la section et qu’elles figurent alors dans l’accord entre l’ingénieur maritime français et les ingénieurs belges122.

Les manœuvres tardent finalement à se mettre en place par l’absence de réponse du ministère de l’Agriculture au ministère des Travaux Publics pour les accorder au gouvernement belge123 et elles sont faites en urgence, sous autorisation spéciale de ce dernier ministère directement aux ingénieurs124. Alors que les conditions présentées par l’ingénieur du service hydraulique après consultation de la 4e section avaient été reprises intégralement dans les premiers accords officieux entre ingénieurs, il est étonnant de constater que celles-ci disparaissent partiellement de la dépêche du ministre des Travaux Publics de janvier 1928125 qui est finalement utilisée pour autoriser les manœuvres en urgence. Ainsi, si on définit le

120 AMDK, 5S625, Délibérations de la commission administrative de la 4e section, 13/10/1928.

121 AMDK, 5S625, Lettres entre le président de la 4e section et l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement de Dunkerque et du service hydraulique, 24/10/1928, 27/10/1928, 31/10/1928, 03/11/1928.

122 AMDK, 5S625, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime au directeur belge du service spécial de la côte et ingénieur des Ponts et Chaussées, 21/11/1928 et Rapport de l’ingénieur en chef du service maritime, 03/01/1929.

123 AMDK, 5S625, Lettre du ministre des Travaux Publics au ministre de l’Agriculture, 18/01/1929.

124 AMDK, 5S625, Lettre du ministre des Travaux Publics à l’ingénieur en chef du service maritime, 04/03/1929. 125 AMDK, 5S625, Lettre du ministre des Travaux Publics au ministre des Affaires Etrangères, 18/01/1929.

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niveau auquel doit être tenu le canal et les frais que le gouvernement belge doit rembourser au port de Dunkerque, les conditions concernant la capacité de pompage de la machine de la 4e section, du remboursement de ses frais ou encore la nécessité d’une liaison constante entre les deux pays disparaissent126.

La commission administrative de la section, censée représenter les propriétaires terriens du réseau des wateringues et leurs besoins fait figure d’interlocuteur majeur dont les avis sont recueillis voire repris par l’administration technique française, notamment les ingénieurs du service hydraulique, même dans des affaires qui concernent la continuité du réseau au-delà des frontières nationales. On constate une capacité d’adaptation des sections de wateringues et même des propriétaires directement parfois, qui modifient leur discours pour faire valoir leurs intérêts dans des négociations internationales, tout en actionnant leurs moyens d’influence que sont par exemple la qualité même d’élus locaux à diverses échelles ou une relation privilégiée avec certains.

2. Les associations de wateringues : une forme de pouvoir territorial légitimée face aux

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