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La perturbation de l’organisation et des hiérarchies entre acteurs

LE TEMPS DE L’INONDATION

Chapitre 9. Entre inondation et crise

1. La perturbation de l’organisation et des hiérarchies entre acteurs

La période entre octobre 1880 et mars 1881 voit se répéter des inondations à cause de crues dans la région dunkerquoise, notamment sur la 4e section des wateringues. L’intensité des crues, et notamment le fait qu’il y ait une répétition des inondations, provoquent de nombreuses réactions et semblent provoquer ce qu’on peut rapprocher d’une crise.

Face à l’urgence de la situation tout d’abord, on observe que la préfecture donne des ordres de manœuvres sans consulter l’avis des ingénieurs concernés ou encore du ministère et provoque des contestations de divers acteurs. Lorsque le préfet ordonne à l’ingénieur en chef du service maritime d’évacuer les eaux de la 4e section des wateringues, alors inondée, par

l’arrière-port de Dunkerque, celui-ci conteste la décision de sa hiérarchie203. Dans l’urgence de

la situation, on observe des échanges multiples. En moins de vingt-quatre heures, le ministère des Travaux Publics ordonne l’arrêt de l’ordre au préfet, tandis que l’ingénieur du service

201 C. Gilbert, Risques et crises: apports et limites d’une démarche interdisciplinaire, op. cit., p. 13. 202 Ibid.

203 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au préfet du Nord, 21/12/1880.

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maritime envoie un long courrier contestant cette décision qui serait prise unilatéralement sous les demandes du service hydraulique et des agriculteurs et qui provoquerait des dégâts irréversibles dans le port204. Au-delà de ces divers échelons administratifs, des acteurs privés interviennent également. C’est le cas de la Chambre de Commerce de Dunkerque, qui alerte le ministère des Travaux Publics en exprimant son « émotion » concernant cette décision qui risquerait de faire céder d’autres écluses sur le canal de Bergues et d’endommager les quais205.

On peut également rappeler la virulence avec laquelle l’ingénieur en chef du service maritime, tout au long de l’hiver et les quelques mois qui suivent, remet en cause l’organisation de l’administration et les arguments et choix du service hydraulique et revendique la concentration de toutes les compétences autour de son service206. En juin 1881, il conteste également les propositions du préfet et de l’ingénieur en chef du service hydraulique dans l’organisation des conférences entre service : il lui rappelle l’autorité qu’il a sur les différents services des Ponts et Chaussées du département et lui demande de présider et policer celles-ci pour éviter de réitérer des réunions avec beaucoup d’acteurs qu’il estimerait alors inutiles207.

Les inondations et les protestations multiples qui s’en suivent durant cet hiver semblent également déstabiliser l’organisation en charge du réseau canalisé. Tout d’abord, les commissions administratives de la 4e section des wateringues multiplient les pétitions avec les agriculteurs qu’elles administrent et alertent les divers échelons administratifs sur la situation. Elles font notamment appel au ministre de l’Agriculture, leur autorité de tutelle, mais qui n’a pas les compétences directes sur les travaux du port, pour faire pression sur le ministre des Travaux Publics pour encourager l’achèvement de l’écluse du bastion 28 et avoir le droit d’évacuer en attendant par le canal de Jonction à l’Ouest du port.

Ces réclamations sont également relayées par des journaux locaux, comme l’Echo du

Nord qui alerte le 10 novembre sur la situation de détresse de cultivateurs à Ghyvelde208. On

l’a vu, ces pétitions ne sont pas nouvelles en soi, mais leur concentration sur un temps court et

204 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au préfet du Nord, 21/12/1880.

205 AMDK, 5S629, Télégramme du ministère des Travaux Publics à l’ingénieur en chef du service maritime, 20 ou 21/12/1881, et Délibérations de la Chambre du Commerce, 21/12/1880.

206 Lettres de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au député Trystram, 8/02/1881 et 23/04/1881.

207 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au préfet du Nord, 21/06/1881.

208 ADN, S9264, Note interne annexée au procès-verbal de la réunion du 28/12/1880, probablement rédigée par un ingénieur ou le préfet du Nord.

159 probablement la durée et l’intensité des inondations entraînent l’intervention d’acteurs qui ne sont pas forcément renseignés sur la question hydraulique.

Le député Jean-Baptiste Trystram fait par exemple partie des destinataires de nombreuses pétitions. Prétendant ne pas être compétent sur la question, il les transmet à l’ingénieur en chef du service maritime au port de Dunkerque209. Cette situation semble déjà

curieuse, puisqu’il fait appel au service d’ingénieurs qui n’est pas compétent sur la question directe des wateringues pour répondre à ses pétitions, ce que ne manque pas de lui rappeler Eyriaud des Vergnes210, qui appelle à l’unité des services autour du sien sur la question des wateringues. Alors qu’il prétendait ne pas avoir d’avis direct, la réponse du député à l’ingénieur montre toute autre chose : il appuie cette idée de remédier au manque d’unité au sein des services, qu’il aurait alors déjà défendue au Conseil Général quelques mois auparavant, et qu’il affirme lui-même être « une des principales causes de l’absence de moyens de parer dans la mesure du possible au mal dont souffrent les propriétés waeteringuées. »211. S’il n’obtient pas

au Conseil Général l’unification des services, il entraîne l’ouverture des conférences entre ingénieurs qu’on a déjà évoquées. On a donc ici des acteurs externes qui viennent prendre part aux discussions et donner un avis sur l’organisation des gestionnaires.

Le projet de conférences entre ingénieurs qui prend forme à l’été 1881 en réponse à ces inondations tend à intégrer l’ingénieur en chef du service des voies navigables du Nord et du Pas-de-Calais pour participer à la recherche d’améliorations de l’écoulement. La réponse qu’il transmet à ses collègues et au préfet, consistant en un refus de s’y rendre, contient un fait intéressant : selon l’ingénieur, son service n’a jamais été consulté ou appelé à donner son avis, de telle manière que « chaque fois qu’une crue se produit on effectue des tirages à pleine voie sans se préoccuper du préjudice qui en résulte pour la navigation. »212. On assiste alors également à une modification de l’organisation autour de la gouvernance de l’eau, puisqu’on tente d’intégrer à ces conférences un service d’ingénieur alors invisibilisé sur ces sujets.

Il faut également rendre compte de la manière dont les ingénieurs des service maritime et hydraulique, mais aussi le préfet, tentent d’interférer, d’une manière toute relative, dans les prises de décision de la municipalité dunkerquoise. La seule potentielle solution qui fait

209 AMDK, 5S629, Lettres de Jean-Baptiste Trystram à Eyriaud des vergnes, 06/02/1881 et 11/02/1881.

210AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef du service maritime Eyriaud des Vergnes au député Trystram, 8/02/1881.

211 AMDK, 5S629, Lettre de Jean-Baptiste Trystram à Eyriaud des vergnes, 11/02/1881.

212 AMDK, 5S629, Lettre de l’ingénieur en chef des voies navigables du Nord et du Pas-de-Calais à l’ingénieur en chef du Service Hydraulique du Nord, 21/06/1881.

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consensus entre les ingénieurs du service hydraulique et du service maritime est l’extension de l’enceinte de la ville de Dunkerque. L’ingénieur Eyriaud des Vergnes en rappelle les conséquences en avril 1881 :

L'extension de celle-ci à l'ouest et partiellement au sud permettra de séparer presque complètement les dessèchements des 2e et 3e sections de la navigation. L'extension dans l'est et dans le reste de la région sud transformera les conditions d'existence de la 4e section. Si j'ai demandé cette dernière extension dans un intérêt maritime et en vue de l'amélioration des bassins de l'est, j'ai toujours insisté sur la nécessité de la déterminer pour la condition d'amélioration des écoulements de la 4e section.213

Son service, mais aussi celui du service hydraulique214, notamment depuis la réunion du 28 décembre 1880 où le sujet est déjà abordé, font alors pression sur le conseil municipal et émettent des préconisations sur la manière et la rapidité auxquelles doit être mise en place l’extension de la ville. Les circonstances d’inondations poussent alors ces acteurs extérieurs aux décisions municipales (mais aussi militaires) à prendre des décisions concernant ces sujets et tentent de les influencer.

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