• Aucun résultat trouvé

Les idées forces du traité de Versailles

Toutes les recommandations du Rapport de la Commission des responsabilités n’ont pas été retenues par la Conférence de Versailles. Au titre des mesures retenues, l’on peut évoquer l’idée de création d’un tribunal « spécial » pour juger Guillaume II (B), bien entendu, cela devait avant tout passer par la reconnaissance préalable de sa responsabilité pénale individuelle (A).

214Historique du problème de la juridiction criminelle internationale, Mémorandum du Secrétaire Général, 27 mai 1949, A/CN.4/7/Rev.1, Annexe 1, pp.52 et suivant (Extrait du Rapport présenté à la Conférence des préliminaires de paix de 1919 par la Commission des responsabilités des auteurs de guerre et sanctions).

A- La reconnaissance de la responsabilité pénale individuelle du Kaiser

La débâcle militaire de l’Allemagne entraîne la fuite de celui qui est considéré comme le principal artisan du premier conflit mondial vers les Pays-Bas où il trouva refuge. Même s’il n’est pas appréhendé par les forces alliées, cette fuite n’entame pas pour autant leur volonté de le traduire devant un tribunal afin qu’il puisse répondre de ses actes devant les tribunaux, le déclenchement de cette guerre considérée comme injuste par les puissances alliées. La volonté de traduire un souverain devant un tribunal était suffisamment rare à une époque toujours dominée par le sacrosaint principe de la souveraineté des Etats et de leurs représentants auxquels la coutume internationale reconnait l’immunité devant les juridictions étrangères, sans oublier que ces derniers étaient injusticiables des juridictions nationales.

Pour ce faire, les juristes des puissances alliées vont se pencher sur la question de savoir si l’immunité de l’empereur Guillaume II pouvait être levée ; et si, dans cette éventualité, il y’avait une possibilité de le traduire devant la juridiction d’un État vainqueur, le cas échéant devant une juridiction supranationale à mettre en place. En dépit des dégâts occasionnés par cette guerre, l’idée de voir le Kaiser jugé ne faisait pas l’unanimité au sein des forces alliées. À titre d’exemple, les Etats-Unis ne sont pas favorables au jugement d’un chef d’État, même déchu. La délégation française à Versailles ne partageait pas ce le même point de vue américain : « On a tenté d’invoquer […] les immunités et notamment l’inviolabilité du souverain. Mais ces prérogatives, quelle que puisse en être la portée en droit interne, ont seulement la valeur d’un expédient juridique sans caractère essentiel. Quand bien même dans certains pays, un souverain serait exempt de toute poursuite devant un tribunal de son propre pays, la question de la responsabilité pénale se présente en tous cas fort différemment du point de vue international »215. Pour la délégation française, il était totalement inconcevable d’envisager l’exercice d’un pouvoir sans responsabilité ad minima. C’est pourquoi, elle admet dans son mémoire en substance : « Le droit moderne ne connait plus d’autorités irresponsables, même au sommet des hiérarchies. [..] Là où est l’autorité, là aussi est le responsable »216. En fin de compte, divers griefs seront retenus contre l’Empereur Guillaume II, dont son entrée en guerre et la violation de la neutralité belge. Le Traité de paix de Versailles va retenir l’idée selon laquelle « le principe de la responsabilité individuelle s’étend au cas des chefs d’État ». Il s’agit de la reprise ici d’une des recommandations de la

215

LARNAUDE F. et LA PRADELLE A. de., « Examen de la responsabilité pénale de l’Empereur Guillaume II d’Allemagne », JDI, 1919, tome 46, p. 31.

216 Voy, Mémoire français du 29 janvier 1919, la documentation internationale, la paix de Versailles III, Responsabilité des auteurs de guerre et sanctions, 1930, p. 474.

Commission217 qui devait préparer la Conférence de Versailles. Le traité de Versailles propose en son article 227, la création d’« un tribunal spécial » chargé de juger l’ex-empereur allemand Guillaume II de Hohenzollern. Cet article dispose ainsi :

« Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. Un Tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de la défense (...). Le Tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale internationale. II lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée »218. L’idée derrière cette volonté de mettre en accusation l’Empereur Guillaume devant une juridiction internationale était de contourner les obstacles liés à l’impossibilité de faire juger le chef d’État devant une juridiction nationale.

En vertu du principe d’égalité souveraine des Etats dans les relations internationales, aucun État ne pouvait soumettre le souverain d’un État tiers, mais aussi à raison des immunités qui leur étaient reconnues. Mais, ce sont les organes de l’État qui exercent la souveraineté in concreto pour le compte de la personne morale, dont le représentant suprême est le chef de l’État. Pendant longtemps, il y’avait une assimilation totale des actes accomplis par le chef d’État à ceux de l’État, et ce, quels qu’ils soient. La conséquence majeure était une impossibilité de poursuivre le chef d’État, dans la mesure où, les actes sont supposés accomplis au nom et pour le compte de l’État. On parlait alors d’individu-organe pour faire référence au souverain, au roi, bref, au représentant de l’État. Pour la première fois, l’idée d’une poursuite de l’individu-organe d’un État souverain était envisagée, à l’instar du citoyen ordinaire ; à la différence que, la mise en œuvre de cette responsabilité était envisagée non pas devant les juridictions nationales, mais devant un tribunal international prévu à cet effet.

B- Le projet de création d’un tribunal spécial par le traité de Versailles

Avec le traité de Versailles, seront affirmés pour la première fois les principes de la responsabilité personnelle et de l’absence d’immunité des dirigeants politiques. En plus de ces principes, les vainqueurs de la guerre vont proposer la création d’un tribunal spécial, mais en

217 La Commission ad hoc des responsabilités des auteurs de la guerre et des sanctions, selon la dénomination du traité de Versailles de 1919.

le limitant uniquement au jugement de l’ex-empereur Guillaume II. En effet, ce traité avait prévu la création d’« un tribunal spécial » chargé de juger l’ex-empereur Guillaume II de Hohenzollern, accusé « d’offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités »219. Mais le fait que ce « tribunal spécial » soit composé de juges de chacune des nations composant les puissances de l’Axe posait déjà des problèmes quant à l’impartialité de cette juridiction. Ce fut l’une des raisons au refus des Pays-Bas d’extrader l’Empereur.

Il s’agissait de la première formulation de la mise en accusation formelle contre un chef d’État, même s’il est déchu. En effet, même si, de la lecture de l’article 227, il ressort que la création de ce « Tribunal spécial » n’avait pour objectif principal que le châtiment de l’empereur allemand, il n’en demeure pas moins que le Traité prévoyait que les « puissances alliées et associées » puissent traduire devant leurs tribunaux militaires « des personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre »220

. Cette mention est la traduction d’une recommandation de la Commission ad hoc qui concluait à la nécessité pour cette juridiction de juger : « Les ressortissants des pays ennemis aussi élevé que soit leur rang et même s'il s'agit de chefs d'État qui se sont rendus coupables de crimes contre les lois et les usages de la guerre ou contre les lois de l'humanité ». Avec les grands principes affirmés à Versailles, une brèche venait d’être faite dans le principe de l’immunité des chefs d’État et de gouvernement en droit international. Pour la première fois l’idée de poursuivre un individu-organe devant un organe judiciaire international était évoquée ; ce qui supposait désormais que les actes des représentants d’un État pouvaient être détachables de ceux de l’État.

Le chef de l’État pouvait se voir imputé des actes ou omissions criminels. Désormais l’État ne pouvait en assumer les conséquences. Pour la première fois, une place était reconnue à l’individu dans l’ordre international qui traditionnellement est un ordre interétatique. C’est en cela que certains ont pu considérer que « le déclenchement de la grande guerre avait sonné la débâcle du droit international »221. Guillaume II ne fut certes pas jugé, les Pays-Bas ayant estimé que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies ; il n’en demeure pas moins que la rupture était opérée. Un souverain était susceptible d’être soumis au droit et répondre aux injonctions de la justice en devenant un justiciable comme toute autre personne. Cependant, c’est à l’issue de la deuxième guerre mondiale et avec les TMI mis en place par

219 Article 227 du Traite de Versailles de 1919.

220 Article 228 du Traité de Versailles de 1919.

221 SZUREK S., « Historique. La formation du droit international pénale », in ASCENSIO H, DECAUX E, PELLET A. (dir), Droit international pénal, Paris, Pedone, 2012, p. 22.

les Alliés que pour la première fois, des hauts représentants de l’État seront mis en accusation devant les TMI créés pour juger les criminels des forces de l’Axe. Les Plus tard les TPI créés après le génocide rwandais et la purification ethnique dans les Balkans jugeront aussi de hautes personnalités.

Section II : La création des tribunaux pour juger les criminels de