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Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité

Pour rappel, la CDI reçut dès 1947 le mandat de préparer un projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité par l’Assemblée générale. Pour l’élaboration de son projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, la Commission s’est fondée sur les rapports d’un Rapporteur spécial. Cependant, c’est en 1951, à sa troisième session que la Commission termina la rédaction de son projet de Code qui fut présenté à l’Assemblée328. Le champ d’application du Code a été expressément limité par la Commission aux « crimes qui comportent un élément politique et qui compromettent ou mettent en péril le maintien de la paix et de la sécurité internationales », en excluant les autres crimes internationaux329. La Commission décida en outre de limiter son travail à la responsabilité pénale individuelle, en excluant les personnes morales330.

Lors de sa sixième session en 1954, la CDI a adopté un projet de code composé de quatre articles. L’article 1er reprend le principe de la responsabilité individuelle, « les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sont des crimes de droit international, et les individus qui en sont responsables seront punis ». Le principe de l’absence d’immunité des dirigeants est mentionné à l’article 3 qui dispose que, « le fait que l’auteur a agi en qualité de chef d’État ou de gouvernement ne l’exonère pas de la responsabilité encourue pour avoir commis l’un des crimes définis dans le présent code ».

Mais le 4 décembre 1954, étant donné que le projet de Code posait des problèmes liés à la définition de l’agression, l’AGNU331

chargeait un comité spécial d’étudier la question. En attendant, elle décida de différer l’examen du projet jusqu’à ce que ce Comité ait présenté son rapport. Cette interruption prit fin en 1974, quand l’AGNU put finalement adopter une définition de l’agression332. L’Assemblée générale a adopté le 14 décembre 1974 par consensus la définition de l’agression recommandée par le Comité spécial. Après la définition du crime d’agression, en décembre 1981, la CDI est invitée par l’AGNU333

à reprendre ses travaux en vue de l’élaboration du projet de Code qui avait été suspendu. Lors de sa quarante-troisième session en 1991, la Commission a adopté en première lecture le projet de code des

328ACDI, 1951, Vol. II, para.57 et 59.

329 Il s’agit du trafic des stupéfiants, la traite des femmes et des enfants, l’esclavage, le faux-monnayage et les dommages causés aux câbles sous-marins.

330ACDI. 1951, Vol. II, para.52, a, b et c.

331 Résolution 897(XI), 4 décembre 1954.

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Résolution 3314(XXIX), du 14 décembre 1974.

crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, qui couvrait une douzaine de crimes334. Mais, compte tenu de la forte opposition et des réserves que certains de ces crimes335 avaient suscitées de la part de plusieurs gouvernements, la Commission, durant l’examen du treizième rapport du Rapporteur spécial en 1995, se penchera sur seulement six des crimes adoptés en première lecture que sont, l’agression, le génocide, les violations systématiques et massives des droits de l’homme, les crimes de guerre d’une exceptionnelle gravité, le terrorisme international et le trafic illicite de stupéfiants336. Le projet définitif du code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité a été adopté par la Commission à sa quarante-huitième session au mois de juillet 1996 avec des commentaires et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session.

Ce projet qui se compose d’un ensemble de vingt articles divisés en deux parties, est différent de celui adopté en 1991 par la Commission en première lecture, en raison du nombre réduit de crimes retenus337. Afin de bénéficier du soutien large des gouvernements, la portée de ce texte final a été réduite338. Après avoir examiné les diverses formes que pouvait revêtir le projet de Code ; à savoir une convention internationale adoptée soit par une conférence de plénipotentiaires ou par l’AGNU, ou l’incorporation du code dans le statut d’une juridiction pénale internationale ou l’adoption du code comme une déclaration de l’Assemblée générale, la Commission recommande à l’AGNU le soin de choisir la forme la plus appropriée qui puisse aboutir à une acceptation plus large des Etats339. Le texte du projet qui comporte 20 articles est divisé en deux parties : une première partie intitulée « Dispositions générales » (articles 1ers à 15) et la seconde partie, intitulée relative aux « Crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » (articles 16 à 20). La seconde partie, intitulée « Crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » (articles 16 à 20). Cinq crimes ont été retenus comme constitutifs de la catégorie des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et figurent dans partie II du projet : le crime d’agression (art.16), le génocide (art.17), le crime contre

334 Ce projet comprenait les douze crimes suivants : agression ; menace d’agression ; intervention ; domination coloniale et autres formes de domination étrangère ; génocide ; apartheid ; violations systématiques ou massives des droits de l’homme ; crimes de guerre d’une exceptionnelle gravité ; recrutement, utilisation, financement et instruction de mercenaires ; terrorisme international ; trafic illicite de stupéfiants ; et dommages délibérés et graves à l’environnement.

335 La menace d’agression, l’intervention, la domination coloniale et les autres formes de domination étrangère, l’apartheid, le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires et les dommages délibérés et graves à l’environnement.

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ACDI, 1995, vol. II (deuxième partie), par. 38 et 39.

337ACDI, 1996, vol.II, 2 partie, p.16, para.45.

338ACDI, 1996, vol.II, 2 partie, p.17, para.46.

l’humanité (art.18), les crimes contre le personnel des Nations Unies et le personnel associé (art.19) et le crime de guerre (art.20). La commission a renoncé à proposer une définition générale des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et préféra laisser le soin à la pratique de déterminer les contours du concept : « qui couvre les crimes contre la paix, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité que distinguait l’article 6 du statut de tribunal de Nüremberg ». S’agissant du principe de la responsabilité pénale individuelle pour crime de droit international particulièrement, et établi depuis Nüremberg est réaffirmé dans ce projet de code de 1996 à travers divers articles 2 à 7, et l’article 16 pose le même principe concernant le crime d’agression. L’article 2 pose le principe général de la responsabilité pénale individuelle pour tous les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. L’article 5 est relatif à l’inadmissibilité du fait justificatif du fait de l’obéissance à un gouvernement ou à un supérieur hiérarchique. Le principe de l’absence d’immunité des dirigeants politiques est consacré à l’article 7 en ces termes : « la qualité officielle de l’auteur d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité, même s’il a agi en qualité de chef d’État ou de gouvernement, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine ».

Pour la Commission, cette formulation de l’article 7, vise à « empêcher qu’un individu qui a commis un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité puisse invoquer sa qualité officielle comme circonstance l’exonérant de toute responsabilité ou lui conférant une quelconque immunité, même lorsqu’il prétend que les faits constitutifs du crime entraient dans le cadre de l’exercice de ses fonctions »340

. Toutefois, malgré la déclaration de la Commission, la formulation utilisée dans le libellé de l’article 7, « même s’il a agi en qualité de chef d’État ou de gouvernement », qui fait référence au passé, peut prêter à équivoque. De sorte que l’on pourrait penser que l’article fait uniquement référence aux chefs d’État ou de gouvernements qui ne sont plus en fonction, à l’exclusion de ceux toujours en exercice. Ainsi, seule l’immunité ratione materiae serait applicable, de sorte qu’un chef d’État ou de gouvernement en fonction, présumé responsable d’un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité bénéficierait toujours de l’immunité ratione personae. Une telle interprétation qui aurait pour conséquence de laisser impunis les auteurs de crimes internationaux par le seul fait qu’ils seraient encore en fonction, n’est pas celle qu’a retenue la Commission à en juger par ses commentaires. Pour la Commission, ce bout de phrase qui se fait dans une formule utilisant le présent ne peut pas prêter à confusion. Il montre bien qu’il est ici question des

agents de l’État, des fonctionnaires encore en fonction et bénéficiant souvent de privilèges et immunités. Il s’agit de l’application du principe de la responsabilité individuelle à tous, et surtout « aux personnes occupant les plus hautes fonctions officielles et ayant, de ce fait, les plus grands pouvoirs de décision ». Enfin, pour mettre définitivement fin aux doutes pouvant naître d’une mauvaise interprétation de l’article, la Commission ajoute : « l’auteur d’un crime de droit international ne peut invoquer sa qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale et se mettre à l’abri du châtiment. L’absence de toute immunité procédurale permettant de se soustraire aux poursuites ou au châtiment dans le cadre d’une procédure judiciaire appropriée constitue un corollaire essentiel de l’absence de toute immunité substantielle ou de tout fait justificatif.

Il serait paradoxal que l’intéressé ne puisse pas invoquer sa qualité officielle pour s’exonérer de sa responsabilité pénale, mais puisse l’invoquer pour se soustraire aux conséquences de cette responsabilité »341. Le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité fait aussi apparaître l’agression comme un crime des gouvernants. Les commentaires portant sur l’article 16 abordent le sujet de la responsabilité individuelle pour crime d’agression. Pour la commission, si l’agression peut être un crime commis par les individus, il est aussi et avant tout un crime des gouvernants qui s’effectue selon des modes précis (ordonner-planifier-préparer-déclencher-conduire). En développant son argumentaire, la Commission relève que l’agression est un crime dont les auteurs ne peuvent être que des personnes disposant de pouvoirs très étendus. Cela se perçoit au travers de l’utilisation de qualificatifs « dirigeant », « organisateur » à l’article 16 : « Tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d’organisateur, prend une part ou ordonne dans- ordonne- la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d’une agression commise par un État, est responsable du crime d’agression ».

Ainsi, la lecture de l’article 16 fait apparaitre que ; tout individu est responsable du crime d’agression si ; en qualité de dirigeant ou d’organisateur, il ordonne la planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d’une agression commise par un État ou s’il y participe activement. Pour la Commission, tout individu qui ordonne ou planifie un crime d’agression ne peut se trouver que dans la catégorie d’individus qui disposent de pouvoirs et de capacités de rassemblements de moyens humains ou matériels. En d’autres termes, il ne peut s’agir que de leaders, qui mettent à disposition des exécutants ces moyens. Sans cette

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intervention de leur part, le crime serait difficilement réalisable, sinon impossible. Malgré le fait que l’agression soit à la base un crime de l’État, il ressort que la définition de l’agression dont il est question n’est pas celle commise par un État, mais plutôt celle de l’individu. Ces individus qui sont désignés sous la terminologie de « gouvernants », d’« organisateurs » sont des personnes occupant de hautes fonctions dans l’appareil étatique, doit être entendue au sens large, c’est-à-dire renfermant à la fois les membres du gouvernement, les chefs militaires, les chefs de partis politiques, hauts fonctionnaires. C’est ainsi que pour la Commission, « les auteurs d’un acte d’agression ne peuvent se trouver que dans les catégories d’individus qui possèdent l’autorité ou le pouvoir requis pour être en mesure de jouer éventuellement un rôle déterminant dans la commission d’une agression »342

.

Concernant leur responsabilité, elle doit être encore plus grande que celle des exécutants selon la Commission : « Un haut fonctionnaire qui organise, autorise ou ordonne les crimes ou en est l’instigateur ne fait pas que fournir les moyens et les agents nécessaires pour commettre le crime, il abuse aussi de l’autorité et du pouvoir qui lui ont été confiés. On peut donc le considérer comme encore plus coupable que le subordonné qui commet effectivement l’acte criminel. Il serait paradoxal que les individus qui sont à certains égards, les plus responsables des crimes visés par le code puissent invoquer la souveraineté de l’État et se retrancher derrière l’immunité que leur confèrent leurs fonctions, d’autant plus qu’il s’agit de crimes odieux qui bouleversent la conscience de l’humanité, violent certaines des règles les plus fondamentales du droit international et menacent la paix et la sécurité internationales »343.

Ainsi, en juillet 1996, soit deux années après avoir adopté le projet de statut sur la cour criminelle, la Commission adopte le code des crimes contre la paix qui est le texte de référence de la future juridiction pour juger. Ayant adopté le projet de statut et les commentaires y affairant, la Commission recommanda à l’Assemblée générale la convocation d’une conférence internationale des plénipotentiaires pour étudier le projet de statut et pour conclure une convention relative à la création d’une cour criminelle internationale344. Ainsi, les efforts en vue de créer une cour pénale internationale permanente se sont développés en deux phases distinctes. La codification des crimes sous l’égide de la CDI et l’élaboration d’un projet de statut portant sur une cour criminelle internationale. Le tout devant être adopté à l’occasion de la Conférence diplomatique.

342ACDI, 1996, vol. II, 2 partie, p.45.

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ACDI, 1996, vol. II, 2 partie, p.27.