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La catastrophe, provocatrice d’aménagements immédiats

LE TEMPS DE L’INONDATION

Chapitre 10. Après l’inondation : une rupture dans la gestion de l’asséchement ?

1. La catastrophe, provocatrice d’aménagements immédiats

L’inondation catastrophique impose dans certains cas immédiatement des aménagements ou des modifications dans la gestion de l’eau compte tenu des dégâts constatés mais encore de la pression sociale. Dans le cas de l’hiver 1880-1881, les administrateurs de la 4e section des wateringues obtiennent, avec le concours des ingénieurs du service hydraulique, plusieurs manœuvres et aménagements exécutés ou promis dans un temps court voire immédiat.

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Nous avons alors montré comment les présidents de sections, ingénieurs des deux services du port et de l’hydraulique et la préfecture se sont accordés pour faire des écoulements exceptionnels des eaux du canal des Moëres par le canal de Jonction du côté Ouest du port de Dunkerque ; on en a alors exécuté sur quelques jours au mois de janvier 1881 pour soulager les terres de la 4e section. La réunion du 28 décembre 1880 a également débouché sur la promesse d’un curement du canal de la Cunette et du prompt achèvement de l’écluse du bastion 28 au bout des fossés de Dunkerque à l’Est et des aménagements spéciaux dérivant les eaux du canal de la Cunette dans ceux-ci (fig. 15).

On peut étudier la manière dont la construction de cette écluse et la modification des conduits d’eau qui y débouchent a été transformée en aménagement durable par le besoin pressant de solution de secours face à l’inefficacité du canal de la Cunette envasée et obstruée. Face aux demandes répétées des membres des wateringues pour obtenir un nouveau débouché à la mer après l’hiver, ce nouvel écoulement est présenté comme une amélioration pérenne qui ne nécessite pas dans l’immédiat de modification237. On fait même valoir lors des inondations

de 1894 les améliorations qu’il a apporté sur le long terme et comment il aurait renforcé le réseau des wateringues pour emmagasiner ces nouvelles crues importantes238.

L’écoulement des eaux du canal des Moëres par le canal de Jonction, qui avait déjà été effectué en 1872, est mis en place en janvier 1881. Il s’avère que cette expérience réussie est réitérée les mois suivants. En septembre 1881, les administrateurs de la 4e section des wateringues expliquent que l’écoulement des pluies les jours précédents est exclusivement réalisé par des tirages par le canal de Jonction239. Ces manœuvres remplacent l’écoulement par le canal de la Cunette, puisqu’il est alors en travaux et totalement fermé. L’écoulement par le canal de Jonction exceptionnel des eaux du canal des Moëres mis en place en janvier 1881 est donc encore utilisé et fait office d’expérience pour assurer la continuité de l’assèchement malgré l’impossibilité d’évacuer à l’est du port.

Les mois suivant les inondations, les propriétaires des terres asséchées s’assurent de l’exécution des promesses obtenues du service maritime au cœur de l’hiver 1880-1881. Les administrateurs de la 4e section semblent alors avoir une vigilance accrue après cette catastrophe sur ces cours d’eau pour lesquels ils n’ont pas de compétence administrative directe. L’été 1881,

237 AN, F/10/5861, Rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique à propos d’une « demande de subvention à l’Etat », 1/04/1881.

238 AN, F/10/5861, Rapport de l’ingénieur ordinaire du service hydraulique, 21/03/1895.

239 ADN, S8697, Lettre de la Commission administrative de la 4e section des wateringues au préfet du Nord, 16/09/1881.

171 le président de la section demande au préfet du Nord de presser les ingénieurs du service maritime pour faire exécuter le plus rapidement possible le dragage et le curement de la Cunette et des fossés de la ville en prévision de l’automne. Il propose alors même de prioriser ces opérations sur d’autres travaux d’entretien considérés comme moins primordiaux240. A la fin

de l’été suivant, on retrouve également les administrateurs qui demandent l’achèvement des travaux de curement de la Cunette le plus tôt possible avant la saison pluviale241. Cette répétition de demandes des administrateurs révèle une nouvelle vigilance de ceux-ci concernant le canal de la Cunette, un des enjeux problématiques qui a accentué les inondations de l’hiver 1880- 1881. La demande faite en septembre 1882 d’achever le curement peut alors faire croire que ceux-ci n’ont pas été achevés après plus d’un an de chantier. A défaut de documentation plus précise à ce sujet, on peut suggérer à l’inverse que des travaux de curement sont peut-être effectués chaque été dans le canal depuis les inondations et que l’administration de la 4e section

s’assure de leur exécution au risque contraire de revoir leurs terres ennoyées.

Il s’avère alors que certaines inondations provoquent, si ce n’est des aménagements, au moins des études demandées par l’administration publique. Elles cherchent à réduire les inondations et par là également à répondre au moins en partie aux pétitions et réclamations qui se multiplient dans ces circonstances. C’est par exemple le principal but affiché du député Trystram, c’est-à-dire répondre aux plaintes, lorsqu’il fait adopter au Conseil Général des vœux pour rendre plus efficace les rapports entre services maritime et hydraulique concernant la gestion des wateringues. La crise de l’hiver 1880-1881 a le mérite d’accélérer la fin du chantier de l’écluse du bastion 28 pour offrir un débouché relativement viable à la 4e section des

wateringues et de faire faire des travaux d’entretien du canal de la Cunette par les ingénieurs du port de Dunkerque. Ceux-ci sont couplés à des travaux d’élargissement et de faucardement du canal de Bergues effectués par le service spécial des Voies Navigables du Nord et du Pas- de-Calais qui ont été également mis à l’étude après les inondations242. Ces travaux ont vraisemblablement eu un impact puisqu’ils ont permis aux pluies de 1894-1895 de ne pas faire plus de dégâts aux terres asséchées qu’en 1880-1881, alors qu’elles étaient plus importantes qu’à l’époque.

240 ADN, S8697, Lettre du président de la 4e section des wateringues au préfet du Nord, 26/07/1881.

241 ADN, S8697, Rapport de l’ingénieur du service hydraulique concernant la demande de la 4e section des wateringues pour achever les travaux de curement de la Cunette, transmis au service maritime, 09/09/1882. 242 AN, F/10/5861, Procès-verbal des délibérations de la 3e section des wateringues, 5/11/1894.

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On voit au travers d’un rapport d’un ingénieur ordinaire du service hydraulique à la suite de celles-ci, mais aussi des réclamations portées par les sections de wateringues, comment l’événement de l’hiver 1880-1881 est mobilisé comme une référence et agit comme un polarisateur. Les administrateurs des sections mettent en avant les conséquences subies par cet événement et déplorent le peu d’efficacité des travaux qui ont pourtant été mis à l’étude et exécutés à sa suite. Les travaux de faucardement du canal de Bergues basés sur les cotes de 1880-1881 sont alors insuffisants face à des pluies plus importantes qu’à l’époque selon les administrateurs de la 3e section243, tandis que pour la 2e et la 4e section, les travaux d’amélioration mis en place depuis cet hiver-là tout le long du réseau seraient rendus inefficaces par l’absence d’ouverture de débouchés propres à l’écoulement des wateringues et indépendants de la navigation244.

Les aménagements mis en place après 1881 sont donc fortement fondés sur l’expérience des inondations de l’hiver 1880-1881. Les considérant comme un épisode exceptionnel de crues dont la force et l’étendue temporelle n’auraient pas eu d’égal depuis plusieurs décennies, il semblerait que les ingénieurs et les administrateurs des wateringues ont conçu le danger de l’inondation sur sa référence, en outillant les canaux d’ouvrages comme les faucardements et batardeaux destinés à contenir au maximum des crues de cette ampleur. L’ingénieur ordinaire du service hydraulique fait alors valoir, probablement à raison, que depuis 1880, tous les travaux ont permis quelques améliorations, à coup d’arguments fondés sur des calculs et des relevés de cotes qui cherchent à prouver que le réseau a su contenir en 1894 un cumul de pluie plus important qu’en 1880-1881 tout en limitant les cotes des canaux au bord du débordement aux mêmes cotes que 14 ans plus tôt245.

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