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Le patrimoine culturel dans une perspective historique

B. Le patrimoine culturel dans la pensée philosophique et les us et coutumesphilosophique et les us et coutumes

2. Les Temps modernes 1. Propos introductifs1.Propos introductifs

2.2. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

Parmi les auteurs de cette époque qui ont tenté d’humaniser la guerre, figure principalement Jean-Jacques Rousseau. Philosophe et essayiste genevois, il a abordé le thème de la guerre dans ses multiples écrits qui ont profondément marqué le 18èmesiècle, et au-delà. Il a d’ailleurs consacré un ouvrage au thème de la guerre intitulé« Que l’Etat de guerre naît de l’Etat social »,dont la rédaction est difficile à dater, mais qui avait vocation à s’intégrer dans son grand projet de livre consacré aux institutions politiques. Ces textes ne seront publiés qu’à titre posthume. Rousseau évoque toutefois le thème de la guerre dans nombre de ses autres écrits, notamment« Du Contrat social »,où il définit la guerre à tra-vers la formule suivante :

194 Ibid.

195 Ibid.

Chapitre 1 : Le patrimoine culturel dans une perspective historique

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« La guerre n’est pas une relation d’homme à homme mais une relation d’Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens, mais comme soldats, non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs »196.

La vision qu’a eue Rousseau de la guerre le consacrera désormais pour les gé-nérations futures comme le premier penseur du droit des conflits armés mo-derne197. Il s’écarte par cette phrase de la position de Thomas Hobbes (1588-1679), notamment, illustrée dans sonœuvre majeure« Le Léviathan »où il pré-sente sa conceptualisation de l’Etat, qui est de nature anarchique, et du contrat social qui pose les fondements de la société civile. La pensée de Hob-bes s’appuie sur le droit naturel, en vertu duquel, selon lui, la guerre s’inscrit dans l’ordre naturel de l’humanité, homo homini lupus198, état qui est en outre garanti par la raison d’Etat199. Selon Rousseau, l’inclination de l’homme à la sociabilité, théorie à laquelle la plupart des philosophes se rallient depuis les publicistes espagnols200, ne trouve pas son fondement dans le droit natu-rel, mais dans l’intérêt même que trouve l’individu à la vie en société, ainsi que dans sa faculté de compassion envers ses semblables201. Pour assurer leur survie en groupe, les êtres humains délèguent leur pouvoir à l’Etat qui, l’exerçant pour eux, doit, pour ce faire, réglementer la vie civile et légiférer.

Rousseau qualifie cette délégation de pouvoir de « Contrat social », qui insti-tue la Société civile202. A ses yeux, « . . . l’ordre social ne vient pas de la Na-ture, il est fondé sur des conventions . . . »203et la violence ne résulte pas de l’Etat de Nature mais de l’Etat de Société. Il précise toutefois que c’est dans le droit naturel que l’homme trouve le fondement de son obligation de res-pecter les conventions204.

En transposant au plan international le mécanisme d’organisation interne évoqué ci-dessus, Rousseau constate l’impossibilité de fonctionnement d’une telle structure du fait de l’absence de pouvoir faîtier apte à réguler les rapports

196 Ro us se au, J.-J.,Du Contrat social,chapitre IV, éditions Garnier, Paris, 1962, p. 240-41 (1èreédition : 1762) in Bugnion, F., « La genèse de la protection juridique des biens culturels »,op. cit.,p. 317.

197 Picte t, J.,Développement et principes du droit international humanitaire,Genève, 1983, p. 31.

198 En affirmant que lhomme était un loup pour lhomme, Hobbes considérait que létat de guerre existait en tout homme et quil était conforme à sa nature.

199 Philonenko, A .,Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur,Paris, 1984, p. 86.

200 Aristote, Saint Thomas, Grotius et dautres avaient déjà défendu cette théorie, mais alors que Hobbes soutenait que cétaient les besoins vitaux des hommes qui les rendaient ennemis, Pufendorf affirmait au contraire que cétaient ces mêmes besoins vitaux qui les rendaient sociables ;Dér athé, R., Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps,Paris, 1988, p. 146.

201 Dé rathé , R.,Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps,Paris, 1988, p. 144.

202 Goyard-Fabr e,S.,Qu’est-ce que la politique ?,Paris, 1992, p. 20.

203 Philonenko,A.,Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur,Paris, 1984, p. 86.

204 Dé rathé , R.,Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps,Paris, 1988, p. 159.

interétatiques205. Dépourvus d’un tel mécanisme de régulation, les Etats s’opposent les uns aux autres, et c’est de ces luttes que naissent les guerres206. Le concept de guerres justes ou injustes n’est dès lors plus de mise dans sa pen-sée. En adoptant cette position, Rousseau s’écarte de celle prévalant parmi les autres philosophes du 18èmesiècle, selon laquelle c’était dans la société interna-tionale, lacivitas maxima,qui serait régulée par lejus gentium,expression de la

« volonté générale », à l’instar de celle de la société civile, que résiderait la solu-tion pour lutter contre la guerre207.

Rousseau ne s’est semble-t-il pas expressément prononcé sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés. Cela étant, du constat qui est le sien selon lequel la guerre oppose les Etats et non les peuples ou les hommes, Rous-seau pose clairement par là l’obligation des belligérants de respecter le principe de distinction entre d’une part les combattants, les armées représentant les Etats, et d’autre part les non-combattants, à savoir les civils composant les peu-ples. Il pose en outre définitivement le fondement du principe de distinction déjà existant, dans les us et coutumes de la guerre, entre les biens publics et la propriété privée208. Il ajoute de surcroît qu’un combat n’a pas d’autre fin que de soumettre l’Etat ennemi, et qu’aucune action allant au-delà de cet objectif ne serait justifiée. De tels actes seraient alors dépourvus de légitimité209. Ainsi, ou-tre le principe de distinction, Rousseau pose avec fermeté le principe de néces-sité militaire, en vertu duquel les atteintes contre le patrimoine culturel, notam-ment, sont en principe dénuées de tout fondenotam-ment, et sont dès lors interdites.

Quoique le patrimoine culturel n’ait pas été expressément évoqué, ce dernier est à mettre prioritairement au bénéfice de l’apport que constitue la pensée de Rousseau au droit des conflits armés.

Des auteurs contemporains de Rousseau aborderont plus précisément la protection des biens culturels dans les conflits armés. Il convient de rappeler que le 18èmesiècle, Siècle des Lumières, marque l’apogée d’un courant issu de la Renaissance, visant à différencier lesœuvres d’art et les monuments histori-ques des autres biens, ainsi qu’à leur accorder la déférence et la protection dic-tées par leur intérêt tant artistique qu’esthétique. Ce courant transnational, lar-gement répandu parmi les philosophes et penseurs de ce siècle, de même qu’auprès des élites européennes, appelé initialementrepublica literaria,connut sa célébrité sous l’appellation de « République des Lettres »210. Par ailleurs, aux

205 Goyard-Fabr e,S.,LInterminable querelle du contrat social,Ottawa, 1982, p. 171.

206 Dé rathé , R.,Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps,Paris, 1988, p. 135.

207 Goyard-Fabr e,S.,L’Interminable querelle du contrat social,Ottawa, 1982, p. 167.

208 Toman,J.,Commentaire de la Convention de 1954, op. cit.,p. 20.

209 Picte t, J., Développement et principes du droit international humanitaire, Genève, 1983, p. 31 ; OKe efe, R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 12.

210 Ibid.,p. 8.

Chapitre 1 : Le patrimoine culturel dans une perspective historique

53 biens tels que les peintures, sculptures, monuments et autresœuvres architec-turales, devaient en outre s’ajouter, dès le 18èmesiècle, les sites archéologiques et les biens qu’ils contiennent211.

2.3. Emer de Vattel, John Locke, Justin Gentilis et le Baron de