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Modélisation des systèmes complexes

4.3. Choix d’une méthode de modélisation

4.3.1. Modélisation des systèmes complexes

Jean-Louis Le Moigne est l’auteur francophone qui, dans ses ouvrages « La théorie du système général » et « Modélisation des systèmes complexes » a opéré, à partir d’un socle épistémologique, une cristallisation

des connaissances systémiques dont un des jalons importants était posé par Edgar Morin dans « La méthode ». Son ouvrage sur la modélisation des systèmes complexes a posé les bases de certaines techniques de modélisation que nous avons retenues.

Un système peut se définir par la triangulation de trois sous-systèmes : génétique, ontologique et fonctionnel (Figure 16) ([LEMOIGNE1994], p. 63).

Pôle Génétique

Pôle Ontologique Pôle Fonctionnel

Position retenue pour l’objet à définir

Figure 16 : la définition d'un système par triangulation [LEMOIGNE1994] p. 64.

La définition de l’objet pondère ces trois définitions qui « doivent se joindre et s’imbriquer, révélant par leur compatibilité mutuelle la légitimité de l’hypothèse initiale : ce que l’on modélise est bien modélisable » (op.cit. p. 65).

La définition fonctionnelle est celle que nous construisons par la pratique de l’objet à définir, attentifs à son comportement ou à son utilisation. Elle pourrait être qualifiée de expérimentale ou praxéologique (op.cit. p 63). La définition ontologique décrit la structure de l’objet. Enfin, définir l’objet c’est aussi le connaître dans son histoire et dans son projet, but de la définition génétique. « La trialectique de l’Etre, du Faire et du Devenir est sans doute le sésame de la représentation, sinon de la connaissance de l’objet » (op.cit. p. 64). Ces trois conceptions de la modélisation se croisent sur les trois perceptions du phénomène modélisé dont les trois grandes caractéristiques sont d’être actif, stable et évoluant.

Cette définition nous permettra de considérer le système complexe bibliothèque selon ses trois facettes : la définition fonctionnelle permet de déterminer ce que fait l’objet, sa définition ontologique ce qu’il est et sa définition génétique ce qu’il devient. En diagnostiquant la bibliothèque selon ces trois pôles, nous serons assurés de la considérer dans sa complexité et d'en tirer des conclusions transposables dans sa réalité stratégique.

Si nous souhaitons adopter les principes de la modélisation systémique pour des bibliothèques académiques, qui sont des organisations, voyons quelles sont les propriétés de la modélisation au regard des organisations ? Le concept d’organisation se substitue à celui de structure qu’avait dégagé

la modélisation analytique. Le paradigme de l’organisation décrit une "conjonction d’actions complexes (voir Figure 17), la triple nature de l’organisation, active (éco-organisation), autonome

(auto-organisation) et en évolution (ré-organisation)89 [LEMOIGNE1990] p.74. Un système

complexe fonctionne et se transforme de façon identifiable dans son contexte et son environnement et donc s’autonomise.

Ces propriétés de l’organisation vue comme un système complexe nous permettrons de considérer la bibliothèque comme une entité autonome, en transformation (réorganisation) constante, ouverte sur son environnement, trois approches qui paraissent capitales pour ces organisations ; nous avons étudié dans les chapitres 1 et 2 les questions introduites dans les bibliothèques académiques par les modifications de leur environnement, nous avons vu les transformations organisationnelles qu'elles impliquent, nous avons vu enfin la question, sinon de l'autonomie, du moins des frontières que se posent ces organisations au vu de la transformation des modes de communication et des supports de l'information enregistrée.

La deuxième forme que l’on peut reconnaître pour une organisation est le modèle opération-information-décision qui « rend compte du complexe des opérations tangibles (le système opérant) et du système de décision par l’intermédiaire du système d’information (Figure 18). Ce dernier :

• enregistre le comportement du système complexe (les représentations des opérations du système opérant)

• les mémorise

89 Edgar Morin propose comme définition de l’organisation : l’organisation est l’agencement de relations entre composants ou individus qui produit une unité complexe ou système, doté de qualités inconnues au niveau des composants ou individus. L’organisation lie de façon inter relationnelle des éléments ou évenements ou individus divers qui dès lors deviennent les composants d’un tout. Elle assure solidité et solidité relative, donc assure au système une certaine possibilité de durée en dépit de perturbations aléatoires ». In : Morin, Edgar.- La méthode 1 : La Nature de la Nature.- Paris : Seuil, 1977.

EC O - AU TO - RE - ORGANISATION Exprime la Transformation (diachronique) RE-ORGANISATION Exprime l’Autonomie AU TO-ORGANISATION Exprime le Fonctionnement (sy nchronique) ouvert dans l’Environnement

EC O-ORGANISATION

Figure 17 : Le paradigme de l'organisation (d'après E. Morin in [LEMOIGNE1990]).

• les met à disposition du système de décision. Lequel, après avoir élaboré ses décisions d’action les fait également enregistrer et mémoriser par le SI en les transmettant « pour action » au système opérant » ([LEMOIGNE1990] p. 87).

SYSTEME OPERANT SYSTEME D’INFORMATION

SYSTEME DE DECISION

Figure 18: Le modèle canonique du Système-Organisation : Opération-Information-Décision [LEMOIGNE1990], p. 86.

Cette définition nous permettra, en organisant les fonctions remplies par la bibliothèque académique selon les trois niveaux OID, de mettre en forme les processus que les acteurs des bibliothèques mettent en œuvre. Les bibliothèques académiques sont souvent de petites structures, dans lesquelles les systèmes d’information et de décision sont rarement considérés. Le management est souvent uniquement celui du système opérant. Pourtant, l’étude de ces deux sous-systèmes et leur définition peut nous aider dans la représentation complexe de cette organisation. Nous voyons qu'en faisant cela, nous rentrons dans la "boite noire", que nous ne considérons plus seulement la bibliothèque comme un système traversé d'inputs et d'outputs mais bien comme une entité complexe, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières.

D’autre part, une modélisation ne peut se faire sans considérer les flux qui interviennent dans le système considéré. Ainsi, selon Jean-Louis Le Moigne, « un objet peut processer des flux d’objets eux-mêmes constitués de matière, d’énergie et/ou d’information » ([LEMOIGNE1994], p. 98). Francis Le Gallou ajoute à ces trois niveaux, un niveau « psychologique » contenant les décisions, les pensées, les volontés ([LEGALLOU1992], p. 76). Il souligne d’autre part que ces composants sont toujours positionnés dans le même ordre, celui de leur émergence90. Les différents flux d’une entreprise peuvent ainsi être schématisés dans le tableau suivant :

Physique matière

Energétique énergie

90 Ainsi en est-il de l’évolution socio-industrielle d’après Fourastié : primaire (préstations = matière), secondaire (industrie : énergie), tertiaire (prestations = informations) et quaternaire (éducation, psychologique) [LEGALLOU1992], p. 76.

Informatique informations

Psychologique décisions

Figure 19 : les flux d'une entreprise, d'après Francis Le Gallou [LEGALLOU1992].

« Les quatre composantes MEIP sont coexistantes et imbriquées ». Mais « l’une des composantes a toujours une prépondérance écrasante relativement au système et à ses finalités ». De plus, on peut noter une équivalence entre ces composantes : « matière, énergie, informations, pensées... ne sont pas intrinsèquement et absolument séparables » ([LEGALLOU1992], p. 76). Cette connaissance des flux nous permettra de modéliser les interactions de notre système avec son environnement.

Le système que nous considérons est ouvert. Il agit sur son environnement et « est agit » par lui ([GENELOT1998], p 111). Selon la finalité que l’on accorde à la modélisation, on positionnera différemment la frontière entre le système étudié et son environnement. Les échanges avec l’environnement peuvent prendre la forme d’informations, d’énergie, de matière, d’intentions ou de projets ([MELESE1990], p 66). Le système analysé est une interface entre l’environnement externe, régulateur (organisations partenaires ou de tutelles, fournisseurs, milieux socio-culturels ou économiques, juridiques...) et l’environnement interne (partenaires internes). L’environnement interne est vu comme fonctionnel, regroupant, non pas des unités organiques (service, bureau) mais des unités fonctionnelles ou organisationnelles (services au publics, fonctions liées aux documents, fonctions liées à l’organisation). L’organisation est le siège de logiques qui vont conditionner son activité : logiques financières, juridiques, techniques... L’organisation est alors le lieu d’équilibration, de rencontre de ces logiques parfois contradictoires, en un « équilibre dynamique », toujours provisoire (op.cit., p 49).

Ainsi, d’après Jacques Mélèse, « l’état des lieux du système, sorte de carte du terrain d’étude, peut prendre deux formes :

• un repérage, de type organique, des diverses parties de l’organisation, des divers environnements à prendre en considération ; on dresse ainsi la liste des partenaires internes et externes concernés par le problème.

• on peu aussi, d’un point de vue fonctionnel, décrire les « systèmes transversaux » (externes-internes) qui traversent l’organisation et conditionnent son fonctionnement.

En fait, il est utile de combiner ces deux entrées suivant un dosage propre à chaque situation. On peut utiliser une grille d’analyse organisation-environnement qui part du repérage des systèmes transversaux pour y replacer les partenaires externes et internes structurellement concernés ».

L’auteur identifie ainsi 9 systèmes transversaux en entreprise :

Systèmes transversaux Environnement externe Environnement interne Relations d’équilibre

dynamique institutionnel financier technologique organisationnel professionnel espace-temps symbolique, culturel socio-individuel

Figure 20 : grille d'analyse "organisation-environnement", d'après Jacques Mélèse ([MELESE1990], p. 75).

Nous utiliserons ce type de grille pour établir un diagnostic des environnements d’une bibliothèque académique.