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Les compétences territoriales de la CPI

Paragraphe II : La vocation universelle de la CPI

A- Les compétences territoriales de la CPI

La compétence territoriale de la Cour revient à reconnaître que cette dernière « […] peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs, comme prévu dans le présent Statut, sur le territoire de tout État Partie et, par une convention à cet effet, sur le territoire de tout autre État »378. De cette disposition, deux interprétations peuvent être faites. D’abord, les pouvoirs et fonctions de la Cour ne s’exercent que dans le cadre limité par le Statut. Or, au regard de l’article 13 du Statut de Rome, la Cour ne peut exercer ses compétences que lorsqu’elle est saisie selon trois modalités : par le Conseil de sécurité ; par le Procureur et par les Etats parties. La saisine selon l’une des modalités ci-après, lui donne toute la latitude d’exercer ses compétences sur le territoire des Etats. Selon cette approche, la Cour ne pourrait exercer ses compétences que sur le territoire d’un État signataire du Traité ou y ayant adhéré. La seconde lecture de l’article 4 qui va au-delà des Etats parties. Selon cette lecture, la compétence de la Cour pénale peut s’exercer au-delà des Etats parties au Statut de Rome mais seulement avec leur accord préalable. (Article 87 aussi traite de la question).

1- Les Etats parties au Statut de Rome

Il ressort donc de l’article 13 du Statut que la CPI que seuls les Etats parties, le Procureur et le Conseil de sécurité sont autorisés à saisir la Cour pénale. Et lorsqu’elle est saisie, la Cour peut exercer sa compétence sur le territoire de tout État partie. Il s’agit d’une conséquence logique de l’effet relatif des traités. En l’absence de saisine des Etats parties, le statut offre une possibilité au Procureur de s’auto saisir, on parle de compétence proprio motu dont les conditions d’exercice sont strictes. En effet, pour que le Procureur puisse exercer ce pouvoir, il est nécessaire que l’État sur le territoire duquel cette compétence est exercée soit partie au traité ou qu’il ait donné son accord par une convention à cet effet. Avec cette approche, les Etats tiers ou leurs ressortissants ne sont pas justiciables de la Cour. Le risque d’une telle approche étant d’aboutir à une impunité de fait des ressortissants des Etats tiers, par le seul que le Statut ne leur est pas opposable, les gouvernants ne l’ayant pas ratifié. Cependant, cette vision quelque peu radicale mérite d’être tempérée. En effet, même si un État n’a pas signé le traité portant statut de Rome ou n’a pas fait de déclaration d’acceptation de sa compétence, ses ressortissants peuvent être tout de même justiciables devant elle ; si les faits répréhensibles sont commis sur le territoire des Etats parties. Ainsi, le fait que l’État ne soit

pas lié par le Traité ne signifie pas pour autant que ses nationaux soient exclus de la compétence de cette dernière. L’article 12 reconnaît la compétence de la Cour pour les infractions commises sur le territoire d’un État partie, indépendamment de la nationalité de l’auteur et de la victime. Même si cette faculté accordée par le Statut à la Cour ne fait pas l’unanimité auprès des Etats tiers, plusieurs théories ont été avancées pour la justifier379

, mais celle qui revient le plus souvent est celle qui consiste à assimiler ce pouvoir à un transfert de compétence. Elle a été justifiée par le fait que, la compétence territoriale des Etats est transférée à la Cour. En effet, ce principe de la compétence territoriale qui donne le droit à tout État souverain de faire régner l’ordre sur son territoire par la répression de contrevenants aux lois, indépendamment de leur nationalité. Par conséquent, en ratifiant le Statut de Rome, les Etats parties acceptent de se dépouiller de cette faculté pour ces crimes graves, par une sorte de « transfert de compétence ». Cependant, pour que la Cour puisse agir, il est nécessaire que certaines conditions qui ne sont pas cumulatives soient réunies. En effet, Il faudrait que le crime en question ait été commis, soit sur le territoire de l’État partie, soit par un national de cet État. Mais cette argumentation, aussi intéressante soit-elle ne rencontre pas l’adhésion de tous. Le Pr Baptiste TRANCHANT fait partie des sceptiques.

Pour le professeur, ce raisonnement qui peut être convaincant pour « les ressortissants ordinaires » résiste mal quand il s’agit de « l’appliquer pour la situation des agents d’Etats tiers qui bénéficient qui bénéficient d’immunités juridiction pénale étrangère »380. En effet, cette acception supposerait que les individus soient traités sur une base égalitaire, les individus ordinaires comme ceux bénéficiant d’une protection spécifique, tant au niveau interne comme devant les juridictions étrangères, à l’instar des chefs d’État. Pour Baptiste TRANCHANT, les Etats tiers pouvant opposer les immunités de leurs hauts représentants aux Etats parties au Statut, il s’avère par conséquent impossible pour ces derniers, d’avoir pu transférer un pouvoir qu’ils n’ont pas en réalité, sauf bien entendu dans l’hypothèse de saisine de la Cour par le Conseil de sécurité de Nations Unies.

Mais en analysant plus en profondeur ces conditions préalables (territorialité du crime et nationalité de l’auteur), l’évidence saute aux yeux. La Cour serait alors incompétente pour exercer ses pouvoirs et fonctions dès lors qu’un crime pouvant potentiellement relever de sa compétence serait commis par le ressortissant d’un État tiers sur son territoire. Autrement dit,

379

FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2010, pp.114 ss cité par Baptiste TRANCHANT, « Les immunités des Etats tiers devant la CPI », pp. 646-647.

des crimes contre l’humanité commis sur le territoire d’un État tiers au Statut ne pourraient jamais faire l’objet de poursuite de la part de cette juridiction, alors qu’ils le seraient éventuellement pour l’État partie. Une telle (principe de la souveraineté) clause qui permet à « charbonnier d’être roi chez lui », a pu servir d’excuse et de justification aux dirigeants de certains régimes autoritaires de l’Europe, notamment le régime nazi d’Hitler qui a procédé aux massacres de millions de juifs et autres populations.

Cette clause était déjà inscrite dans le Projet de Statut de la CDI de 1994, mais visait en réalité à favoriser une adhésion massive des Etats. Pourtant on peut sans risque affirmer que ; à vouloir favoriser une adhésion massive, certaines dispositions pourraient produire un effet contraire à l’objet et au but même du traité. En effet, le but ultime du Statut étant de lutter contre l’impunité de tous les auteurs de crimes graves, fermer les yeux sur des massacres selon qu’ils sont commis sur le territoire d’un État partie ou non, conduirait à instaurer en définitive à instaurer une justice à double vitesse. Dans la mesure où le Statut semble imposer plus de contraintes aux Etats parties, et impuissant aux éventuelles dérives commises sur le territoire des Etats tiers ou par leurs ressortissants, ne risquait-on pas d’aboutir ; plutôt qu’à une adhésion massive, à un retrait massif ? Mais malgré cette adhésion relativement importante, cette clause qui permet à tout État d’accepter au préalable la compétence de la Cour, faisait déjà apparaître durant les négociations du Traité de Rome, la crainte de voir se perpétuer l’impunité. C’est ce qui ressort des propos de Robert BADINTER qui, abordant cette prérogative laissée aux Etats, soutiendra qu’il existait : « une contradiction énorme à vouloir envisager une cour appelée à connaître des crimes les plus attentatoires à l’essence même de l’humanité, si en même temps était prévu un mécanisme qui exigeait l’accord du bourreau pour le juger » 381

.

Cette clause qui traite de l’étendue de la compétence de la Cour est à l’évidence la question centrale du Statut qui cristallise les tensions depuis l’élaboration des différents projets de code et d’une cour criminelle qui ont précédé le projet de la CDI de 1996 qui a abouti finalement au Statut de Rome sur la Cour. Depuis Versailles jusqu’à Rome, les Etats ont toujours reconnu l’importance de doter la société internationale d’une juridiction internationale avec des compétences les plus étendues ; dès qu’il s’agirait de juger les auteurs de certains crimes d’une particulière gravité. Mais l’étendue des pouvoirs de cette juridiction et les modalités de déclenchement de ses compétences ne rencontraient l’unanimité des Etats,

381 BOURDON W. et DUVERGER E., La Cour pénale internationale, Le Statut de Rome introduit et commenté,

car, une telle juridiction supranationale dotée de prérogatives exorbitantes revenait pour les Etats à faire des concessions sur une part importante de leur prérogative régalienne ; celle de rendre justice sur l’espace territorial à l’ensemble des individus qui y vivent. Et, malheureusement de tels calculs faits aussi bien pour les Etats parties que tiers faisaient présager d’un sérieux handicap pour la Cour naissante. C’est aussi cette perceptive de voir se perpétuer l’impunité de certains responsables de violations graves de crimes internationaux du simple fait qu’ils n’ont pas ratifié le Statut, tout en mettant des pressions supplémentaires sur les Etats parties qui a déterminé en partie les États-Unis en faveur de la non ratification de l’acte final du Traité de Rome. Si l’on s’en tient aux différents arguments pour justifier le rejet des mandats d’arrêts de la CPI, émis contre le colonel Kadhafi de la Libye et Omar El-Béchir du Soudan, deux responsables d’Etats non parties au Statut, on peut se rendre compte que cette crainte était justifiée. On peut constater malgré tout que, 17 années après la signature du Traité de Rome et 13 années après son entrée en vigueur, cette force d’attraction a opéré sur l’ensemble 123 Etats, qui ont ratifié le Statut de Rome382

.

En plus de ses 123 Etats parties au Statut, 29 Etats sont signataires du Statut. Autrement dit, en plus des Etats ayant ratifié le Statut de Rome et qui sont liés par ses clauses, 29 autres Etats se sont engagés à ne pas commettre d’actes contraires aux objectifs383 ou à la raison d’être du traité de Rome de 1998. Ainsi, l’ensemble de ces Etats (152) sur le total que forment les Etats membres de l’Organisation des Nations Unies membres (193)384

, démontre de l’intérêt des Etats pour la question de la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. On peut affirmer que plus des 2/3 des membres des Nations unies s’inscrivent dans le projet de lutte contre les violations massives des droits de l’homme perpétrées par les individus, quelque soient les responsabilités qu’ils peuvent occuper au sein de l’appareil étatique et, quelque soient les immunités que leur accorde leur législation interne.

Mais le plus grand intérêt de cette adhésion massive réside dans le fait que, la communauté des Etats au Statut de Rome sont repartis sur tous les continents385. Et dans cette configuration régionale, l’Afrique est le continent qui dispose du plus grand nombres d’Etats parties. Mais,

382

Site internet de la Cour pénale internationale , « http://www.icc-cpi.int/fr »

383 Même si la signature n’entraîne pas d’obligation exécutoire, elle manifeste tout de même l’intention de l’État d’examiner le traité au niveau national et d’envisager une ratification.

384

http://www.un.org/fr/members/ (A ce jour 193 Etats sont membres de l’ONU).

385 Parmi ces Etats, 34 viennent du continent africain; 19 sont des États d’Asie et du Pacifique; 18 sont des États d'Europe Orientale; 27 de l'Amérique Latine et des Caraïbes, ; 25 sont membres du Groupe des États d'Europe occidentale et autres États.

même pour les Etats parties, on ne peut pas affirmer que la question de la compétence de la Cour pour les crimes commis sur leur territoire est tranchée, surtout lorsque peuvent se trouver impliqués des individus occupant les plus hautes responsabilités au sein de l’État. Et dans ce cas, l’objectif de lutte contre l’impunité des personnes soupçonnées peut connaître aussi des obstacles de façon différente. En effet, notons que, si la Cour peut exercer une quelconque compétence sur le territoire d’un État partie, c’est parce qu’elle aura été saisie par cet État. Autrement, il s’avère impossible pour la Cour d’agir sur le territoire de l’État partie sauf saisine du CSNU. Il importe de rappeler que la société internationale est régie par des règles aussi bien écrites que coutumières qui peuvent obéir dans certains cas à un formalisme. C’est ainsi que dans cette société, la ratification des traités obéit à des règles de compétence qui confèrent à certaines autorités le pouvoir d’engager l’État au niveau international.

Tous les Etats ne sont pas régis par des règles communes. Si dans certains Etats, il appartient au MAE d’engager l’État pour la ratification des traités, d’autres privilégieront des canaux qui peuvent faire intervenir le chef de l’État386. La saisine de la Cour obéit aux mêmes principes. Dans tous les cas, il s’agit d’un processus éminemment politique, où ; quelle que soit l’autorité qui ratifie au nom de l’État, une telle procédure ne peut intervenir sans l’approbation de la plus haute autorité de l’État. Or, les massacres de populations commis durant les différents conflits internationaux et le processus de développement de la justice pénale qui en a suivi nous enseignent que ces crimes, pour la plupart n’ont pu être commis sans une participation déterminante des individus occupant pour la plupart, la fonction suprême ou au moins une fonction officielle. C’est pourquoi, pour certains opposants politiques, le pouvoir de saisine des Etats peut constituer un moyen d’intimidation envers des adversaires gênants. Cette crainte a été relevée à la suite de l’examen par la Cour pénale de situations dont elle a été saisie sur le continent africain ; notamment en RDC, en RCA et Ouganda. Ce fut justement l’argumentation tenue par les opposants des présidents de ces Etats pour qui, la saisine de la Cour est surtout guidée par le dessin de se débarrasser d’adversaires politiques gênants, en les faisant passer pour des criminels aux yeux de la communauté internationale. Même si ces thèses nous semblent quelque peu exagérées au vu des rapports d’organisations de défense des droits de l’homme sur les situations concernées, il ne fait aucun doute qu’elle ne doive être totalement rejetée. L’attitude du président de la RCA d’alors semble accréditer cette thèse, si l’on se réfère à la demande qu’il a formulée le 1er

août 2008

386 La confirmation de la Déclaration de la reconnaissance de la compétence de la CPI, faite conformément à l’article 12 par.3 par la République de Côte-d’Ivoire, le 14 décembre 2010 a été effectuée par le Président Alassane Ouattara, alors que la précédente Déclaration de reconnaissance du 18 avril 2003 était le fait du MAE.

auprès du CSNU afin d’obtenir une suspension des procédures de la CPI387

en RCA, en insistant sur la capacité retrouvée des juridictions centrafricaines de juger les « crimes graves », en vertu du principe de la complémentarité. Que les juridictions nationales retrouvent effectivement leur plénitude, cela est possible ; mais, il n’est pas non plus improbable que cette décision soit davantage motivée par la crainte d’une éventuelle mise en cause, au regard des éléments de preuves à charge de la CPI contre un dirigeant étatique, sinon par le chef d’État.

Or, qu’il s’agisse des situations en RDC, en Ouganda ou en RCA, le point commun aux renvois par les Etats réside dans le fait qu’ils ont été initiés par des chefs d’État ou de gouvernement qui ne sont pas des exemples de démocratie et qui, de surcroît faisaient face à des rebellions internes menaçant de déstabiliser leur pouvoir. Ces renvois ont abouti à l’émission de mandats d’arrêt contre les principaux responsables des rebellions ou de leurs soutiens. Dans le cas de la situation en RCA, les mandats ont permis l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, qui était alors l’un des vice-présidents du Gouvernement de transition de la RDC388 issu du processus de paix du 30 juin 2003 et par ailleurs président du Mouvement de Libération du Congo (MLC)389. À tort ou à raison, les opposants à ces gouvernements n’ont pu s’empêcher de voir dans ces saisines, un moyen détourné de se débarrasser d’adversaires politiques par le canal d’une juridiction internationale. Il est évident, au regard des massacres commis et ayant fait l’objet de rapports de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme que les mandats d’arrêts étaient nécessaires ; toutefois on ne peut rejeter tous les soupçons du revers de la main quand on sait que, dans le cas de la RDC et de la RCA, les mêmes organisations indépendantes ont relevé que des massacres à grandes échelle commis par les partisans du nouveau pouvoir en place, sans que cela n’aboutisse à une quelconque poursuite. Cependant, la compétence de la Cour ne sera effective que si la « situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis »390 lui est déférée par l’État partie qui se trouve alors dans l’incapacité de le faire. Autrement dit, la compétence de la CPI n’est pas automatique. Selon le Statut, il est avant tout

387

Statut, article 16.

388 Ce gouvernement d’union nationale, composé d’un Président et 4 vice-présidents a été mis en place à l’issu du conflit armé qui s’est déroulé sur le territoire de la RDC de 1998 à 2003 pour prendre fin avec la signature le 30 juin 2003 d’un accord. Il a pour mission d’établir une transition démocratique pour la restauration de la paix et l’organisation des élections législatives et l’élection présidentielle qui se tiendra le 30 juillet 2006.

389

Jean-Pierre Bemba Est le fondateur du MLC, mouvement rebelle qui apporta son soutien au Président Ange Félix Patassé, menacé par la rébellion du général François Bozizé qui finit par le renverser. C’est à l’issue de sa prise du pouvoir que François Bozizé entreprit de saisir la CPI pour des faits intervenus entre octobre 2002 et mars 2003.

de la responsabilité première de chaque État de punir les auteurs de crimes commis sur leur territoire. Seule l’incapacité ou le manque de volonté des Etats peut donner droit à la Cour d’agir sur le territoire de l’État. Il s’agit tout simplement de la manifestation du principe de la complémentarité qui donne primauté aux juridictions nationales sur celle de la Cour.

À cet effet, le renvoi opéré par l’État partie à la Cour doit être interprété comme une défaillance (incapacité ou manque de volonté). C’est la voie que la RDC391, l’Ouganda392

, la République Centrafricaine393, qui sont des Etats parties, ont empruntée en saisissant le Procureur pour les situations qui prévalaient sur leurs territoires respectifs. La Cour ayant été saisie par renvoi de l’État lui-même, la question de la légalité des poursuites éventuelles de présumés auteurs de crimes ne se posait plus. De plus, l’exercice des compétences de la Cour devenait plus aisé, surtout quand il s’agit de poursuivre des citoyens « ordinaires » ou éventuellement un ancien chef d’État comme celui de la RCA, Ange-Félix Patassé ne bénéficiant plus d’immunité de juridiction. Cependant, quelle aurait été la réponse de la Cour, si le premier responsable étatique était soupçonné de crimes de sa compétence sans qu’elle