• Aucun résultat trouvé

De la Déclaration de Bruxelles de 1874 au Manuel d’Oxford de 1880d’Oxford de 1880

Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

A. Des premières normes du droit de la guerre à celles de l’Entre-deux-guerres

1. Les efforts de codification du droit avant 1899 Le Code Lieber de 1863

1.2. De la Déclaration de Bruxelles de 1874 au Manuel d’Oxford de 1880d’Oxford de 1880

1.2.1. La Déclaration de Bruxelles de 1874

a. Propos introductifs

Les dispositions du Code Lieber exerceront une influence considérable sur les codifications internationales futures, notamment sur le « Projet d’une Déclara-tion internaDéclara-tionale concernant les lois et coutumes de la guerre », adopté à Bruxelles le 27 août 1874, et appelé depuis « la Déclaration de Bruxelles »268. N’étant pas mandatée pour la conclusion d’un traité international, la Confé-rence, réunie alors à Bruxelles, adopta une Déclaration qui contenait un projet d’accord international sur le droit de la guerre, transmis aux gouvernements respectifs des délégués présents, en vue de l’adoption d’une future convention

266 OKe efe, R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 22.

267 Nahlik, S. E.,Recueil des cours de lAcadémie de La Haye,op. cit.,p. 93.

268 Chamberlain, K.,War and Cultural Heritage, op. cit.,p. 9.

Chapitre 2 : Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

71 sur ce sujet269. Quoique ce texte n’ait jamais eu qu’une valeur déclarative, l’étendue et la précision des prescriptions qu’il contient, d’une part, et la reprise presque littérale de ses dispositions dans les Conventions qui seront adoptées à la Conférence internationale de la Paix à La Haye en 1899270, d’autre part, lui confèrent une importance sans précédent, notamment en matière de protection du patrimoine culturel.

b. « Les biens privés »

Suivant une structure semblable à celle du Code Lieber, la protection des biens appartenant au patrimoine culturel s’exerce là aussi successivement au travers de la protection dévolue à la propriété ennemie pendant les hostilités, à la pro-priété privée en cas d’occupation militaire, et aux biens privilégiés. Parmi les normes régulant la conduite des hostilités, dans une des sections, intitulée

« Des moyens de nuire à l’ennemi », l’article 12g) de la Déclaration énonce un principe général en vertu duquel la « propriété ennemie », sans distinction en-tre les biens publics et privés, doit êen-tre protégée, sauf nécessité militaire. Cette disposition « interdit » en effet :

«Toute destruction ou saisie de propriétés ennemies qui ne serait pas impérieusement commandée par la nécessité de la guerre ».

Dans la section suivante, traitant « Des sièges et des bombardements », est évoqué plus précisément le thème de la protection de la « propriété privée », sous l’angle de la protection des biens des civils ne participant pas aux hostili-tés, notamment à l’occasion de bombardements. L’article 15 du Projet de Décla-ration prescrit en effet :

« Les places fortes peuvent seules être assiégées. Des villes, agglomérations d’habi-tations ou villages ouverts qui ne sont pas défendus, ne peuvent être ni attaqués, ni bombardés ».

S’agissant des situations d’occupation militaire, la Déclaration de Bruxelles, à l’inverse du Code Lieber, pose clairement le principe en vertu duquel la pro-priété privée des personnes aux mains de l’ennemi, notamment, ne peut être confisquée. L’article 38 prescrit :

«L’honneur et les droits de la famille, la vie et la propriété des individus, ainsi que leurs convictions religieuses et lexercice de leur culte doivent être respectés. La pro-priété privée ne peut être confisquée ».

269 Kalshove n, F.,Reflections on the Law of War,Leiden, 2007, p. 433 (ci-après cité :« Reflections »).

270 Afin de faciliter la lecture, ces Conventions sont citées : « la Réglementation de La Haye de 1899 ».

c. « Les biens privilégiés »

Quant aux biens publics dans ces mêmes situations, l’article 6 autorise l’armée d’occupation à prélever les valeurs mobilières, ainsi qu’à saisir ou faire usage des biens nécessaires au déroulement de ladite occupation, ou pour compenser les coûts de celle-ci. Parmi les biens publics, certains toutefois ne peuvent être saisis, il s’agit dès lors de biens privilégiés, et toute atteinte à leur endroit doit faire l’objet de poursuites, ainsi que l’exige l’article 8 :

«Les biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité, aux arts et aux sciences, même appartenant à l’Etat, seront traités comme de la pro-priété privée. Toute saisie,destruction ou dégradation intentionnelle de semblables éta-blissements, de monuments historiques,d’œuvres d’art ou de science, doit être pour-suivie par les autorités compétentes ».

Les biens publics appartenant au patrimoine culturel sont donc, à l’instar du Code Lieber, assimilés à des biens privés et font l’objet d’une protection spéciale en situation d’occupation militaire. Or, il en va de même dans le cadre de la ré-glementation relative à la conduite des hostilités, ces biens spécifiques béné-ficiant d’une protection, qu’ils soient publics ou privés, du fait de leur nature ou de leur affectation qui leur octroie un statut distinct. L’article 17 prescrit en effet :

«En pareil cas (i.e. lorsqu’une ville est défendue), toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts,aux sciences et à la bienfaisance,les hôpitaux et les lieux de rassemblements de malades et de blessés, à condition qu’ils ne soient pas utilisés en même temps à un but militaire. (. . .) ».

Ce dernier article revêt une importance considérable en termes de protection du patrimoine culturel et spirituel. En effet, quoique la régulation formulée par la Déclaration en situation de sièges et de bombardements accorde encore aux forces armées belligérantes une large marge de manœuvres, l’absence de contraintes à l’endroit des personnes civiles en témoigne271, l’attention devant être portée par les belligérants à certains édifices, ainsi que l’exige l’article 17, traduit l’importance attachée à la protection de tels biens à cette époque. Ce constat est renforcé par le fait que l’attention requise s’impose désormais à l’ensemble des belligérants. En effet, à l’obligation de l’assaillant d’« épargner autant que possible » ces biens, s’ajoute aussi celle du défenseur qui a, quant à lui, l’interdiction de les utiliser « en même temps à un but militaire ». Parmi les biens qu’il énonce, outre les édifices consacrés à l’action caritative, tels les hôpi-taux et autres édifices consacrés à la bienfaisance, confirmant par là la protec-tion qui leur est consacrée par la Convenprotec-tion de Genève de 1864, se profilent

271 Seul lart. 16 de la Déclaration de Bruxelles pourrait être invoqué en matière de protection des person-nes civiles, quoique indirectement. Ce dernier prescrit en effet :« Mais si une ville ou une place de guerre, agglomération d’habitations ou villages, est défendu, le commandant des troupes assaillantes, avant d’entreprendre le bombardement, et sauf l’attaque de vive force, devra faire tout ce qui dépend de lui pour en avertir les autorités ».

Chapitre 2 : Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

73 aussi d’autres types de biens devant être épargnés en cas de sièges ou de bom-bardements. Une protection égale doit leur être conférée en vertu de leur fonc-tion de garant de la préservafonc-tion du patrimoine tant spirituel, artistique, intel-lectuel que scientifique. Quoique ces biens soient comparables à ceux évoqués aux articles 34, 35 et 36 du Code Lieber, le choix de l’emploi de termes plus gé-nériques adopté à l’article 17, plutôt que celui d’une liste exemplative de biens dans le Code précité, permet de dégager des critères qui aideront à mieux cer-ner ce qu’il sera permis à terme de qualifier de patrimoine culturel.

1.2.2. Manuel d’Oxford de 1880

En dépit de la prise de conscience grandissante à l’époque de la nécessité de disposer d’un instrument régulant la conduite des conflits armés, les difficultés à réunir un consensus sur ce sujet entre les Etats a conduit un groupe de juristes composant l’Institut de droit international, nouvellement créé, à constituer sur la base de la Déclaration de Bruxelles, un manuel destiné aux forces armées,

«The Laws of War on Land, Oxford, 9 September 1880, intitulé le « Manuel d’Oxford ». Adopté à l’unanimité lors de la session d’Oxford de l’Institut, ce manuel de la guerre sur terre reprend les principes qui sous-tendent les dispo-sitions tant du Code Lieber que de la Déclaration de Bruxelles272.

L’interdiction de détruire les biens publics ainsi que les biens privés, si au-cune nécessité militaire ne l’exige, de même que celle de bombarder des villes non défendues, sont instituées respectivement à l’article 32 alinéas b) et c) du Manuel. Des dispositions semblables sont adoptées pour ces mêmes biens en situation d’occupation militaire. L’article 50 pose des contraintes à l’occupant en matière de biens publics, dont il ne peut disposer librement. S’agissant de la propriété privée, l’article 54 interdit leur confiscation, à l’exception de cas précisés aux articles 55 et suivants273. A l’instar des instruments précédemment cités, certains biens sont au bénéfice d’une protection spéciale. L’article 34 du Manuel d’Oxford prescrit aussi aux belligérants l’obligation, durant les hostili-tés, d’épargner certains biens à vocation caritative, spirituelle, artistique ou scientifique. Son article 53 pose des obligations semblables aux forces occupan-tes. Ils stipulent en effet respectivement :

«Article 34 : En cas de bombardement, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, si faire se peut, les édifices consacrés aux cultes, aux arts,aux sciences et à la bienfaisance,les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à la condition qu’ils ne soient pas utilisés en même temps, directement ou indirectement, pour la défense.»

272 OKe efe, R.,The Protection of Cultural Property . . ., op. cit.,p. 19.

273 Les dispositions du Manuel dOxford ne sont pas retranscrites intégralement dans cette présente étude, en raison de leur analogie avec les dispositions de la Déclaration de Bruxelles principalement.

Seuls les articles relatifs aux éléments du patrimoine culturel sont cités.

«Article 53 : Les biens des communes et ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité,à l’instruction,aux arts ou aux sciences, sont insaisissables. Toute destruc-tion ou dégradadestruc-tion intendestruc-tionnelle de semblables établissements, de monuments histo-riques,d’archives,d’œuvres d’art ou de science, est formellement interdite, si elle n’est pas impérieusement commandée par les nécessités de la guerre».

1.2.3. Remarques conclusives

Les dispositions du Manuel d’Oxford, sont très semblables à celles de la Décla-ration de Bruxelles, certaines étant reprises presque textuellement274. C’est le cas incontestablement des articles traitant des biens privilégiés. Contrairement au Code Lieber, qui énumérait une liste de ces biens, le choix des termes dans les deux instruments précités est guidé par un souci d’étendre cette protection à un ensemble de biens qui, soit par leur caractère intrinsèque–à l’instar d’une œuvre d’art ou d’un monument historique–, soit par rapport aux finalités aux-quelles ils répondent–tels un lieu de culte, un musée, ou autre–, doivent être protégés. Un troisième critère se doit également d’être évoqué, à savoir celui de la propriété du bien, la référence aux « biens appartenant aux municipalités » en est une illustration. Cela étant, ce critère est dans l’ensemble réservé aux si-tuations d’occupation militaire275.

L’absence de terme générique permettant de regrouper l’ensemble de ces biens sous un seul vocable perdurera pendant des décennies encore. Ce sont d’ailleurs les termes de la Déclaration de Bruxelles qui seront adoptés dans les dispositions à venir de la Réglementation de La Haye en 1899, lors de la Confé-rence internationale de la paix qui a finalement formellement adopté une régle-mentation du droit de la guerre. Si l’expression « patrimoine culturel » ne sera retranscrite dans un instrument juridique que plus d’un demi-siècle plus tard, des auteurs de l’époque ont fait appel à des expressions analogues pour évo-quer ces biens. Parmi eux, Johann Kaspar Blüntschli, alors qu’il condamnait le pillage des œuvres d’art sous la Révolution française, qualifiait ces biens de

« (. . .) monuments éternels du développement pacifique des nations (. . .) les plus nobles produits du génie humain »276. Ce faisant, ces auteurs ont aussi jus-tifié la nécessaire préservation de ces biens par le fait qu’ils constituaient des témoignages intemporels et universels du génie humain. Ainsi, si le concept de patrimoine culturel n’avait pas encore été adopté en cette fin du 19èmesiècle, sa transcription dans les textes juridiques, en tant qu’ensemble de biens à pro-téger en cas de conflit armé, avait déjà vu le jour à cette époque.

274 Toman, J.,Commentaire de la Convention de 1954, op. cit.,p. 26.

275 Nahlik, S. E.,Recueil des cours de lAcadémie de La Haye,op. cit.,p. 94.

276 Blüntschli, J .-G .,Le droit international codifié,p. 42 (Première édition en allemand en 1868 et en français en 1869) in Toman, J.,Commentaire de la Convention de 1954, op. cit.,p. 24.

Chapitre 2 : Développement normatif de la notion du patrimoine culturel

75 Les dispositions interdisant le « pillage », dans les codifications antérieures à la Réglementation de La Haye de 1899, n’apportent pas d’éléments addition-nels permettant de mieux circonscrire ce qui peut être qualifié de patrimoine culturel juridiquement protégé. L’interdiction du pillage y constitue un thème transversal en cas de guerre, abordé tant lors des hostilités que dans le cadre d’une occupation militaire. Le Code Lieber condamne cette pratique, et souli-gne que de tels actes peuvent être passibles de la peine de mort277. L’article 18 de la Déclaration de Bruxelles interdit expressément le pillage dans le cadre de villes prises d’assaut, et l’article 39 lors d’une occupation militaire. Le Manuel d’Oxford interdit dans les mêmes termes que la Déclaration précitée le pillage dans le cadre de la conduite des hostilités278. C’est dans la Réglementation de La Haye de 1899 que la condamnation de cette pratique trouvera sa forme la plus absolue.