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Introduction du chapitre 2

3. L es pratiques en matière d’orientation

3.2. Le projet professionnel

Le projet est une représentation d’une situation ou d’un état que l’on souhaite atteindre, ou d’un objet que l’on se propose de construire ou de transformer, en effectuant une série d’actions constituant l’esquisse d’un plan visant à la réalisation de ce dessein (Guichard 2007d). Le terme projet, apparu au XVe siècle, est le déverbal du terme projeter, lui-même composé de l’ancien adverbe puer, por, issu du latin porro qui signifie « en avant, au loin », et de « jeter » au sens de « concevoir un projet » (CNRTL 2012g). À la fin du XVIIIe siècle, le projet est utilisé comme synonyme de progrès (Boutinet, Bréchet 2014, pp. 12-13). En philosophie contemporaine, le projet est la représentation qu’un sujet se faire d’un but à atteindre (Tomès 2003).

Avoir un projet, c’est nécessairement ne pas vivre seulement en fonction du présent (Rayou, 1999, p. 63). De fait, la notion de projet comporte une part d’anticipation (Helson 1992) et apporte une certaine maîtrise qui permet de cerner les limites d’un champ d’action (Prost 1996). La construction d’un projet apparaît comme un apprentissage complexe qui se déroule dans le temps et qui engage la personne (Huteau 1992).

Le projet peut se définir comme la représentation d’une action que l’on a l’intention d’accomplir dans le futur (Bonvalot 1992). Si on accepte cette définition, il ne paraît pas possible d’un individu n’ait pas de projet. Non seulement il a un projet mais il en a une multitude qui se renouvellent en permanence. On réfléchit toujours à ce que l’on va faire dans les minutes, les heures, les semaines qui viennent, dans nos activités professionnelles ou de loisirs, dans nos relations avec les autres, etc. Non seulement tout le monde gère une multitude de projets mais la plupart du temps on a, consciemment ou non, une politique de projet, une ou des stratégies de projets. Certains principes « pratiques » nous guident dans nos choix.

Le projet professionnel intègre la notion d’incertitude et requiert une démarche volontariste (Dany, Livian 2002, p. 43). Appréhendé comme outil de gestion, c’est-à-dire un instrument de rationalisation (Moisdon 1997), le projet professionnel laisse apparaître un salarié qui ne veut pas subir la relation d’emploi mais la créer en fonction de ses désirs et aspirations et même l’anticiper dans son évolution future (Glée 2009). Un projet professionnel réaliste, qui tienne compte du contexte du marché du travail (Fournier 2002), permet à chacun d’agir sur sa carrière (Vermot-Gaud 1987, p. 169). Dans les faits, le projet professionnel permet au salarié de mieux s’adapter au besoin de l’entreprise et peut servir à justifier la place qu’il occupe dans l’entreprise (Glée 2001). Ce besoin de contrôler l’incertitude semble davantage présent chez les personnes en couple, notamment lorsqu’elles ont des enfants, car elles cherchent davantage à anticiper leur avenir (Denave 2006).

Le projet professionnel peut comporter trois variantes autonomes mais complémentaires qui sont destinées à entrer en interaction entre elles, voire en tension (Boutinet 2014, p. 41). Premièrement, il peut s’agir d’un projet professionnel d’emploi à quart, tiers, mi-temps ou plus. Deuxièmement, le projet professionnel identitaire peut être marqué par une perspective de réalisation et de continuité dans le même travail. Troisièmement, le projet professionnel de

mobilité ou projet de carrière consiste à échafauder un itinéraire fait de changements pour les années à venir.

Traditionnellement, la construction d’un projet professionnel se décompose en trois grandes parties : une analyse de personnalité, le bilan professionnel, la recherche de son prochain poste (Beauchesne, Riberolles 2000, pp. 12-15). L’analyse de personnalité consiste à réfléchir sur ses qualités, ses défauts et ses limites pour orienter le choix de son métier. Le bilan professionnel revient à faire l’analyse de chaque activité professionnelle mais aussi des choix de formation, des stages, des jobs d’été et des activités de loisir afin d’identifier les zones où la personne est la plus à l’aise et celles où elle doit progresser. La recherche de son prochain poste s’appuie sur les précédentes étapes pour déterminer le type d’entreprise dans laquelle la personne voudrait travailler.

Pour élaborer un projet professionnel, il est possible de recourir à plusieurs méthodes, telles que : l’introspection, l’objectivité, l’intersubjectivité, l’interaction (Goguelin, Krau 1992, pp. 151-163). La « méthode d’introspection » fait s’interroger la personne sur ce qu’elle souhaite faire, sur ses désirs et sur les situations globales qu’elle aime plus que d’autres. La « méthode objective » consiste à se faire aider d’un conseiller expert de l’orientation professionnelle qui utilise des outils plus ou moins sophistiqués et qui peut adopter une posture plus ou moins autoritaire. La « méthode intersubjective » fait intervenir une autre personne, un consultant, qui va dialoguer avec l’individu pour l’aider dans son introspection et apporter des informations en lien avec son projet professionnel. La » méthode d’interaction assistée par ordinateur » permet à la personne de faire un bilan sur lui-même et lui apporte des informations sur les métiers qui peuvent convenir sans aller jusqu’à l’accompagner dans l’élaboration d’un projet professionnel, c’est pourquoi il est recommandé de combiner cette méthode avec la précédente. Lorsque l’élaboration d’un projet professionnel est réalisée avec l’aide d’un consultant, celui-ci est là pour clarifier, responsabiliser ou encore proposer mais nullement pour imposer ses choix ou ses idées (Korenblit 2013, p. 250).

Le projet professionnel résulte de l’interaction entre d’une part, la réalité du monde du travail et les contraintes du marché du travail et d’autre part, les capacités réelles de la personne (Goguelin, Krau 1992, p. 57). Le projet professionnel doit être considéré comme un problème jamais, totalement et définitivement, résolu (Clavier 2002). Il doit être perçu comme une action à accomplir et non comme un état futur à atteindre, car ce qui compte ce n’est pas le

moment où il se formule, ni celui où il se termine, mais toute l’expérience de sa réalisation et c’est la raison pour laquelle il peut être opportun de changer de projet au moment de l’action pour mieux s’adapter à ce qu’on découvre en chemin ou parce qu’on a changé soi-même (Coquelle 1994). De fait, comme chaque personne doit constamment réajuster ses projets pour s’adapter au monde auquel il est confronté, il semble opportun de repousser le choix d’une orientation professionnelle le plus tard possible (Forner 2007).

Cependant, l’idéologie du projet professionnel est trompeuse pour plusieurs raisons. Premièrement, les trajectoires professionnelles sont fortement limitées par l’influence des normes organisationnelles (Pralong 2011). Deuxièmement, c’est aux personnes qui sont les plus en difficulté que l’on demande d’élaborer une stratégie personnelle (Sarfati 2015), ce qui paraît presque indécent (Levené 2011) quand on sait qu’une personne en situation de précarité perd le contrôle de ce qui lui arrive et se concentre davantage sur le présent (Castra, Valls 2007, p. 81). Troisièmement, cette démarche instrumentale peut aussi être assimilée à une manipulation insidieuse qui passe par la valorisation de la personne, de ses choix et de sa liberté (Vern 1992). Quatrièmement, en contradiction avec le discours managérial exclusif, scénique et stéréotypé (D’Almeida, Avisseau 2010) largement promu par les politiques de GRH, l’adoption d’une stratégie personnelle les condamne à être assimilés à une population de mercenaires, peu susceptible d’être intégrée durablement dans l’entreprise (Pralong 2013). En définitive, la psychologisation de la construction du projet masque des inégalités sociales dans la recherche d’emploi comme dans la reconversion professionnelle (Denave 2015, p. 30).

Le concept de prospective de soi permet de dépasser l’approche classique du projet professionnel pour que la personne, au travers d’un travail de désappropriation de ses repères culturels, identitaires et imaginaires, prenne conscience de l’ensemble de ses possibilités professionnelles (Boyer, Scouarnec 2009, p. 320). Cette démarche ne se limite pas aux évolutions propres à l’individu mais doit inclure également celles qui sont liées à l’évolution de son métier ou, plus largement, à son environnement professionnel et personnel (Cerdin 2015, pp. 181-182). En outre, l’exploration des futurs possibles du « soi » est relative au contexte présent et se concentre sur une stratégie de succès probable même si elle implique nécessairement la prises en compte d’éventualités positives et négatives (Oyserman, Destin, Novin 2015).

Le concept de soi est une entité complexe et multidimensionnelle, déterminée en partie par des éléments structuraux et stables de la société tels que : le statut et le rôle, les normes et valeurs sociales, les catégories et groupes sociaux (Roques 2004). Dans ses acceptations variées, le soi se substitue souvent au moi, dans un souci de marquer une distance (Fourment-Aptekman 2003). Il peut se définir comme une réflexion et une évaluation conscientes de ses caractéristiques qui permet à l’individu de les verbaliser (Harter 2012, p. 22). Le soi se construit progressivement dans le processus de l’expérience sociale et de l’activité sociale (Mead 2006, pp. 207-211). De plus, le soi est impensable hors de l’expérience sociale. La notion de soi peut renvoyer à un impératif de s’occuper de soi-même en adoptant une attitude spécifique (Foucault 1984, p. 62).

La construction de soi fait référence à l’ensemble des facteurs et processus permettant à un individu d’orienter son existence et, ainsi, de tenter de devenir ce qu’il est à ses yeux et aux yeux des autres à un moment donné (Guichard 2007b). Le processus de construction de soi comme professionnel mobilise un ensemble de représentations sociales présentes dans les différents milieux de vie qui sont utilisées comme repères identitaires, confrontées les unes aux autres et réinterrogées en continu (Cohen-Scali 2010, p. 204).

La notion de soi historique exprime la façon dont certains individus se comprennent eux-mêmes comme un produit de l’histoire et en même temps comprennent le sens liminaire de l’histoire à l’échelle de leurs vies (Martuccelli 2006, pp. 236-237). Il s’agit d’un dispositif collectif de lecture permettant d’enchaîner les dimensions de la vie personnelle avec des transformations historiques tout en saisissant l’histoire à l’horizon d’une vie. À la lumière du soi historique, ce qui prime est une forme de compréhension de soi et du monde, projectif et rétrospectif, permettant de mieux comprendre l’un grâce à l’autre et vice-versa.

Le soi, en tant que contenu, fait partie du processus exécutif qui dirige les actions d’une personne tout au long de sa vie (Carver, Scheier 1991). Le soi est considéré comme l’élément fondamental pour comprendre l’interprétation que fait la personne de ses rôles et de son niveau de développement (Bujold, Gingras 2000, p. 114). Les choix d’orientation peuvent être perçus comme des tentatives de réalisation d’une certaine idée que l’on a de soi (Guichard, Huteau 2006, pp. 102-108). La représentation du soi est donc au cœur des processus d’exploration des futurs professionnels et de décision. Avec l’organisation, la concurrence et

les marchés, le soi constitue l’un des quatre mondes de la carrière et fait référence à la dimension vocationnelle (Pralong 2010).

La prospective de soi est une approche anticipatrice qui traduit le comportement proactif d’une personne qui peut chercher à maîtriser sa trajectoire professionnelle (Gatignon-Turnau, Ventolini, Fabre 2015). L’engagement dans un comportement proactif est un phénomène complexe qui est déterminé à la fois par des caractéristiques individuelles, par des facteurs contextuels et, par sa propre perception des processus de médiation et de modération (Crant 2000). Ce type de comportement impacte la progression de carrière et la satisfaction (Seibert, Kraimer, Crant 2001). Il est en relation avec le succès de carrière (Orpen 1994), autant d’un point de vue objectif que subjectif (Seibert, Crant, Kraimer 1999).