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La jurisprudence des TMI de Nüremberg et Tokyo

Les procès du Tribunal de Nüremberg se tiennent de novembre 1945 à octobre 1946 et offrent l’occasion de voir l’application effective des principes fondamentaux du droit international pénal qui avaient été élaborés à l’occasion de la Conférence de Versailles de 1919. Parmi les principes clairement affirmés et appliqués, figurent les principes de la responsabilité pénale individuelle et l’absence d’immunité pour crime international que les tribunaux militaires appliqueront. Tout d’abord, le principe de la responsabilité pénale individuelle pour crime de droit international a été clairement établi dans les jugements du Tribunal. Ce principe qui permet de déterminer si un individu peut être tenu pour responsable

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Article 6 du Statut du tribunal pénal international de Tokyo.

d’un crime contre la paix, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité a été pour la première fois appliqué à Nüremberg. Ainsi, en application de l’article 7 de l’Accord de Londres portant sur l’absence d’immunité des officiels, le Tribunal de Nüremberg a pu faire cette déclaration suivante : « On a prétendu que lorsque l’acte incriminé est perpétré au nom de l’État, les exécutants n’en sont pas personnellement responsables ; ils sont couverts par la souveraineté de l’État. Le tribunal ne peut accepter ni l’une ni l’autre de ces thèses (…). Il est admis depuis longtemps que le droit international impose des devoirs et des responsabilités aux personnes physiques. Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer ni leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment (…). La violation du droit international fait naître des responsabilités individuelles »245. C’est dire que le champ d’application se limite ratione personae aux individus, c’est-à-dire aux personnes physiques. Ce paragraphe répond à une préoccupation fondamentale à l’époque des faits et qui concernait l’acte commis « au nom de l’État ».

Il s’agit par ces dispositions pour le Tribunal de mettre fin aux débats consistant à faire endosser la responsabilité des individus par celle de l’État à raison des fonctions occupées. Désormais l’individu est le responsable des actes contraires aux lois et coutumes de guerre et non l’État ou, au moins tout aussi responsable que la puissance publique. Le TMI relève en outre que : « Le principe de droit international qui, dans certaines circonstances, protège les représentants d’un État, ne peut pas s’appliquer aux actes condamnés comme criminels par le droit international. Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soumettre à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment »246

. Si le Tribunal a adopté une telle position, c’est parce que, pour échapper à la sanction pénale, l’un des arguments des accusés était de relever l’obéissance aux ordres de leur État ou la souveraineté étatique. En d’autres termes, les accusés mettaient en avant le fait qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres de leur gouvernement afin que la souveraineté de leur État joue le rôle de bouclier protecteur à leur propre responsabilité. C’est ce que rappelait Sir Haxtley SHAWECROSS, Procureur général britannique : « Là où l’action en question est une action de l’État, ceux qui l’exécutent ne sont que l’instrument de l’État : ils ne sont pas personnellement responsables et sont en droit, […] de s’abriter derrière la souveraineté de l’État »247

. Pour autant, ce moyen de défense n’était pas partagé par lui ; pas plus qu’il ne pouvait constituer une excuse

245Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, p. 235.

246

Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, Nüremberg, 1949, Vol I, p .236.

247 Cité par DECAUX E., « Les gouvernants », in ASCENSIO H, DECAUX E. et PELLET E. (dir), Droit international pénal, Pedone, Paris, 2000, p. 190.

absolutoire selon ce dernier. C’est pourquoi dans la suite de cette argumentation, il soutient ceci : « Le loyalisme politique, l’obéissance militaire sont des choses excellentes. Mais elles n’exigent ni ne justifient la perpétration d’actes manifestement coupables. Il arrive un moment où un être humain doit refuser d’obéir à son chef, s’il doit aussi obéir à sa conscience. Même le simple soldat qui sert dans les rangs de l’armée de son pays n’est pas tenu d’obéir à des ordres illégaux »248. D’ailleurs, le Tribunal ira dans le sens du Procureur britannique, en ne retenant pas ce moyen de défense ; car pour la juridiction pénale, « une idée fondamentale du Statut est que les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’État dont ils sont ressortissants ».249

En application de ces principes, pour la première fois dans l’histoire, Adolf Hitler, un chef d’État aurait dû rendre compte de ses actes et comparaître dans un procès pénal devant le TMI de Nüremberg. Malheureusement, cela ne put se produire en raison du suicide de ce dernier250. Cependant, plusieurs dignitaires du régime nazi furent jugés et condamnés et, le Tribunal de Nüremberg a défini les principes juridiques qui vont inspirer la rédaction des conventions internationales et la création ultérieure de nouvelles juridictions internationales.

S’agissant du TMI de Tokyo, sur 80 personnes suspectées, seules vingt-huit (28) seront finalement poursuivies parmi les hauts responsables et officiers militaires (19 militaires et 9 civils). Par rapport à Nüremberg, il n’y a pas eu de grands apports des jugements du TMI de Tokyo. Même si l’Empereur du Japon Hiro Hito, qui avait pourtant joué un rôle important dans le déclenchement et la poursuite de la guerre n’a pas vu son nom figurer sur la liste des grands criminels de guerre établie, par la volonté du Général Mac Artur qui recommanda au gouvernement américain de lui accorder l’immunité; il n’en demeure pas moins que la jurisprudence de Tokyo a consacré le principe de la responsabilité individuelle, en considérant l’individu comme un sujet à part entière du droit international pénal.

En cela, la jurisprudence de Tokyo a contribué au développement du droit international pénal et surtout au développement des principes de la responsabilité pénale individuelle et de l’absence d’immunité des officiels pour crimes internationaux. Comme on peut le voir, le principe de la responsabilité individuelle du chef d’État affirmé par Versailles connaitra une application effective lors des procès de Nüremberg et Tokyo. Cependant, ces

248 Déclaration de Sir Hartley SHAWECROSS devant le tribunal militaire international, Articles et documents, nouvelle série, n°487, Secrétariat d’État à l’information, Paris, 1946.

249

Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international-Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, vol. I, Nüremberg 1947, p.234s.

250 HIERAMENTE M., LaCour pénale internationale et les Etats-Unis : une analyse juridique du différend », Paris, L’Harmattan, avril 2008, p. 22.

procès qui ont abouti à des condamnations effectives d’individus n’ont pu permettre de vérifier leur réelle efficacité quant à leur application réelle à un souverain, à la plus haute autorité de l’État qu’est le chef de l’État. Guillaume II, l’empereur allemand n’a pu être jugé à raison du refus des Pays- Bas de répondre favorablement aux demandes des Alliés à la fin de la première guerre mondiale. Quant au Kaiser Adolph Hitler, son suicide avant son arrestation n’a pas permis de le traduire en justice afin qu’il réponde des crimes commis sous son instigation. L’empereur Hiro Hito lui, a pu échapper à la justice aussi par la magnanimité du général Mc Artur. À côté de ces faits, les débats souvent vifs occasionnés avant la mise en place des juridictions ont contribué à semer le doute quant à faisabilité ou non de juger le représentant d’un État souverain ; donnant ainsi l’impression que les vainqueurs de la guerre semblaient eux-mêmes quelque peu effrayés par leur propre audace. En tout état de cause, un pas décisif sera franchi par les TPI créés par le Conseil de sécurité, qui vont pour la première fois donner l’occasion d’engager des actes de procédure pénale aussi bien contre des anciens chefs d’État que ceux qui étaient encore à la tête de leur État. La CPI viendra confirmer la nouvelle direction prise par la justice pénale internationale.

Paragraphe II : La poursuite effective d’un chef d’État par les TPI

Les TMI de Nüremberg et Tokyo ont ouvert la voie pour le jugement des hauts responsables politiques et militaires nazis et japonais ayant eu un rôle déterminant non seulement dans le déclenchement de la seconde guerre mais encore dans le non-respect des lois et coutumes de la guerre. Toutefois, la jurisprudence des TMI de Nüremberg et Tokyo, même si elles ont offert l’occasion de voir appliqués certains principes fondamentaux de leurs statuts, en jugeant de hauts responsables politiques et militaires nazis et japonais ; elle n’a pu aller plus loin en jugeant les personnages principaux, instigateurs du déclenchement de la seconde guerre : Hitler et l’Empereur Hiro Hito. Il aura fallu attendre près d’un demi-siècle pour voir une juridiction internationale poursuivre effectivement un chef d’État ; et ce sont les juridictions d’après-guerre (TPI) (A). Un constat se dégage des actes d’accusation et de leurs jurisprudences : la responsabilité du chef d’État ou des dirigeants politiques comporte des particularités (B). Ce particularisme sera étudié dans le cadre d’une analyse de la décision de la Chambre d’Appel de la CPI du 18 juin 2018 qui opposa le Procureur de la CPI à Jean-Pierre Bemba (C).

A- La poursuite effective des chefs d’État et des dirigeants politiques par les