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les difficultés de réunion des preuves contre le président Kenyatta

Depuis le 5 décembre 2014, la Procureur de la Cour pénale internationale a décidé d’abandonner les différentes charges de crimes contre l’humanité qui pesaient sur le Président

489 Dans l’affaire Le Procureur c. Uhuru Kenyatta, la défense a refusé de fournir les extraits de communications du Président réclamées par le Procureur pour ces motifs.

Kenyan (B). Le Procureur justifie sa décision par l’absence de coopération des autorités qui n’aurait pas facilité le travail de son bureau pour la réunion des éléments de preuves (A).

A- Le manque de coopération du Kenya

Le procès des dirigeants kenyans devait s’ouvrir à un moment marqué par des tensions fortes entre l’Union africaine et l’institution judiciaire internationale qui avait, avant les actes de procédure qui leur étaient adressées, préalablement émis des mandats d’arrêt contre les présidents soudanais et libyen. Ayant échoué à obtenir du Conseil de sécurité la suspension des poursuites de la CPI malgré le soutien de l’Union Africaine, le président Kenyatta et son vice-président se sont résolus à respecter l’engagement qu’ils avaient pris au moment de la notification des citations de coopérer pleinement avec la Cour, en se rendant à leurs procès ; car, rappelons que le Kenya est membre de la CPI. À la différence des poursuites effectuées contre les dirigeants soudanais et libyen qui ont fait l’objet de mandat d’arrêt, les autorités kenyanes ont reçu des citations à comparaître qui leur permet de se rendre librement à leur procès, sans mesure d’exécution forcée. Ces nouvelles accusations proférées contre des dirigeants en exercice, comme les précédentes seront dénoncées par l’UA qui demandera une fois de plus à ses États membres ne pas coopérer avec la CPI. Pourtant les autorités kenyanes vont se résoudre à le faire. Rappelons tout de même que le Kenya a ratifié le Statut de Rome. Était-ce une réelle volonté de coopérer de foi avec la CPI pour la manifestation de la vérité ?

Où étaient-ce plutôt des paroles de politiciens dos au mur devant des engagements dont ils ne savaient sur le coup comment s’en défaire ? Toujours était-il que, avec le soutien de l’UA, elles accusent la CPI de procéder à un acharnement judiciaire sur les dirigeants africains, les autorités kenyanes affirment leur désir de coopérer. Pourtant, très vite on se rend compte du décalage entre les affirmations et leurs actes. Et la survenance d’un second évènement sera utilisé comme un moyen pour servir leur cause. Alors que la date de son procès se profilait, le pays était confronté à une instabilité politique, due à une attaque terroriste perpétrée par les islamistes somaliens des Shebbab le 21 septembre 2013 dans un centre commercial de la capitale. Cette attaque a lieu dans un contexte général d’hostilité et de défiance des Etats membres de l’Union africaine envers la CPI. En mai 2013 le Conseil Exécutif491de l’UA adoptait une résolution demandant à la Cour d’abandonner les poursuites contre Kenyatta et son vice-président William Ruto. Plus tard, le 12 octobre de la même

491 Le Conseil exécutif est composé des Ministres des affaires étrangères des pays membres de l’UA. Cette résolution a été votée par tous les Etats, à l’exception du Botswana qui a émis une réserve.

année, à l’occasion du sommet extraordinaire de l’organisation régionale consacré aux relations entre la CPI et l’Afrique, qui aura lieu à Addis-Abeba, l’UA réclame le bénéfice de l’immunité aux chefs d’État durant leur mandat devant la justice internationale. Le Kenya soutiendra bien entendu le Communiqué de l’UA. Avant le président Kenyatta, l’UA avait adopté des positions similaires pour soutenir les Présidents soudanais et libyen poursuivis par la Cour. Cette procédure intervenait donc dans un contexte marqué par les affirmations selon lesquelles les dirigeants du continent africain sont la cible principale de la CPI et par le désir des Etats membres de l’UA de se retirer du Statut de Rome. À la suite de ce sommet, l’organisation régionale saisit le Conseil de sécurité de l’ONU afin d’obtenir un ajournement des procédures en cours contre les dirigeants en exercice.

Cette demande de l’UA se basait sur des dispositions du Statut de la CPI. En effet, l’article 16 du Statut de Rome permet au CSNU de suspendre les procédures et enquêtes en cours pour une durée d’une année renouvelable. L’UA demande également à sa Commission de réfléchir à la possibilité d’élargir le mandat de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) aux crimes internationaux de la compétence de la CPI. L’Union Africaine, à travers cet activisme cherche en réalité à mettre hors de portée de la CPI, les Etats africains et leurs dirigeants soupçonnés de crimes internationaux. Cette position de l’UA ne manque pas de susciter des interrogations sur l’intention réelle des dirigeants africains. L’UA tente-t-elle de soustraire les dirigeants africains de la juridiction de la CPI pour les soumettre à une juridiction regionale africaine ? Sont-ils inspirés par une volonté réelle de lutter contre les violations massives des droits de l’homme ou plutôt par un désir de protection envers une « corporation » que certains analystes qualifient de « syndicat des chefs d’État » ?

Le Kenya essaiera de maintenir la pression sur la Cour, en entreprenant toute une série de mesures tant au niveau national qu’international492, en vue de soustraire ses dirigeants à toute procédure devant la Cour. Difficile de ne pas percevoir un acte délibéré des mis en cause d’entraver le cours de la justice. En effet, l’idée de dénoncer la Convention de Rome est une initiative des députés majoritaires constitués des partisans du Président et son vice-président qui forment désormais une coalition, après avoir été opposés aux dernières élections de 2013493. Les initiatives des autorités kenyanes peuvent faire naître de réels doutes sur leur

492 Le 2 mai 2013, l’ambassadeur du Kenya aux Nations unies avait remis une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il lui était demandé de mettre fin aux poursuites contre les dirigeants kényans, au motif que ces poursuites constituaient une entrave au processus de réconciliation en cours. Le Kenya soulignait par ailleurs que des procédures en vue de trouver des solutions internes étaient en vue.

493 La motion de retrait a été adoptée le 5 septembre 2013, par les députés majoritaires, mais sa force juridique est à relativiser. Cette motion revêt plus une valeur politique que juridique. En effet, la Constitution Kenyane stipule que, seul le Gouvernement peut décider d’un retrait du pays d’une convention internationale. Une telle

bonne foi à lutter contre l’impunité des auteurs des crimes résultant des violences postélectorales. En rendant officielle leur volonté de se retirer du Statut de Rome, l’objectif est de soustraire désormais toute affaire ultérieure concernant le Kenya à la compétence de la CPI494. Mais pour autant, un retrait effectif du Kenya pourrait-il entraîner une suspension des procédures en cours contre Kenyatta et son vice-président ? La réponse à cette interrogation qui est celle des victimes, est apportée par le porte-parole de la Cour pénale, M. Fadi Abdallah pour qui, « Un retrait n'aurait d'impact qu'au moins un an après le dépôt d'une notification de retrait auprès du secrétaire général de l'ONU. Et en tout état de cause, un retrait du statut de Rome n'aura d'effet que pour le futur. C'est-à-dire que toutes les enquêtes qui sont lancées, toutes les affaires qui sont en cours, ne peuvent pas être arrêtées ou influencées. ». Si le Kenya venait à emprunter cette voie, cela n’aurait d’effet que douze mois après la notification de retrait adressée au Greffe de la Cour.

En d’autres termes, les procédures contre Kenyatta et William Ruto devraient aller à leur terme malgré tout. D’ailleurs, le nouveau Procureur de la Cour, Mme Bensouda a confirmé la volonté de l’institution judiciaire de poursuivre les procédures en cours. Sachant sans doute que cet acharnement n’aurait aucun effet sur les procédures en cours ; les autorités kenyanes n’ont à ce jour entrepris aucune procédure de retrait auprès de la CPI et les procédures contre le président et le vice-président ont pu suivre leur cours. Au Kenya, constatant l’inertie des institutions judiciaires nationales, la stratégie du Procureur va consister à poursuivre de prime abord six personnalités issues des deux groupements politiques qui se sont affrontés durant la crise495. Cette stratégie donne lieu à la constitution de deux affaires distinctes496. L’une ouverte par le Procureur contre des personnalités proches de l’opposition497

et l’autre menée contre les proches du président Kibaki498.

procédure n’a pas encore été entamée malgré l’hostilité évidente du Kenya aux procédures en cours contre son Président et son vice-président.

494 À deux reprises le parlement kenyan a voté une motion demandant le retrait du Kenya de la CPI. Le premier vote remonte à 2010, lorsque le Procureur obtenait l’autorisation d’ouvrir une enquête sur les violences post-électorales de 2007. La seconde a eu lieu en 2013.

495 Du côté de l’opposition, William Ruto, membre du parlement, et haut responsable du Mouvement Démocratique Orange (MDO), Henry Kiprono Kosgey, membre du parlement lui aussi, et président MDO et Joshua Arap Sang, journaliste, animateur de radio, tous proches de Raila Odinga ; côté présidentiel, Uhuru Kenyatta, soutien du président Mwai Kibaki, et d’ethnie kikuyu comme lui, Francis Muthaura ministre de la fonction publique, et Mohammed Hussein Ali, chef de la police kenyane.

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MBOKANI J-J., « La CPI : Une Cour contre les africains ou attentive aux souffrances des victimes », Revue québécoise de droit international, n° 26 /2 (2013), p. 63.

497 Le Procureur c William Samoei Ruto, Henry Kiprono Kosgey et Joshua Arap Sang, ICC-01/09-01/11, Decision on the confirmation of charges pursuant to article 61(7)(a) and (b) of the Rome Statute (23 janvier 2012) (Cour pénale internationale, Chambre préliminaire II), consulté le 4 novembre 2017 sur : « https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2014_09975.PDF ».

En définitive, la Cour retient uniquement les charges contre Uhuru Kenyatta (Le Procureur c. Uhuru Kenyatta)499 concernant les proches de Kibaki ; quand du côté de l’opposition, sont poursuivis William Ruto et le journaliste Joshua Arap Sang500

. Désormais à la tête de son pays, Uhuru Kenyatta savait qu’il serait confronté tout comme son vice-président à la CPI. Pour M. Kenyatta, ce ne serait pas la première fois de se rendre à une convocation de la Cour. En effet, ce dernier qui s’était déjà présenté aux premières audiences d’avril et de septembre à octobre 2011, s’était engagé à continuer à coopérer501

. Il s’agissait d’une audience en vue d’un éventuel report de son procès. Il était alors vice-premier ministre du Kenya. La situation est aujourd’hui quelque peu différente. Il occupe désormais les fonctions de président de la République depuis le 9 avril 2013 dans un contexte marqué par une fronde des Etats membres de l’UA contre la CPI. Ces deux personnalités accepteraient-elles de continuer la coopération promise, en répondant favorablement aux convocations des juges de la Cour pénale ?

La comparution du vice-président et son coaccusé le journaliste Joshua Arap Sang le 10 septembre 2013502 devant la Chambre de première instance V(a) de la Cour pénale internationale (CPI) mettra fin aux doutes. Cette audience, comme la plupart des procédures devant la cour était en principe prévue pour durer des mois. Mais les nouvelles fonctions des accusés pouvaient-elles s’accommoder d’une absence aussi longue et continue du pays ? Telles étaient les préoccupations des autorités kenyanes et de l’UA. Le 21 septembre 2013, les attaques terroristes du « Westgate Mall » intervenues moins de deux semaines après l’ouverture du procès, viendront conforter les dirigeants les dirigeants kenyans et l’UA dans leur prétention à soustraire les chefs d’État en exercice de toute procédure contentieuse devant la Cour pénale, en mettant en avant la spécificité de la fonction présidentielle et les obligations inhérentes. Cette situation imprévue, survenue au cours de la procédure sera mise en avant par la défense pour demander une suspension des audiences qui leur sera accordée afin de retourner au Kenya et accomplir sa fonction auprès du chef de l’État pour William

498 Le Procureur c Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Mugai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali, ICC01/09-02/11, Decision on the confirmation of charges pursuant to article 61(7)(a) and (b) of the Rome Statute (23 janvier 2012) (Cour pénale internationale, Chambre préliminaire II), consulté sur le 4 novembre 2017 sur : « https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2014_10011.PDF ».

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Le 11 mars 2013 cependant, le Procureur a estimé qu’il ne disposait pas d’assez d’éléments de preuves contre le ministre Francis Kirimi Muthaura et a en conséquence demandé, et obtenu de la Chambre préliminaire, le retrait des charges, à la suite de la rétractation d’un témoin clé de l’accusation. Les charges contre Mohammed Ali ont également été abandonnées pour insuffisance de preuves.

500 La Chambre préliminaire a confirmé les charges contre William Ruto et Arap Sang et refusé de les confirmer pour Monsieur Kiprono Kosgey.

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DECHERF D., « Le Kenya et la Cour pénale internationale », Études 2013/11 (Tome 419), p. 449.

Ruto. La Cour pénale a choisi d’alterner les procédures afin que celles-ci n’impactent pas négativement leurs obligations et le fonctionnement normal du pays.

L’ouverture du second procès qui opposait le Procureur à M. Uhuru Kenyatta programmée au 12 novembre 2013 sera à nouveau reporté pour s’ouvrir en définitive au mois d’octobre 2014. Après plusieurs reports dus à la rétractation de plusieurs témoins de l’accusation503

, le procès du président Kenyatta s’ouvre le 8 octobre 2014 en sa présence. Avant de se rendre à La Haye, le président procède à une délégation officielle de pouvoirs au vice-président resté au pays le temps de son absence ; prenant le soin de déclarer qu’il y est à titre personnel, comme un simple citoyen et non en tant que président de la République. M. Uhuru Kenyatta voulait-il par cette procédure solennelle, opérer une séparation entre la fonction de chef d’État et l’individu et affirmer le principe de l’injusticiabilité du souverain ? Toujours est-il que, pendant que les autorités répondent aux actes de procédures, elles poursuivent en parallèle au côté de l’UA des actions en vue d’obtenir la suspension des poursuites, ou à défaut, traitement spécial à raison de la nature exceptionnelle de la fonction exceptionnelle et les immunités qui y sont attachées.

La menace de retrait était donc une tentative de pression qui fait malheureusement penser que ; dans la mesure où la Cour poursuit le citoyen « ordinaire » elle est juste ; et elle « n’est plus le lieu de la justice mais le jouet des pouvoirs impérialistes en déclin »504

dès lors qu’elle s’intéresse à la responsabilité pénale individuelle des chefs d’État du continent africain. Une juridiction africaine ne sera pas plus efficace parce qu’elle serait l’émanation de l’organisation regionale ou des africains eux-mêmes. Il ressort des différentes récriminations contre la Cour, qu’il n’est malheureusement fait aucune mention des droits des victimes que les chefs d’État sont pourtant censés protéger. S’agit-il à travers ces actions, de protéger les dirigeants sans égard à la question réelle de la légitimité des accusations portées contre ces derniers ? Sans préjuger de la culpabilité ou non de Kenyatta et William Ruto, cette posture est inquiétante et amène à douter de la bonne foi des dirigeants. Heureusement que les critiques de l’UA ne rencontrent pas l’adhésion de tous, dirigeants et Etats du continent. Pour l’archevêque Sud-africain, Prix Nobel de la Paix 1984, Desmond Tutu, « Les dirigeants africains réclamant un retrait de la CPI, cherchent en réalité un permis de tuer et

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Les défections auraient débuté à la suite de la publication de leurs noms en 2010, et qui s’est accrue après la victoire de M. Uhuru Kenyatta et son nouvel allié William Ruto à l’élection présidentielle de mars 2013.