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Le patrimoine culturel dans une perspective historique

B. Le patrimoine culturel dans la pensée philosophique et les us et coutumesphilosophique et les us et coutumes

1. A la Renaissance Propos introductifsPropos introductifs

1.5. Hugo Grotius (1583-1645)

Hugo Grotius, éminent juriste néerlandais, contribuera lui aussi au développe-ment du droit international, de même qu’à la réglementation des conflits armés. Dans sonœuvreDe jure belli ac pacis(1625), il pose les fondements du droit international basé sur le droit naturel et développe lui aussi le concept de la guerre juste. Grotius soutient la thèse selon laquelle le droit n’est pas l’expression de la seule justice divine, mais également le fruit de la raison hu-maine159. Il adhère en effet à des thèses plus rationalistes que celles défendues par les théologiens antérieurement, et conçoit le droit naturel comme un corps de règles régissant les conduites humaines, et fondant les obligations qui pro-cèdent d’un rapport inhérent aux choses, et non de la seule volonté de Dieu.

Cette dernière ne serait selon lui qu’une source indirecte du droit naturel, qui fonderait notamment les principes moraux régissant le droit naturel.

Grotius reprend la distinction établie par Aristote entre le droit naturel et le droit volontaire, soit le droit positif qui procède de la loi tant humaine que di-vine. Or, Grotius rattache lejus gentiumau droit volontaire, fruit de la raison des hommes et créé par les seules Nations. Si les Evangiles, tels les textes bibli-ques, appartiennent au droit volontaire divin, le droit des gens relève quant à lui de la volonté commune des peuples, le droit volontaire humain, qui lui confère sa force obligatoire. Ainsi, selon Grotius, lejus gentiumne procéderait pas d’une volonté supérieure à celle des peuples et des nations, mais de leur

158 Gome z Ro ble do,A.,Fundadores del derecho internacional, op. cit.,p. 52.

159 Picte t,J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 28.

Chapitre 1 : Le patrimoine culturel dans une perspective historique

43 seul accord, fondé sur leurs volontés convergentes et la coutume. Ce droit doit toutefois s’appliquer dans le respect du droit naturel qui lui est supérieur, et qui tempère la sévérité de l’usage des nations160.

A l’instar de Gentili, Grotius défend la thèse selon laquelle les êtres hu-mains aspirent par nature à vivre en société, paisiblement, et, pour ce faire, la communauté qu’il constitue doit être réglée. L’Etat serait donc le fruit de ce contrat liant les membres d’une communauté, et par lequel lui serait dévolu le rôle d’assurer le respect des lois, notamment celles relevant du droit national, consacrant certains droits fondamentaux inspirés du droit naturel161. Grotius élabore une théorie de l’Etat qui reflète la transformation que connaissent les relations interétatiques en ce début du 17èmesiècle et, ce faisant, il soumet celles-ci à des exigences morales, au même titre que le sont les individus au regard de leur droit national. L’Etat juste est selon lui celui qui garantit le respect de la loi, qui limite l’exercice de la puissance publique, en réglementant notamment l’usage de la force dans les rapports internationaux. Grotius pose ainsi, lui aus-si, les fondements de la théorie de la guerre juste.

Comme les penseurs de l’Ecole de Salamanque, Grotius reprend de Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin le concept de la guerre juste et en précise les conditions162. Parmi celles-ci, il privilégie le critère de l’autorité compétente par rapport à celui de la juste cause. En effet, si une guerre pouvait à ses yeux être légitimement juste, sa licéité n’exemptait toutefois pas les belligérants du devoir de respecter les lois de la guerre163. Selon lui, « la puissance souveraine doit être limitée par la force du droit, à défaut d’organes supérieurs aux Etats ».

Grotius recherche donc dans le droit naturel et lejus gentiumles règles qui per-mettent de dégager les raisons justifiant le déclenchement d’une guerre juste. Il adjoint à la légitime défense d’autres causes autorisant l’ouverture d’hostilités, tels la punition d’un coupable, la destitution d’un tyran, le recouvrement de ce qui a été illicitement soustrait164.

160 Nahlik,S. E., Recueil des cours de lAcadémie de La Haye,op. cit.,p. 76.

161 Me urant,J., « Approche interculturelle »,op. cit.,p. 232 ; Pictet, J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 28.

162 Les conditions que Grotius reprend à son compte sont multiples : linitiative des hostilités nappartient quà lennemi ; lautorité qui décide du conflit est légitime ; les autres voies de recours sont épuisées ; la cause doit être juste ; elle suppose des chances raisonnables de succès ; elle nimplique quun usage raisonné de la violence, prenant en compte la seule proportion nécessaire entre les maux en-gendrés et les avantages attendus ; une distinction doit être respectée entre les combattants et les non-combattants ; etc.

163 Picte t,J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 28 ;Me u-rant,J., « Approche interculturelle »,op. cit.,p. 232.

164 Viot ti,A.,« In search of symbiosis : the Security Council in the humanitarian domain »,RICR, no865, 2007, p. 134.

La violence armée légitime ne correspond plus selon Grotius à une seule obligation de châtiment, qui constituait en quelque sorte dans une guerre juste une fin en soi, elle n’est désormais qu’un moyen permettant de conduire à la victoire. Le seul but de la guerre est à ses yeux le retour à la paix, et le recours aux hostilités ne constitue qu’une manière de vider les différends par la voie de la force. Elle se doit donc, à ce titre, d’être elle aussi réglementée, tant dans son déclenchement, sa conduite que son achèvement165. A l’opposé des guerres du Moyen-Age, dans cette nouvelle acception, celles-ci ne visent plus à imposer un dogme à un autre, mais constituent un moyen de résoudre les différends.

Cette perception du rôle de la guerre sous-tendra tout le système westphalien qui mettra fin notamment aux guerres de religions166. Outre les précisions qu’il apporte relevant dujus ad bellum, Grotius développe également lejus in bello, notamment la réglementation de la conduite des hostilités, en posant les fonde-ments des principes de distinction, de nécessité militaire et de proportionnalité.

Dans les Temperamenta belli,exposés dans son œuvre De jure belli ac pacis,il condamne la violence excessive qui ne répondrait à aucune nécessité mili-taire167. Il juge que de telles opérations militaires sont contraires aux principes de modération et de proportionnalité, découlant du droit naturel.

Quoique Grotius ne se soit pas explicitement prononcé sur le respect dû au patrimoine culturel en cas de conflit armé168, il a, par ses écrits, contribué à sa protection dans de telles circonstances. Il relève en effet :

«Polybus says it is a sign of an infuriated mind to destroy those things which, if de-stroyed, do not weaken the enemy nor bring gain to the one who destroys them : such things as temples,colonnades, statues and the like. Marcellus, whom Cicero praises, spared all the buildings of Syracuse, public and profane, just as if he had come with his army to defend them not to capture them (. . .)»169.

Se référant à des auteurs anciens, tels Polybe ou Cicéron, Grotius évoque et condamne la destruction et le pillage dont ont fait l’objet des villes antiques, telles que Carthage, notamment. Ces exemples conduisent Grotius à juger que lejus gentium,expression de la pratique des nations, excède à certaines occasions les limites posées par le droit naturel, et qu’il appartient alors à la raison humaine d’empêcher que de tels excès soient commis, notamment lorsque ceux-ci n’ont aucun rapport avec la nécessité des opérations

mili-165 Picte t,J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 28.

166 Viot ti,A.,« In search of symbiosis : the Security Council in the humanitarian domain »,RICR, No865, 2007, p. 135.

167 Picte t,J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 28 ; Meu-rant, J., « Approche interculturelle »,op. cit.,p. 232.

168 Nahlik,S. E., Recueil des cours de lAcadémie de La Haye,op. cit.,p. 74.

169 Gr ot ius,H.,De jure belli ac pacis,III, VI, XII in Merryman, J. H., « Cultural Property Internationalism », International Journal of Cultural Property (IJCP), Vol. 12, Nb. 1, 2005, p. 15.

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45 taires170. Prêchant à nouveau les valeurs de modération, il souligne que les destructions de biens sacrés ou artistiques, si elles n’apportent rien au plan militaire, ne sont ni modérées ni proportionnées, et elles ne sont dès lors pas justifiées.