• Aucun résultat trouvé

« Pour mettre fin à l'insupportable impunité des agents de l'État, il fallait « déchirer le voile étatique », c'est-à-dire atteindre, au-delà de l'État, la personne physique auteur du crime, définir celui-ci au plan international et créer une juridiction susceptible de sanctionner les coupables sur la base de cette définition »203.

Cette réflexion du Pr Alain PELLET résume à elle seule, tout le processus suivi pour aboutir aujourd’hui à la possibilité de poursuivre pénalement des représentants de l’État devant une juridiction internationale que certains pourraient qualifier d’évident. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi ; car, « Évoquer la responsabilité pénale du chef de l’État est longtemps apparu comme inconvenant, voire sacrilège [..] »204. En effet, les représentants de l’État ont pendant longtemps bénéficié d’une attention particulière à cause de certains dogmes qui ont prévalu, et faisant d’eux des personnages spéciaux, sacrés, devant bénéficier d’une protection spéciale en raison de la nature des fonctions exercées. Malheureusement, cette attention particulière sous la forme des immunités qui les exemptaient de toute procédure devant une juridiction pénale nationale ou étrangère fit l’objet de nombreux abus.

L’implication de bon nombre de ces représentants dans le déclenchement des plus grands conflits internationaux et des tragédies qui en ont résulté, contraignît la communauté internationale à remettre en cause cette protection accordée au nom de l’État. Désormais, le représentant de l’État, à l’instar de tout individu devait assumer seul les conséquences dommageables de ses actes, surtout si ceux-ci portent atteinte à la communauté entière. Ainsi, le retrait de la protection étatique s’est fait parallèlement avec la reconnaissance de l’individu en qualité de sujet de droit international (Titre I) ; processus qui permet aujourd’hui à la Cour pénale internationale de rendre justiciables tous les chefs d’État devant sa juridiction (Titre II).

203

PELLETA., « Le projet de Statut de Cour Criminelle Internationale permanente. Vers la fin de L’impunité ? », in Héctor Gros Espiell Amicorum Liber, Personne Humaine Et Droit International, Bruylant, Bruxelles, 1997, Vol II, p.1058.

204 ARDANT P., « La responsabilité pénale du Président français : réponses à deux questions », Pouvoirs N ° 92, p. 61.

Titre I : Le principe de la responsabilité pénale

internationale, fondement de la poursuite des chefs

d’État devant une juridiction internationale

Le premier conflit mondial de 1914-1918 fut l’évènement qui marquera une étape décisive dans le début de la reconnaissance de l’individu en tant que sujet de droit international pénal. Les conséquences de cette « guerre injuste » sont imputées par les forces alliées victorieuses à l’Empereur Guillaume II de Hohenzollern. Aussi, dans le traité de Versailles qui scelle la défaite militaire de l’Allemagne, les forces victorieuses évoquent pour la première fois l’idée de juger l’Empereur Guillaume II devant un tribunal spécialement créé à cet effet. Pour la première fois, est affirmé le principe de la responsabilité pénale d’un dirigeant étatique, et devant une juridiction pénale internationale qui serait composée des juges des nations victorieuses (Chapitre I).

Les principes élaborés par le traité Versailles n’auront à s’appliquer à Guillaume II. Les Pays-Bas ayant refusé de le remettre aux puissances victorieuses. Mais peu importe, les principes affirmés par le traité de Versailles seront repris dans les statuts des juridictions qui seront créées au lendemain de la seconde guerre mondiale et celles crées après le conflit dans les Balkans de 1993 et le génocide rwandais de 1994, où ils auront à s’appliquer à des personnalités accusées des crimes relevant de la compétence de ces juridictions. Cependant, c’est la signature le 17 juillet 1998 du Statut de Rome mettant en place la première juridiction pénale internationale permanente qui va consacrer le principe de la responsabilité individuelle qui fonde les poursuites des officiels sans égard à leur qualité officielle (Chapitre II).

Chapitre I : L’affirmation du principe de la responsabilité

pénale internationale du chef d’État devant une juridiction

pénale internationale

Après quatre années d’une guerre d’agression déclenchée par l’Allemagne, le Traité de paix de Versailles est signé le 28 juin 1919 entre l’Allemagne et les puissances Alliées205

. Ce traité qui consacrait la défaite militaire de l’Allemagne va pour la première fois affirmer le principe de la responsabilité individuelle internationale à l’occasion de la mise œuvre de la responsabilité de l’empereur Guillaume II de Hohenzollern. À cet effet, les vainqueurs de cette guerre ont prévu la création d’un tribunal spécial chargé de juger l’ex empereur Guillaume II. Avec ce tribunal, pour la première fois, était discutée la possibilité de juger un chef d’État devant une juridiction internationale spécialement créée à cet effet. Il s’agissait là d’une option nouvelle car, avant ce traité, l’idée dominante était que le souverain d’un État ne pouvait être tenu personnellement responsable de ses faits, encore moins de ceux de ses subordonnés.

Le souverain bénéficiait d’une immunité absolue aussi bien devant les juridictions nationales que celles d’autres Etats à raison des règles de courtoisie. Le chef d’État était avant tout le représentant de l’État et souvent il était assimilé à la personne publique, de sorte que les immunités qui étaient avant tout accordées à l’État lui conféraient la même protection. Avec le Traité de Versailles, qui mettait fin à la première guerre mondiale, le bouclier étatique qui faisait écran à la responsabilité personnelle des dirigeants va céder devant les atrocités occasionnées par ce conflit. Désormais, la conscience humaine était unanime pour refuser le fait que des atrocités soient commises au nom des nécessités de guerre. Ce processus va se poursuivre à la fin du second conflit mondial de 1945, à l’occasion des procès contre les grands criminels de guerre, pour connaître une application effective plus récemment avec les juridictions ad’hoc créées en 1993 et 1994 par le Conseil de sécurité durant les conflits yougoslaves et rwandais. Ainsi est-on passé de la création d’une juridiction spéciale pour juger un chef d’État par le Traité de Versailles (Section I), à la création de tribunaux pour juger des grands criminels de guerre au nombre desquels figurent des dirigeants politiques, des officiels qui autrement ont pu échapper aux sanctions pénales (Section II).

205 Les forces Alliées étaient constituées principalement par la France, l’Italie, l’URSS, le Royaume-Uni, et les Etats-Unis.

Section I : De la création d’un tribunal spécial pour juger un chef

d’État

Le premier conflit mondial a été marqué par des atrocités pratiquées à une échelle comme jamais constatée auparavant ; et dont la responsabilité première fut imputée à l’Empire allemand. Mais si la responsabilité principale de cette guerre fut imputée à l’Allemagne, la responsabilité personnelle de son Empereur n’a toutefois pas été omise. En effet, la responsabilité personnelle de l’empereur Guillaume II de Hohenzollern a été retenue ; accusé d’être le principal artisan de la guerre d’agression (déclenchée par l’Allemagne). Pour en arriver à cette conclusion, peu de temps après la fin effective de ce conflit, une conférence des préliminaires de paix a mis en place dès le 25 janvier 1919 un comité ad’hoc dénommée « Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions ». Cette Commission aura pour mandat de faire des recommandations pour une conférence de paix devant se tenir à Versailles et qui avait pour objet de sceller définitivement la fin du conflit par un traité (Traité de Versailles). Les travaux de cette Commission ont fortement contribué à l’émergence de la justice pénale internationale et certains des principes qui la caractérisent aujourd’hui (§1). C’est également cette commission qui émit pour la première fois l’idée de création d’un tribunal spécial pour juger un chef d’État (§2).

Paragraphe I : Des travaux de la Commission des responsabilités des