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1.8. Les bibliothèques vues de l'intérieur

1.8.2. Publics

Quand elles présentent leurs missions, les bibliothèques académiques décrivent en général leur organisation comme étudiée pour « répondre aux besoins documentaires des membres de l'université » ou décrivent la mission « de fournir les ressources et les services documentaires requis pour les fins de l'enseignement, de la recherche et des activités de soutien de l'École » (Ecole

Polytechnique de Montréal)48. Le décret portant création des Services Commun de la

Documentation des universités françaises sous leur forme actuelle présente leurs missions : « Les documents et les moyens d'accès à l'information doivent être mis à la disposition non seulement de tous les membres des établissements, mais encore d'un plus vaste public, dans le cadre de la mission donnée à l'enseignement supérieur d'assurer "la diffusion de la culture et l'information scientifique et technique" (article 4 de la loi sur l'enseignement supérieur) »49.

La bibliothèque académique a donc comme public potentiel les étudiants, enseignants et chercheurs d'un établissement d'enseignement supérieur, élargi à un « plus vaste public ». La réponse aux besoins documentaires de publics aussi différents que des étudiants de premier cycle ou des chercheurs est source de nombreux tiraillements dans les bibliothèques. Comment, dans un budget limité, acquérir des documents suffisants en nombre et en qualité pour les étudiants, tout en

48 Texte complet : « La Bibliothèque a pour mission de fournir les ressources et les services documentaires requis pour les fins de l'enseignement, de la recherche et des activités de soutien de l'École. Dans ce contexte, elle se doit d'être un lieu propice à l'étude et à la réflexion. Elle se doit aussi de coopérer activement avec les divers milieux documentaires de recherche pour garantir à ses clientèles un accès privilégié à leurs ressources. Enfin, la Bibliothèque a également pour mission d'offrir ses ressources et ses services aux divers partenaires de l'École et aux milieux techniques et industriels locaux.... ». http://www.biblio.polymtl.ca/mission.htm (Page consultée en Juin 1999).

49 Circulaire No 85-391 du 31 octobre 1985 en application du décret No 85-694 du 4 juillet 1985 et de l'arrêté du 4 juillet 1985. Texte consultable à l’adresse : http://www-sv.cict.fr/adbu/ (Page consultée en Juin 1999).

satisfaisant les besoins des chercheurs en périodiques et en ouvrages scientifiques de haut niveaux et très coûteux ? La réponse à cette question a donné lieu à diverses configurations, importantes car elles peuvent déterminer l'implantation physique et organisationnelle d'une bibliothèque :

- certaines universités américaines ont ainsi constitué d'énormes bibliothèques de recherche, spécifiquement destinées à répondre aux besoins de la communauté savante, à côté de bibliothèques académiques de taille plus modeste destinées aux étudiants [BERARD1998].

- théoriquement, dans les universités françaises, la plupart des bibliothèques d'UFR (Unité de Formation et de Recherche) ont aujourd'hui été intégrées dans le service commun de la

documentation50. Elles acquièrent les documents spécifiques d'une communauté spécialisée

(laboratoire) ;

- dans les grandes écoles, on observe plusieurs situations :

• la bibliothèque centralise toutes les commandes et toute la conservation des documents en un lieu unique ;

• la bibliothèque centralise les commandes, mais la conservation des documents spécialisés pour les laboratoires a lieu dans ces laboratoires ;

• la bibliothèque et les laboratoires acquièrent leurs documents indépendamment, néanmoins, tous les documents de l'établissement sont recensés par la bibliothèque qui peut verser les références à son catalogue ;

• la bibliothèque et les laboratoires sont complètement indépendants concernant leurs acquisitions de documents.

Diversité des publics, diversité des budgets et des modes d'acquisition, mais aussi diversité des services : les étudiants et les enseignants ou chercheurs ont des demandes documentaires différentes auxquelles les bibliothèques ont dû s'adapter. Voyons tout d’abord les pratiques des étudiants en ce domaine. Nous pouvons considérer, au travers des résultats de plusieurs enquêtes, à la fois l’évolution des pratiques de lecture de ces publics et leur perception de la bibliothèque. Les lycéens et étudiants sont « moins nombreux, quelles que soient leurs origines sociales, à déclarer lire qu’il y a vingt ans » [LAHIRE1998]. On peut différencier ces pratiques selon les cadres disciplinaires des étudiants (scientifiques, littéraires). Pour la lecture d’ouvrages, on constate que « ce sont tout d’abord les étudiants qui appartiennent à des filières dont l’appropriation des connaissances repose en grande partie sur la lecture d’imprimés qui réduisent le plus la part des lectures extra-universitaires ». Par contre, « le rapport critique à des oeuvres originales, à des textes d’auteurs n’a souvent aucun sens pour les étudiants scientifiques ». Ceux-ci s’orienteront plus, pour leurs lectures

50 Le service commun de la documentation universitaire « a pour but de réaliser l’intégration de la bibliothèque au sein de l’université et de constituer un système documentaire unique et cohérent, fédérant toutes les bibliothèques de l’université dans un même service » ([CARBONE1994], p. 99).

extra-scolaires vers des lectures - romans, bandes dessinées - qui sont assez généralement mises à distance par les étudiants de lettre pour leur moindre légitimité culturelle (op.cit.). Nous développons dans le chapitre 2 les résultats d’une enquête menée sur des publics d’élèves-ingénieurs qui montrent en effet un fort attrait de ceux-ci vers la possibilité de lire des romans ou des bandes dessinées dans la bibliothèque de leur établissement. On constate par ailleurs, que plus les étudiants avancent dans leurs études, plus ils ont tendance à concentrer leur investissement sur les lectures scolairement utiles. Enfin, la culture du polycopié est très présente dans beaucoup d’établissements : l’étudiant se contente du polycopié distribué par un enseignant, sans aller plus avant dans la recherche d’informations.

Dans ce contexte, comment les étudiants perçoivent-ils la bibliothèque ? Celle-ci est considérée comme un espace, comme un lieu privilégié de travail individuel ou en groupe [VANCUYCK1994]. Dans beaucoup d’établissements, elle constitue en effet un des seuls lieux d’étude possible. La bibliothèque est également ressentie comme lieu de convivialité, de rencontre. Ce domaine a d’ailleurs été exploré par nombre de bibliothèques américaines qui proposent d’immenses salles d’étude et de lecture [BERARD1998].

Quand aux chercheurs, leur approche de la bibliothèque est également variable selon les disciplines. Si les chercheurs en sciences humaines privilégient la bibliothèque comme lieu de l’imprimé, outil principal d’appropriation des connaissances dans ce domaine, ceux des domaines scientifiques « durs » sont attachés à la bibliothèque comme lieu détenteur des périodiques spécialisés. Leur rapport à cette organisation est donc en cours de modification, suivant ainsi les modes de La circulation de l'information scientifique (voir § 1.2.2). Ces publics sont très intéressés par l’obtention de périodiques en texte intégral depuis leur poste de travail. Une enquête des usages à la bibliothèque de recherche du CERN, à Genève montre que les chercheurs ont deux attitudes : „ une réticence par rapport au nouveau phénomène, les anciens modes de lecture de la version

papier étant privilégiés ;

„ une complète indépendance par rapport à la bibliothèque, le chercheur accédant directement aux sommaires ou journaux électroniques gratuits ou contractant ses propres abonnements [CHANEY1999]. La contrainte du coût des périodiques rentre alors en compte, certains laboratoires ne pouvant plus souscrire à des journaux devenus trop onéreux.

Finalement, les chercheurs ont-ils encore besoin des bibliothèques ? Au vu de ces résultats, la question peut être posée. Nous avons mené quelques entretiens avec des chercheurs responsables de laboratoires de l’ENSAM sur ce sujet en 1998. Si pour eux, la bibliothèque est le lieu de l’écrit « où l’on vient chercher de l’information papier », elle est un lieu de vie nécessaire, particulièrement pour les étudiants. Par contre, ils soulignent que l’information qu’ils peuvent trouver à la bibliothèque est maintenant pour une grande part « récupérable sur le réseau ». La bibliothèque, lieu de vie nécessaire, « essentiel à la vie scientifique » oui, mais lieu qu’ils ne fréquentent plus que

rarement 51! Pour eux, « le problème de la bibliothèque en tant que lieu se posera quand on pourra s’abonner aux revues par internet ». Plus politiquement, certains d’entre eux soulignent qu’il est essentiel de conserver un tel outil au cœur de l’école : pour des laboratoires qui font beaucoup de recherche en partenariat avec des industriels, les publications proposées à la bibliothèque apportent en effet une vision de la recherche fondamentale indispensable à une prise de recul nécessaire (par rapport à la recherche appliquée menée lors des contrats industriels). D’un autre côté, ils sont bien conscients que « cela demanderait des budgets considérables d’avoir une bibliothèque de très haut niveau scientifique, toujours dans le coup ». La nécessité d’un partenariat entre bibliothèques est donc soulignée.

Ainsi voyons nous apparaître l'offre de service constituée par les bibliothèques académiques en réponse à la diversité des attentes des publics présents, souvent segmentée selon les catégories d'utilisateurs. Cet aspect donnera lieu à un développement dans le chapitre 6.2 de ce document.