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La citation à comparaître contre le président kenyan

Section I : La comparution des dirigeants kenyans à la CPI

B- La citation à comparaître contre le président kenyan

Le président Uhuru Kenyatta et son vice-président ont reçu des citations à comparaître devant la CPI pour répondre de faits qui se sont produits avant leur accession aux plus hautes fonctions étatiques. Le fait que Kenyatta occupait des fonctions de vice premier ministre du gouvernement de l’ancien président, pas plus que le fait d’occuper aujourd’hui les fonctions de Président en exercice d’un État n’ont semblé poser de difficulté majeure au Procureur dans la mise en cause de leur responsabilité. À la différence du Soudan483qui n’a pas ratifié le Statut de Rome, la compétence de la CPI dans le dossier kenyan s’est fondée sur la qualité d’État partie du Kenya au Statut de Rome. Et, le Kenya ayant ratifié le traité, les obligations du Statut, dont celle de coopérer avec la Cour s’imposent à cet État en vertu de l’effet relatif des traités, même si, il est vrai aussi que leur comparution ne s’est pas faite sans remous. Par ailleurs, l’une des clauses du Statut, en l’occurrence, l’article 27, pose aussi le principe du “défaut de pertinence de la qualité officielle” en disposant que le Statut s’applique de façon égalitaire à tout individu, indépendamment des fonctions occupées et des immunités qui peuvent lui être reconnues tant au niveau interne que par le droit international.

Il s’agit d’un principe constant affirmé depuis le Traité de Versailles et confirmé après la seconde guerre Mondiale dans les Statuts des TMI et plus tard par les TPIY et TPIR. Au contraire des Présidents soudanais et libyens pour lesquels la CPI a émis des mandats d’arrêt, les autorités kenyanes ont, elles, reçu des citations à comparaître devant la Cour. Cependant, le choix de la citation à comparaître plutôt que le mandat d’arrêt peut susciter quelques interrogations et surprises. Alors que la communauté internationale a pu se rendre compte du non-respect des mandats d’arrêt émis contre le Président soudanais, tant son État que par certains Etats parties au Statut de Rome, la Cour opte pour une citation à comparaître dont les implications semblent être plus souples que le mandat d’arrêt.

Ces interrogations qui expriment une crainte sont légitimes et liées d’une part à la nature même des crimes qui en cause. D’autre part à la personnalité des individus dont la responsabilité est mise en jeu. En outre on ne peut déconnecter ces questionnements des difficultés rencontrées par les tribunaux ad’hoc. En effet, l’on ne peut ignorer que la lenteur affichée par les TPI pour la clôture de leurs activités de jugement n’est pas sans rapport avec

483 Dans le dossier soudanais, la poursuite du chef d’État Omar El-Béchir par le Procureur s’est fondée sur l’article 13 b du Statut qui permet au Conseil de sécurité de déférer une situation dans laquelle des crimes de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis. Cette modalité de saisine qui se fonde sur le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, permet au Procureur de se saisir de situations qui se déroulent dans des Etats tiers au Statut.

le fait que certains des accusés sont toujours en fuite en dépit des mandats d’arrêt émis. Délivrer dans ces conditions une citation à comparaître ne conduira-t-elle pas à une inefficacité du travail préalable d’enquête de la Cour en aboutissant à la fuite de l’accusé sur qui pèsent des soupçons de de crimes graves ? Mais en même, avouons qu’un mandat d’arrêt ne ferait pas d’avantage avancer la procédure si l’on s’en tient aux précédents mandats d’arrêt délivrés par la Cour484. Au contraire, cela pourrait conduire à une opposition frontale entre la CPI et les autorités du pays qui adopteraient une position de défiance, en refusant de coopérer comme le fait actuellement le Burundi dans le cadre de l’examen préliminaire ouvert par le BDP depuis le mois d’avril 2015. Plutôt que la confrontation, le Procureur semble avoir opté pour l’apaisement car, malgré tout, on ne doit omettre qu’à ce stade, l’accusé est avant tout présumé innocent. Le mandat d’arrêt et la citation à comparaître sont deux modalités d’assignation. Le régime juridique de la citation à comparaître n’est pas le même que celui du mandat d’arrêt, même si des points communs existent entre ces deux modes d’assignation. Si la citation à comparaître se justifie par l’assurance que l’accusé se présentera de lui-même et, qu’un mandat n’est pas nécessaire, en dépit de l’existence « des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour.. », le mandat d’arrêt est délivré au motif principal que l'arrestation de cette personne apparaît nécessaire pour garantir qu’elle comparaîtra485 et « qu'elle ne fera pas obstacle à l'enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n'en compromettra le déroulement. »486.

Les raisons de la délivrance d’une citation à comparaître telles que ressortant des dispositions du Statut, aux vues des fonctions occupées par Kenyatta laissent dubitatif. En effet, le fait que ce dernier occupe encore les fonctions régaliennes qui le placent au-dessus des entités composant le service public (armée, justice, police) n’est-il pas de nature à lui donner une ascendance morale ou hiérarchique, pouvant lui permettre d’influer sur l’administration des preuves ? La suite du procès, et les difficultés rencontrées par la Procureure Bensouda pour le recueil et la consolidation des éléments de preuves semblent attester nos craintes. Pour connaître les raisons de l’introduction de la citation à comparaître dans le Statut, il faut remonter aux discussions du Comité préparatoire, qui pour la première fois a soulevé la question de la citation à comparaître comme alternative au mandat

484L’UA a demandé à ses Etats membres de ne pas respecter les mandats d’arrêt de la CPI délivrés contre le présidents Kadhafi et Omar El-Béchir en n’arrêtant pas ces deux personnalités.

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Statut, Article 58-1-b. i

d’arrêt487. L’idée qui sous-tend le choix de la citation à comparaître est que, dans certaines circonstances, l’arrestation d’une personne n’est pas nécessaire pour s’assurer de sa présence devant le juge. Cependant qu’il s’agisse du mandat d’arrêt ou de la citation à comparaître, le choix d’une modalité revient avant tout Procureur. Pour ce faire, le Procureur tient compte des circonstances et de l’existence de « Motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour ». Les deux modalités ont un caractère contraignant dans la mesure où elles impliquent une obligation de se présenter devant le juge, à la différence notable que la citation à comparaître « [Elle]ne limite pas nécessairement la liberté de la personne citée »488. Ainsi, le choix de la citation plutôt que le mandat d’arrêt dans l’affaire Kenyatta se justifiait par le fait que le Procureur avait l’assurance selon les éléments en sa possession, que le chef d’État kenyan se présenterait de lui-même sans qu’il ne soit nécessaire d’émettre un mandat d’arrêt. D’ailleurs, au moment où la citation lui était délivrée, il n’était pas encore chef de l’État mais vice-premier ministre du Kenya. On présume que c’est cette assurance qui manquait dans la situation du Soudan, qui a vu le Procureur Ocampo opter pour un mandat d’arrêt plutôt que la citation, contre le Président Omar El-Béchir. L’ineffectivité de cette procédure contre le Président soudanais invite à s’interroger sur l’efficacité réelle de ces modalités de comparution devant la CPI. De toute façon la CPI ne dispose pas de véritable moyen de contrainte.

Elle est dépendante de la coopération des Etats, encore faudrait-il qu’elle soit faite de bonne foi. Il est vrai qu’à ce stade, l’accusé bénéficie de la présomption d’innocence et ne peut être vu comme un criminel. Mais, au regard de la gravité des crimes et de la lourdeur de la peine encourue, le risque est grand de permettre à une personne accusée de crimes aussi graves de jouir de toute la liberté qu’il peut mettre à profit pour compromettre les éléments de preuve, s’il s’avérait qu’il y a réellement des éléments de croire qu’il a commis les crimes. Demander à un accusé qui détient encore toutes ses prérogatives de puissance publique, de tous l’autorité sur les organes de l’État et ces démembrements de collaborer de bonne foi s’apparente à une naïveté de la part des rédacteurs du Statut ; ou du moins n’avaient-ils pas envisagé cette option. Mais, en même temps, se perçoit toute la difficulté de poursuivre un chef d’État en exercice, dont l’administration et les services qu’il dirige sont sensés fournir les moyens de lui-même le mettre en accusation. Alors que le chef d’État

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SANA S., « Délivrance par la Chambre préliminaire ou d’une citation à comparaître » in FERNANDEZ J. et PACREAU X. (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Paris, Pedone, 2012, p.1343.

dispose toujours du pouvoir de nomination des administrés et peut le cas échéant toujours soulever le principe de secret défense pour refuser de communiquer certains éléments de preuve réclamés par le Procureur489. Dans le procès opposant le Procureur à Uhuru Kenyatta le manque de coopération des autorités kenyanes aux demandes formulées par la Procureure pour obtenir des éléments de preuves. Dans un tout autre registre, un administré « ordinaire » accusé ou soupçonné de faute lourde pourra être mis à pied ou suspendu, ou démissionnera en vertu du principe de responsabilité. Ce temps hors du service public sera mis à profit généralement par l’administration pour procéder à une enquête qui devra confirmer ou infirmer les charges. Le chef d’État semble être au-dessus de la mêlée en échappant à tous ces principes. On peut donc imaginer que le travail du Procureur sera d’autant plus aisé que l’accusé ne sera plus en activité.

C’est certainement cela qui justifie que les accusés qui font l’objet de détention soient à ce jour, soit des anciens chefs d’État, soit des individus livrés par les autorités du pays qui a procédé au renvoi de la situation à la Cour, ou des chefs de rebellions défaites490. C’est de ce constat que viennent aussi les principales critiques formulées contre la Cour, accusée de ne poursuivre que les « seconds couteaux », et d’être impuissante face aux « puissants ». Pas sûr dans cette hypothèse que le mandat d’arrêt soit la panacée car, même si le Procureur optait pour un mandat d’arrêt contre Kenyatta plutôt que la citation à comparaître, la possibilité de voir ce dernier comparaître de lui-même, ou même être arrêté et livré ne serait pas garantie. Le précédent du Président soudanais est là pour nous le rappeler, lui qui est toujours libre de ses mouvements alors qu’il fait l’objet de deux mandats d’arrêt émis par la CPI depuis 2009. Au regard de tous ces faits, il n’est dès lors pas étonnant que dans la phase procédurale, il en a résulté des difficultés pour le Procureur de rassembler les éléments de preuve contre M. Kenyatta et son vice-président William Ruto.

Paragraphe III : les difficultés de réunion des preuves contre le