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Le Projet de Règles de la guerre aérienne de La Haye de 1922-19231922-1923

Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

A. Des premières normes du droit de la guerre à celles de l’Entre-deux-guerres

3. De la Première Guerre mondiale à l ’ aube de la SecondeSeconde

3.1. Le Projet de Règles de la guerre aérienne de La Haye de 1922-19231922-1923

Ainsi, au sortir de la Première Guerre mondiale, force fut-il de constater que la Réglementation de 1907 n’avait pu répondre aux besoins de protection du pa-trimoine culturel, qui fut considérablement mis à mal au cours de ce conflit.

Son échec tenait certes aux nombreuses clauses de nécessité militaire qui ont grevé l’impact des restrictions imposées aux belligérants, notamment au regard du patrimoine culturel, mais aussi au développement considérable de l’ avia-tion pour laquelle aucune règle clairement applicable en temps de guerre

333 Nahlik, S. E.,Recueil des cours de lAcadémie de La Haye,op. cit.,p. 100.

334 Toman, J.,Commentaire de la Convention de 1954, op. cit.,p. 31.

335 Le terme d« intentionnel » était une formule permettant de recouvrir les situations où une intervention militaire nétait pas « impérativement demandée par les nécessités de la guerre ».

336 OKe efe, R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 44.

Chapitre 2 : Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

89 n’avait été adoptée auparavant337. La Conférence de Washington sur le désar-mement adopta en 1922 une résolution par laquelle elle réunissait une commis-sion de juristes chargée de formuler des règles sur le contrôle de la radiotélé-graphie en temps de guerre et sur la guerre aérienne. Elle avait en outre pour mandat d’évaluer si les principes existants, tels que formulés dans la Régle-mentation de 1907, étaient suffisants338.

Réunie à La Haye entre décembre 1922 et février 1923, la Commission re-mit un Projet de Règlement en 1923, « Règles de la guerre aérienne élaborées par une commission de juristes à La Haye », dont la seconde partie propose une codification de la guerre aérienne. S’agissant de la protection du patri-moine culturel, ce projet de règlement de la guerre aérienne est intéressant à plus d’un titre. Le principe de distinction, déjà consacré par la Réglementation de 1907, y est repris à l’article 22 du Projet notamment, les bombardements vi-sant les non-combattants et leurs biens étant interdits. L’article 24 paragraphe 1 apporte une innovation considérable dans la codification des hostilités, en ce qu’il institue le concept d’objectif militaire,qui se substitue à celui de l’usage dé-fensif de biens par les forces ennemies, situation qui justifie une attaque. La liste des objectifs militaires, seule cible autorisée dont bien évidemment le pa-trimoine culturel est exclu, est d’ailleurs dressée au paragraphe 2, et le suivant interdit tout bombardement de villes et autres habitations qui en seraient éloi-gnées. Une seconde innovation d’importance est consacrée à ce même para-graphe 3, à savoir la codification du principe de proportionnalité, ce dernier apportant une protection additionnelle aux biens privés, et parmi ceux-ci au patrimoine culturel. Le paragraphe 3in fineprescrit en effet que si un bombar-dement dirigé légitimement contre un objectif militaire peut causer des dom-mages indiscriminés sur des civils et leurs biens, les assaillants doivents’ abste-nir.

Les deux articles suivants portent plus précisément sur le patrimoine cultu-rel. L’article 25 du Projet reprend sensiblement les termes de l’article 27 RLH07, en exigeant qu’en cas de bombardement toutes les mesures soient prises pour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts,aux sciences, et à la bienfaisance,les monuments historiques (. . .),à condition que ces biens ne soient pas utilisés à des fins militaires. La signalisation de ces biens y est égale-ment exigée. Cet article consacrerait ainsi, selon ce projet de règleégale-ment, un ré-gime de protection « générale », à la différence de l’article 26, qui, lui, pose le principe d’une protection que l’on pourrait qualifier de « spéciale ». Il prescrit en effet :

« Les règles spéciales suivantes sont adoptées pour permettre aux Etats dassurer une protection plus effective aux monuments d’une grande valeur historique situés sur leur

337 Chamberlain, K.,War and Cultural Heritage, op. cit.,p. 9.

338 Toman, J.,Commentaire de la Convention de 1954, op. cit.,p. 31.

territoire, à condition qu’ils soient disposés à s’abstenir d’utiliser pour des buts mili-taires ces monuments et la zone qui les entoure et à accepter un régime spécial pour leur contrôle (. . .) »339.

Cet article reprend une des mesures préconisées par la NOB dans son rapport, qui instaurait un deuxième degré de protection destiné aux seuls biens d’exception. Celui-ci prévoyait en quelque sorte une forme de démilitarisation de la zone où se trouvait ledit bien culturel. Dans le cadre particulier de l’article 26, qui s’applique exclusivement à la guerre aérienne, une zone envi-ronnante de 500 mètres est exigée, tenant compte de l’impossibilité à l’époque de procéder à des bombardements avec une précision suffisante pour éviter certains biens sis dans une agglomération. La condition requise en retour des autorités détentrices du bien en question est elle aussi très restrictive. Tout usage à but militaire est interdit, comprenant notamment l’utilisation des voies de communication par les forces armées ou la production de biens qui ne soient pas exclusivement civils. En conséquence, comme le souligne la Commission, dans les cas de villes à forte concentration de monuments historiques, telles Bruges, Florence ou Venise, ceci équivaudrait à démilitariser l’ensemble de la ville340.

Cela étant, l’article 26 n’évoque que les monuments historiques. Certes, de l’ensemble des éléments appartenant au patrimoine culturel, ceux-ci, à l’instar de tout autre bien immobilier, ne peuvent être préventivement soustraits pour les protéger des dégâts susceptibles d’être causés par les bombardements. Il est toutefois intéressant de relever l’importance accordée à ces monuments spécifi-quement, à la différence des autres édifices mentionnés à l’article précédent.

Les monuments historiquesn’ont d’ailleurs été intégrés à la Réglementation de La Haye qu’en 1907. Cela étant, outre le fait que les Etats restaient libres, en vertu de ce projet de règlement, de désigner les biens qu’ils souhaitaient sou-mettre au régime de protection spéciale de l’article 26, la Commission a égale-ment apporté une large interprétation des monuégale-ments historiques en y in-cluant :

« All monuments which by reason of their great artistic value are historic today or will become historic in the future »341.

Indépendamment de la catégorie de biens que ce projet de règlement semble privilégier, il est intéressant de noter que, de même qu’avant lui le rapport de la NOB, il propose pour la première fois l’instauration d’un double régime de protection, reléguant les biens culturels pour lesquels aucune protection

spé-339 Ce texte figure en italique, étant un projet de codification qui influencera le droit positif ultérieur, sans pour autant avoir été formellement adopté.

340 OKe efe,R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 48.

341 Commission of Jurists to Consider and Report upon the Revision of the Rules of Warfare. General Report.

(1938), 32 AJIL. Supp. At 26 in OKeefe, R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 47.

Chapitre 2 : Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

91 ciale ne serait demandée, à un régime de protection générale. Ceci signifierait que dans le cadre d’une guerre aérienne, ce régime de protection serait proche de celui des biens privés. A l’instar des voix qui se sont élevées au cours de la Première Guerre mondiale pour dénoncer la destruction de biens d’exception, suscitant par là une mobilisation générale afin que de nouvelles normes soient adoptées leur assurant une meilleure protection dans de telles situations, la Commission semble avoir, elle aussi, concentré ses efforts sur les seuls biens dont l’intérêt culturel à assurer leur préservation serait indiscutable. Force est de constater que la protection conférée au patrimoine culturel par les régimes juridiques existants ou en devenir semble se détacher progressivement du pa-trimoine culturel implicitement « national », tel que le reflètent les dispositions de la Réglementation de 1907, pour se porter sur un patrimoine culturel « uni-versel », un patrimoine d’exception appartenant à l’humanité entière, mais bien évidemment plus restreint.

Cette tendance transparaît également du peu d’émotion suscitée, au sein de l’opinion publique ou dans les milieux avisés, par la destruction d’ innom-brables biens culturels ou monuments historiques sis dans les villages ou petites villes proches des lignes de conflit lors des combats menés au cours de la « Grande Guerre ». L’importance attribuée dans les traités de paix conclus après la guerre à la restitution, ou au remplacement, de biens culturels excep-tionnels exclusivement, atteste également l’intérêt prioritaire qui leur était ac-cordé. Ainsi, à partir de la Première Guerre mondiale, la perception du patri-moine culturel devant être protégé en cas de conflit armé semble avoir surtout porté sur les biens culturels de valeur incontestée, au détriment de ceux dont la notoriété était moindre. Les efforts entrepris ultérieurement par la commu-nauté internationale, au travers tant du rapport de la NOB de 1918 que du pro-jet de règlement de la guerre aérienne de 1923, le confirment.

Cela étant, les efforts de codification évoqués ci-dessus, visant à l’amé-lioration de la protection du patrimoine culturel, méritent toutefois d’être souli-gnés. En effet, avec l’application du projet de règlement de la guerre aérienne notamment, la protection desbiens ennemis,et parmi eux ceux appartenant au patrimoine culturel des belligérants, s’en serait trouvée considérablement ren-forcée si elle avait été adoptée. Nonobstant l’absence de caractère contraignant de ces dispositions, l’importance de ces dernières est considérable, car elles constituent, selon la doctrine, « une tentative faisant autorité pour éclaircir et formuler des normes juridiques concernant l’utilisation des aéronefs en temps de guerre »342. La Commission avait l’obligation de soumettre ses conclusions aux six pays qui y étaient représentés, à savoir les grandes nations victorieuses de l’époque343. Or, à leurs yeux, même si ces règles ne constituaient que des

re-342 Oppenheim, L., Lauterpacht, H.,International Law,7èmeéd., Londres, 1952, vol. 2, p. 519.

343 Les Etats-Unis dAmérique, la France, lItalie, le Japon, les Pays-Bas, le Royaume-Uni.

commandations, elles reflétaient cependant les règles coutumières dégagées des conventions régissant le droit de la guerre sur terre et sur mer344, et bénéficiaient d’un statut dont le principe était largement reconnu345.