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Le projet de statut de la Cour criminelle internationale

La fin de la guerre froide va favoriser la réouverture des débats à l’initiative de Trinidad-et-Tobago. Mais, l’action de cet État visait avant tout la lutte contre la criminalité liée à la drogue et fit adopter par l’AGNU une résolution en ce sens. L’AGNU317

va saisir de nouveau la CDI, le 4 décembre 1989 sur la question de la création d’une cour criminelle internationale. Le 28 novembre 1990, la CDI est invitée par l’Assemblée générale, « lorsqu’elle poursuivra ses travaux sur l’élaboration du projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, à examiner plus avant et analyser les questions soulevées dans son rapport concernant la question d’une juridiction pénale internationale, y compris la possibilité de créer un tribunal pénal international ou un autre mécanisme juridictionnel pénal à caractère international »318.

Ainsi, lors des sessions qui suivront de 1992 à 1994, les travaux de la Commission seront consacrés principalement à la question de la création éventuelle d’une juridiction pénale internationale et aboutiront à l’adoption en juillet 1994 d’un projet de statut relatif à la création d’une cour criminelle internationale. Notons que ce projet de rapport de la Commission, même s’il demeurait éloigné des préoccupations initiales de Trinidad-et-Tobago a reçu un accueil favorable, à la fois de la coalition pour la Cour criminelle internationale qui est un regroupement d’ONG, et de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le projet de Statut de la Commission de 1994 comprenait 60 articles accompagnés de commentaires, répartis en huit grandes parties. La première partie a trait à l'institution de la Cour (article 1 à 4); la deuxième partie, porte sur la composition et l'administration de la cour ( articles.5 à 19 ); la troisième partie est relative à la compétence de la cour ( art.20 à 24); la quatrième partie,

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Résolution 44/39 du 4 décembre 1989.

à l'information et aux poursuites (art.25 à 31); la cinquième partie, au procès ( 32 à 47) ; la sixième partie, aux recours et à la révision( articles.48 à 50) ; la septième partie, à la coopération internationale et l'assistance judiciaire ( articles. 51 à 57) ; et la huitième partie, à l'exécution (articles. 58 à 60).

À l’examen du projet de statut de 1994 adopté par la Commission, il est intéressant de relever certains points, qui pour nous sont essentiels, notamment la troisième partie qui porte sur la compétence de la Cour (art.20 à 24), qualifiée également de « partie essentielle » par la Commission. Pendant la session, les discussions entre les délégations ont achoppé aussi bien sur la nature des crimes de la compétence de la future cour criminelle que sur la juridiction même de la Cour. Sur cette dernière, deux idées fondamentales s’opposaient et ont été à l’origine de l’option juridictionnelle adoptée par le Statut. La première idée était favorable à un Statut avec une Cour aux compétences étendues aux crimes de caractère international définis dans les traités déjà existants. Pour les tenants de cette option, le Statut n’avait pas vocation à définir de nouveaux crimes. La seconde idée dominante, elle, militait pour que le Statut fasse une distinction « comme le fait le Statut de la CIJ, entre la participation et l'appui à la structure et au fonctionnement de la cour, d'une part, et l'acceptation sa juridiction pour statuer dans une espèce particulière, d'autre part. L'acceptation serait soumise à une procédure distincte (comme dans le cadre de l'Article 36 du Statut de la CIJ) »319. Le projet d’articles du statut tiendra compte des deux grandes positions dans ses dispositions. Tout d’abord, s’agissant des crimes relevant de la compétence de la future cour criminelle, l’article 20 du projet fait une énumération qui permet d’entrevoir en partie la première option prise par le Statut. En effet, l’article 20 dispose :

La Cour a compétence conformément au présent Statut pour les crimes suivants : a) Le crime de génocide ;

b) Le crime d’agression ;

c) Les violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés ; d) Les crimes contre l’humanité ;

e) Les crimes définis ou visés par les dispositions de traités énumérées à l’annexe qui, eu égard au comportement incriminé, constituent des crimes de portée internationale qui sont d'une exceptionnelle gravité.

Concernant le caractère grave des crimes retenus dans le projet de Statut de la Cour criminelle, l’environnement international et les séquelles des deux grands conflits mondiaux passés ou régionaux (Yougoslavie, Rwanda) qui étaient en cours lors de la rédaction du projet

ont influé sur le choix de la Commission. En effet, la Commission a justifié le choix des crimes énumérés dans le projet statut par le fait qu’« ils devraient relever de la compétence de la cour à ce stade soit en raison de leur ampleur, soit du fait qu'ils continuent à se produire, soit encore en raison de leurs conséquences internationales inévitables »320. Par ailleurs, le statut du tribunal de Nüremberg a servi de référence à la Commission pour la désignation de trois (crimes contre l’humanité, crime de génocide, crime d’agression) des quatre crimes du projet de 1994. En outre, de la lecture de cet article, il ressort une classification des crimes faite par la Commission en deux catégories : « Les crimes au regard du droit international général (alinéas a à d) et les crimes définis ou visés par certains traités (alinéa e et annexe) »321. Les alinéas a à d sont relatifs à un ensemble de crimes internationaux au regard du droit international. Il s’agit des crimes contre l’humanité ; du crime d’agression ; du crime de génocide ; et des violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés.

Mais la Commission avait bien conscience du fait que cette classification des crimes, bien qu’elle fût importante ne recouvrait pas l’ensemble des crimes internationaux. C’est ainsi qu’elle y a ajouta à l’alinéa e (en annexe) une autre catégorie de crimes au regard du droit international, découlant cette fois de certains traités déterminés. Si les membres de la Commission ont tenu à inclure au Statut l’annexe, c’est bien parce que celui-ci « énumérait les crimes internationaux déjà définis ou identifiés par des traités multilatéraux auxquels avaient adhéré un grand nombre d'États et qui étaient suffisamment clairs et précis pour permettre à une cour pénale d'en appliquer les dispositions »322. Ainsi, de cette catégorisation des crimes, il en ressortait deux régimes juridiques pour de crimes, qui sont fonction de la nature de leurs dispositions. Pour autant, peut-on conclure que ces deux catégories de crimes sont totalement opposées ?

À cette interrogation, la Commission répond par la négative. En effet, dans son commentaire sur le projet de statut, la CDI déclare : « bien au contraire, elles (les deux catégories) se chevauchent très largement. Les conditions d'existence et d'exercice de la compétence sont essentiellement les mêmes pour les deux catégories, sous réserve de l'exigence évidente de l'applicabilité du traité pertinent à l'accusé »323. Cette fin de commentaire peut déjà nous situer sur les limitations de l’article de l’article 20 du Statut qui porte sur les crimes de la compétence de la Cour. En effet, on peut déjà présager que les

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ACDI, 1994, Vol. II, 2e Partie p. 43.

321 ACDI, 1994, Vol. II, 2e Partie p. 41.

322

ACDI, 1994, Vol. II, 2e Partie p. 42.

rédacteurs du projet de Statut avaient bien conscience du fait que la future Cour n’aurait pas vocation à juger tous les auteurs de crimes internationaux dans la mesure où l’annexe ne contient pas tous les traités internationaux relatifs aux crimes au regard du droit international. Autrement dit, pour qu’un individu soit passible de la Cour, il faudrait que le crime visé soit un crime relevant du droit international général (le génocide, les crimes contre l’humanité, le crime d’agression, les violations graves des lois et coutumes applicables dans les conflits armés) ; ou, que le crime soit un crime défini ou visé dans une disposition d'un des traités énumérés dans l'annexe.

Mais avant tout, un individu accusé ne pourra être jugé devant la Cour que pour des actes qui constituaient un crime de droit international visé par le statut au moment où il a été commis. Un acte qui ne constituait pas un crime international au moment de sa commission ne sera pas opposable devant cette juridiction. Il s’agit simplement de l’application du principe de la légalité criminelle (nullum crimen sine lege). Toujours s’agissant des traités répertoriés, l’une des raisons pour lesquelles la Commission a opté pour une limitation de la compétence de la Cour découlant de ceux-ci, résulte du fait que selon elle, « beaucoup d'entre eux (traité en annexe) pouvaient viser des comportements qui, quoique graves en eux-mêmes, restaient dans le cadre de la compétence des tribunaux nationaux et (dans le contexte d'une affaire individuelle) n'avaient pas à être haussés au niveau d'une juridiction internationale.

Cette nouvelle limitation est exprimée à l'alinéa e qui exige que le crime dont il s'agit, eu égard au comportement incriminé, constitue un crime ayant une portée internationale et une exceptionnelle gravité »324. S’agissant particulièrement de la juridiction de la Cour, il ressort de la lecture combinée des articles 21 et 22 que, le fait pour un État d’être partie au Statut ne confère pas toujours une compétence automatique à la Cour pour connaître un ou des crimes (article 20) relevant de sa compétence. Il faudrait en outre que l’État fasse une déclaration spéciale d’acceptation pouvant intervenir (article 22) selon deux modalités : au moment où il consent à être lié ou ultérieurement par une déclaration déposée au greffe. Cette méthode appelée « acceptation expresse » est celle qui a été préférée par la Commission à une autre, dénommée « exclusion expresse ». La Commission ayant estimé que « c'était là la procédure qui reflétait le mieux les considérations énoncées dans le préambule et qui rendait aussi le mieux sa conception générale de la juridiction de la cour »325. En outre, « la juridiction de la cour a été subordonnée à son acceptation par l'État sur le territoire duquel

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ACDI, 1994, Vol. II, 2è Partie p.43.

le crime allégué a été commis et par l'État sur le territoire duquel se trouve le suspect ». Cette procédure quelque complexe, amène des interrogations quant à l’efficacité de la future Cour quant à sa vocation à lutter contre l’impunité de tous les auteurs de crimes d’une certaine gravité. Aussi, est-on amené à s’interroger sur la réponse de la juridiction pénale si, l’État partie sur le territoire duquel le crime allégué est commis, et /ou l’État sur le territoire duquel se trouve le suspect n’a pas accepté la juridiction de la Cour ? Le refus d’acceptation de la juridiction de la Cour par un État partie ne risque-t-il pas de conduire à une impunité ou à un déni de justice, comme l’histoire de la justice pénale nous a donné de voir des exemples durant la première guerre mondiale avec Guillaume II que les Pays-Bas refusèrent d’extrader ? À cette préoccupation posée, qui pouvait constituer une faiblesse pour cette juridiction naissante, la Commission apporte une réponse sans équivoque, dans les dispositions de l’article 54.

Ainsi pour elle, « […] un État partie dont l'acceptation de la juridiction de la cour est nécessaire mais qui ne l'accepte pas est tenu d'une obligation d'extrader ou déjuger (aut dedere aut judicare) équivalant à l'obligation figurant dans la plupart des traités énumérés à l'annexe »326. Ensuite, la Commission soutiendra que « cette disposition a pour effet d'intégrer la cour criminelle internationale au système existant de compétence en matière pénale et de coopération internationales pour les crimes définis ou visés par des traités »327. Pour finir un constat s’impose ; et concerne l’absence de disposition concernant la question de l’immunité des dirigeants politiques. En effet, dans ce projet, on peut le constater que, même s’il est fait mention de la responsabilité de l’individu, même de façon succincte dans les dispositifs de l’article 21, lorsqu’est abordée la compétence de la cour pour le crime de génocide, on peut affirmer que ; ni le principe de la responsabilité pénale individuelle, ni la question de l’absence d’immunité des gouvernants ne figure dans les dispositions du projet de statut de la Commission de 1994, contrairement aux statuts des TMI de Tokyo et de Nüremberg ou plus récent de TPIY adopté une année auparavant. Si la CDI n’a pas fait figurer lesdits principes dans son projet sur le statut de la Cour criminelle internationale, c’est parce qu’ils y figuraient déjà dans son projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité qui était parallèlement en élaboration et dont la poursuite des travaux dépendait de la définition du crime d’agression.

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ACDI, 1994, Vol. II, 2è Partie p.69.