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Classification des traités selon leur « nature »

Les effets des conflits armés sur l ’ applicabilité des traités

A. Controverses sur l ’ effet des conflits armés sur les traitéssur les traités

1. Les principes régissant l’effet des conflits sur les traitéstraités

1.3. Classification des traités selon leur « nature »

Les tentatives de classification des traités en vertu de leur « nature », menées préalablement à la Seconde Guerre mondiale, sont principalement l’œuvre de juristes appartenant à l’école anglo-saxonne. Parmi ces derniers, Sir Arnold McNair a proposé un classement sur la base de critères qui, au vu des travaux menés sur ce sujet par l’Institut de droit international, puis plus récemment par la CDI, conservent aujourd’hui encore toute leur pertinence. Certaines de ces catégories, plus étroitement liées au thème de la présente thèse, seront évo-quées ci-dessous559.

La première catégorie se réfère aux « Traités ayant rapport aux droits per-manents, soit pour les engendrer, soit pour les reconnaître ou les réglementer ».

Se rattachent à cette catégorie notamment les traités relatifs à la délimitation de territoire, de frontière, de délivrance d’un statut lié à la nationalité, de droit de passage, de navigation, de droit de pêche, etc., octroyant des droits permanents tant aux Etats qu’aux individus560. Cette catégorie, susceptible de recouvrir des traités de types différents, appelle notamment les commentaires suivants.

Le rôle de la volonté des Parties au moment de conclure, dans l’ ap-préciation du sort à réserver à cette catégorie de traités paraît déterminant.

C’est en effet en vertu de la seule « intention » des Parties d’instaurer au travers de tels accords un statut permanent, que le maintien en vigueur de ces derniers est assuré. A défaut de toute mention dans un traité prévoyant expressément son application en cas de conflit armé, c’est la « nature » des droits visés par les cocontractants, fondement de leur accord, qui demeure le seul critère sus-ceptible d’être retenu. Ce constat revêt une importance considérable, notam-ment pour les traités au sujet desquels il conviendra de déterminer si les Parties souhaitaient assurer par là un régime permanent. Cette question n’est pas non

557 Fitzmaurice, G.,Recueil des cours,Académie de La Haye, vol. 73 (1948, II, p. 308-12) in Rapport de la CDI sur les effets des conflits armés sur les traités de 2005, p. 14.

558 CDI, Etude du Secrétariat de 2005,op. cit.,p. 15.

559 Ne seront pas repris notamment ceux pour lesquels le maintien est reconnu de tous, comme les traités dont une norme expresse prévoit leur application en cas de conflit, ou les conventions de droit des conflits armés, ni ceux dont labrogation est admise de tous, soit les traités dits « politiques ».

560 McNair, A.,« Les effets de la guerre sur les traités », Recueil des cours de lAcadémie de La Haye, 1937-I, vol. 59, p. 537.

plus étrangère à l’appréciation future qui sera menée par la CDI à l’endroit des instruments du droit international des droits de l’homme.

La deuxième catégorie retenue ici se réfère aux « Traités pour la protection de la propriété industrielle et littéraire »561. Ces traités sont dans la plupart des cas multipartites. La pratique des Etats constatée pendant la Première Guerre mondiale révèle que des traités, tels que la Convention de 1883 pour la protec-tion de la propriété industrielle et la Convenprotec-tion de Berne de 1886 pour la pro-tection desœuvres littéraires et artistiques, sont restées en vigueur, entre belli-gérants et Etats neutres, mais également entre bellibelli-gérants, ou à défaut ont uniquement été suspendus. La raison principale évoquée pour justifier leur maintien était que de tels accords visaient à établir « un état des choses plus ou moins permanent »562.

Il convient de relever en outre que ces traités octroyaient des droits répon-dant principalement aux intérêts des personnes privées et non à ceux des Etats.

Ceux-ci n’entraient dès lors pas systématiquement dans la catégorie des traités incompatibles avec l’état de guerre, car susceptibles de menacer la sécurité ou la conduite des hostilités menées par l’Etat concerné. Il y a également lieu de relever que certains de ces traités sont susceptibles de conférer des droits dévo-lus, à savoir des droits acquis aux bénéficiaires. Or, en vertu de divers juge-ments rendus sur des causes semblables à l’époque de la Première Guerre mon-diale, il a été décidé qu’en dépit de la suspension de certains traités, une telle mesure de suspension ne saurait affecter les droits préalablement acquis par les personnes privées à travers eux563.

La troisième catégorie porte sur les « Traités multipartites qui engendrent un statut ou un régime ou une union internationale ». La position arrêtée par la doctrine pendant l’Entre-deux-guerres était que de tels traités avaient pour but d’instaurer un degré de permanence aux droits qu’ils octroyaient, et que donc ils n’étaient pas affectés par la survenance d’un conflit armé. La pratique des Etats à la fin du 19èmesiècle et au début du 20ème, au regard notamment de traités garantissant un statut à un territoire ou à un Etat, qu’il s’agisse d’un tracé de frontière ou d’un statut de neutralité, tend à démontrer que ce type de traités était considéré de la même façon que ceux faisant partie d’un régime gé-néral international que les Parties avaient l’intention d’instaurer de façon

per-561 McNair, A.,« Les effets de la guerre sur les traités », Recueil des cours de lAcadémie de La Haye, 1937-I, vol. 59, p. 569.

562 Tobin, T.,The Termination of Multipartite Treaties,Cambridge University Press, Cambridge, 1933, p. 108 & 181 traduit par McNair, A., « Les effets de la guerre sur les traités », Recueil des cours de lAcadémie de La Haye, 1937-I, vol. 59, p. 569.

563 Cette position a été arrêtée par divers tribunaux dans le cas de causes semblables pendant la Première Guerre mondiale, dont le Tribunal impérial allemand et la Cour suprême dAutriche ; McNair, A., « Les effets de la guerre sur les traités », Recueil des cours de lAcadémie de La Haye, 1937-I, vol. 59, p. 571-572.

Chapitre 3 : Les effets des conflits armés sur l’applicabilité des traités

157 manente. De tels traités n’étaient dès lors pas automatiquement abrogés par la survenance d’une guerre. Sir Arnold McNair relève à cet égard l’analogie entre les traités multipartites traités ici et ceux concernant la protection de la pro-priété industrielle et littéraire. Ce faisant, il souligne que les uns comme les au-tres tendent à instaurer un régime permanent et à protéger les droits acquis et que l’intention des Parties est donc que ces derniers soient maintenus564.

La quatrième et dernière catégorie évoquée ici est celle des « Traités-lois ».

Il s’agit aussi le plus fréquemment de traités multipartites posant des obliga-tions communes à toutes les Parties contractantes. Ils peuvent contenir des rè-gles législatives, telles les conventions internationales de travail ou des régle-mentations relatives à des statuts d’état-civil, que chacune des Parties est tenue d’appliquer. Les conventions de droit des conflits armés sont aussi assi-milables à cette catégorie de traités, quoique la question de leur extinction ou suspension ne se pose pas dans le cas d’espèce. Cela étant, il ressort de la pra-tique des Etats et de la jurisprudence des tribunaux appelés à statuer sur l’applicabilité de certaines de leurs normes, qu’en dépit du conflit armé en cours, et pour autant que celles-ci ne confèrent pas des droits pouvant porter atteinte à la politique nationale en relation avec le déroulement du conflit armé ou de mettre en péril la sécurité nationale, ces traités sont maintenus.

En conclusion, il ressort de l’analyse tant des différentes catégories de trai-tés décrites ci-dessus que des critères retenus pour les distinguer, qu’à défaut de disposition expresse dans un traité relative à la question analysée ici, c’est principalement la « nature » même des traités en cause, ainsi que l’« intention » des Parties lors de leur conclusion, qui détermineront dans la plupart des cas le sort de ces derniers, à savoir leur maintien en vigueur, leur suspension ou leur abrogation565. L’opposition marquée entre les théories francophone et anglo-sa-xonne s’est ainsi peu à peu estompée au profit d’une doctrine faisant désormais peu de cas de l’option relative à la caducitéipso factodes traités à l’ouverture des hostilités. Cela étant, les difficultés relatives à l’identification d’éléments permettant de déterminer la pratique des Etats en la matière, ne nous autori-sent pas à affirmer que cette dernière s’aligne uniformément sur une position de principe privilégiant les critères d’interprétation fondés sur la « nature » des traités ou l’« intention » des Parties lors de leur conclusion. Les travaux menés par la CDI, analysés dans la sous-section qui suit, permettront d’illustrer les problèmes rencontrés à cet égard.

564 Ibid.,p. 575.

565 Ibid.,p. 580.

2. Les travaux de la Commission du droit