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Les principes de la responsabilité pénale individuelle et de l’absence d’immunité dans le Statut du TMI

A- La question de l’immunité des dirigeants lors de l’élaboration du Statut du TMI

2- Les principes de la responsabilité pénale individuelle et de l’absence d’immunité dans le Statut du TMI

Les principes élaborés par le juge JACKSON et contenus dans le Statut du TMI de Nüremberg ne sont pas différents de celui du Statut de Tokyo. D’ailleurs la jurisprudence de Tokyo s’inspirera de celle de Nüremberg également.

a- Dans le Statut du TMI de Nüremberg

Les principes élaborés par le juge Jackson et repris dans le Statut du Tribunal de Nüremberg qui est annexé à l’Accord de Londres ont fortement contribué à mettre fin aux « doctrines périmées » de l’ordre du supérieur hiérarchique et de l’obéissance ordre de l’État, en établissant le principe de la responsabilité pénale individuelle quelle que soit la fonction occupée au sein de l’appareil étatique. Le juge avait conscience du fait que, ces « doctrines » parce que source d’impunité, ont donné lieu à des abus qui n’ont pu être sans conséquence sur les massacres perpétrés par les puissances de l’Axe. Ces doctrines seront donc remises en cause et insérées dans le Statut du Tribunal militaire international de Nüremberg adopté le 8 aout 1945, concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l’Axe. La matérialisation de cette double prise de position est bien affirmée dans diverses dispositions du Statut qui portent sur la responsabilité pénale individuelle.

236 Le Statut du Tribunal est annexé à l’accord de Londres du 8 aout 1945.

237 VERHAEGEN J., Le droit international pénal de Nüremberg : Acquis et régression, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 4.

Ainsi, depuis l’article premier du Statut du Tribunal, le principe de la responsabilité pénale individuelle pour crime de droit international est affirmé en lien avec l’établissement du tribunal. En effet, il y est mentionné : « un Tribunal Militaire international sera établi après consultation avec le Conseil de contrôle en Allemagne pour juger les criminels de guerre dont les crimes sont sans localisation géographique précise, qu’ils soient accusés individuellement, ou à titre de membres d’organisations ou de groupements, ou à ce double titre ». Ce tribunal prévoyait le jugement et le châtiment des personnes ayant commis des crimes de guerre, des crimes contre la paix et des crimes contre l’humanité238. Si à travers ces dispositions, il ne fait aucun doute que le Statut a vocation à s’appliquer à tout individu sans distinction, il met l’accent tout de même sur une catégorie spéciale d’individus. De toute évidence l’on a affaire à des individus qui disposent d’une autorité suffisante pour se faire obéir par des groupements humains. Le contexte laisse peu de doute au fait qu’il est question de dirigeants politiques ou des divers démembrements de l’État. Il s’agit d’organisateurs qui sans avoir forcement réalisé les actes constitutifs de l’infraction, ont facilité sa commission par leur apport déterminant. Cette catégorie d’individus est mentionnée à l’article 6 in fine qui aborde cette catégorie de personnes sous la terminologie de : « dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis pour toutes personnes, en exécution de ce plan ».

Quant à l’article 7, il ressort de ces dispositions que : « La situation officielle des accusés, soit comme chefs d’État, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine ». Il s’agit de la matérialisation du principe de l’absence d’immunité du chef de l’État et autres officiels qui avait été affirmé par le traité de Versailles. L’article suivant constitue l’un des points saillants du projet élaboré par le juge JACKSON. Il s’agit de l’article 8 qui dispose que : « le fait que l’accusé a agi comme conformément aux instructions de son gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l’exige ».

Cette double prise de position contre les principes désuets qui prévalaient entraîne un double degré de responsabilité : celle du donneur d’ordre ou de l’auteur moral de tout acte ou de toute décision contraire au droit international, quelque que soit sa situation officielle et quelle que soit la justification donnée ; et une responsabilité des exécutants de telles mesures

dites officielles239. Ces principes du Statut du tribunal militaire de Tokyo ne sont pas différents. Et ce sont ces différents principes que le TMI de Nüremberg et plus tard le TMI de Tokyo devaient appliquer à tout individu qui était amené à comparaître devant leur juridiction.

b- Dans le Statut du TMI de Tokyo

Le TMI de Tokyo a été créé après celui de Nüremberg. L’on peut remonter à la conférence du Caire de novembre 1943240 pour trouver ses origines. En effet, c’est à l’issue de cette conférence que les Etats-Unis, la Chine et le Royaume-Uni ont émis la volonté de mettre fin à ce conflit et de punir l’agression du Japon et ses alliés. Cette volonté de voir punis les auteurs de graves violations de lois et coutumes de guerre sera réitérée à Postdam par une autre déclaration le 26 juillet 1945. Toutefois, c’est à l’occasion de la conférence de Moscou que le siège du Tribunal sera fixé à Tokyo et le 19 janvier 1946 le Statut du Tribunal sera décrété par une ordonnance du général Douglas Mac ARTUR alors commandant suprême des forces alliées au Japon.

La charte du Tribunal de Nüremberg servit de référence à celle de Tokyo ; ses jugements aussi servirent de modèle aux avocats de la défense et aux juges. Le tribunal international de Tokyo était composé de onze juges241 choisis par le Commandant suprême des forces alliées, le général Mac ARTUR, « pour le juste et prompt châtiment des grands criminels de guerre d’Extrême-Orient »242

. Ici comme à Nüremberg, la poursuite des individus portait à titre principal sur les « organisateurs », les « dirigeants », bref, les officiels nippons et les très hauts officiers militaires accusés d’avoir une grande responsabilité dans « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ».

239

VERHAEGEN J., Le droit international pénal de Nüremberg : Acquis et régression, op.cit., p. 4.

240 La Conférence du Caire est une conférence entre les forces alliées de la seconde guerre mondiale tenue du 22 au 26 nombre dans la capitale égyptienne. Participaient à cette conférence le président américain T. ROOSEVELT, le Premier ministre anglais Churchill et le chef des armées du gouvernement de la République de Chine. Il s’agissait pour les participants de négocier les modalités de la reddition sans conditions du Japon, la restitution des iles chinoises occupées par l’Empire nippon.

241

Soit un juge pour chacun des pays victorieux : États-Unis, URSS, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Chine, Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Inde, et les Philippines. Le Président du Tribunal était l'Australien William Webb et le procureur en chef était l'Américain Joseph Keenan.

Avec ce tribunal, les principes de la non pertinence de la qualité officielle et de l’absence d’immunités pour les auteurs de crimes internationaux ont été de nouveau affirmés ; reprenant en des termes sans équivoque que « le principe du droit international, qui dans certaines circonstances protège les représentants d’un État, ne peut s’appliquer aux actes condamnés comme criminels en droit international »243. Cependant, quelques points notables de différence sont à relever de l’article 6 in fine du Statut du TMI de Tokyo qui peut trouver aussi à s’appliquer au chef d’État. Cet article dispose que : « ni la position officielle d’un accusé, à aucun moment, ni le fait qu’un accusé a agi conforment aux ordres de son gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne suffira, en soi, à dégager la responsabilité de cet accusé de tout crime dont il est inculpé, mais ces circonstances peuvent être considérées comme atténuantes dans le verdict, si le Tribunal décide que la justice l’exige ».

À la différence du statut du statut de Nüremberg, celui du tribunal militaire de Tokyo contient une règlementation plus souple dans la mesure où, la qualité officielle ou l’ordre du supérieur pouvaient constituer des circonstances atténuantes sous certaines conditions. Ces circonstances atténuantes qui diluent quelque peu les objectifs de cette juridiction de lutter contre l’impunité. Fort heureusement, on a pu constater que cette règlementation qui à juste titre a été considérée comme « un épisode isolé dans le développement du principe de l’absence d’immunité des dirigeants politiques auteurs de crimes internationaux »244

n’a jamais été appliquée aussi bien par le Tribunal de Tokyo que par le TMI de Nüremberg, ni d’ailleurs par les juridictions internationales ultérieures.