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Introduction du chapitre 2

2. La théorie des ancres de carrière

2.2. Les contributions à la théorie des ancres de carrière

Au fil du temps, de nombreuses recherches sont venues enrichir la théorie des ancres de carrière. Nous passons en revue ces différentes contributions.

Le concept de contraintes

Contrairement à Schein (1987), Derr (1986, pp. 184-200) reconnaît l’influence des contraintes personnelles dans l’orientation de carrière. Celles-ci correspondent à une combinaison de situations personnelles qui ne peuvent pas changer à court terme et qui modifient la perspective de carrière interne. L’auteur donne plusieurs exemples : le manque d’encouragement de la part de son conjoint, la nécessité de s’adapter à la carrière de son conjoint, des responsabilités parentales très exigeantes, d’autres personnes à charge, la mauvaise santé physique, des problèmes physiques ou émotionnels non résolus, le manque de ressources financières, le manque de mobilité géographique, une discrimination de l’employeur à l’encontre du groupe minoritaire auquel on appartient, un début de carrière tardif, l’absence de mentors ou de parrains, l’absence de relations ou de groupe de pairs influents, l’absence de réseau d’amis et de soutiens.

Les facteurs qui influencent l’orientation de carrière

De nombreux facteurs influenceraient l’orientation de carrière des individus. Pour Martineau, Wils et Tremblay (2005), la relation d’emploi ou la culture pourrait intervenir dans le mécanisme de formation des ancres de carrière. D’autres facteurs externes tels que les contextes sociaux, familiaux et nationaux auraient également un impact sur les orientations de carrière (Alavi, Moteabbed, Arasti 2012 ; Rodrigues, Guest, Budjanovcanin 2013). Par ailleurs, pour Lee, et al. (2011), l’orientation de carrière pourrait être influencée par trois types de changements dans l’espace de vie : les évènements externes, le développement progressif, les actions individuelles sous la forme d’initiatives, de réponses et de choix. Selon Ensher, Nielson et Kading (2017), plusieurs types de moments pourraient s’avérer déterminants dans l’orientation de carrière : les évènements imprévus, les évènements

anticipés, les idées et la réflexion personnelle, les relations avec les autres, les expériences spirituelles.

Le choix de carrière par défaut

Selon Mainiero (1986), si certaines personnes s’orientent volontairement dans un choix de carrière, d’autres feraient ce choix par défaut. Cette perspective rejoint l’idée que l’évolution d’une carrière est presque toujours aléatoire puisqu’elle dépend des opportunités qui se présentent (March J. C., March J. G. 1977).

La multiplicité des ancres de carrière48

Pour Feldman et Bolino (1996), si la majorité des individus n’a qu’une seule ancre de carrière dominante, d’autres peuvent avoir une ancre primaire et une ancre secondaire. En outre, Martineau, Wils et Tremblay (2005) précisent que la multiplicité des ancres de carrière est un phénomène assez fréquent puisque la majorité des ingénieurs possèdent plusieurs ancres de carrière dominantes et qu’il ne s’agit pas là d’un phénomène pathologique car le fait de posséder plusieurs ancres de carrière est tout aussi satisfaisant que d’en avoir une seule. Le changement d’ancre de carrière

Rynes, Tolbert et Strausser (1988) expliquent que certains étudiants possèderaient une ancre de carrière mais que la confrontation avec le monde du travail pourrait constituer un « choc avec la réalité » qui modifierait leurs croyances, leurs valeurs et leurs attitudes. Une étude longitudinale confirme qu’en l’espace de deux ans, les ancres de carrière peuvent évoluées (Kilimnik, et al. 2011). De plus, Derr (1986, p. 18) appuie l’idée que les individus pourraient modifier leurs orientations de carrière à la lueur d’un évènement important ou si leur situation personnelle venait à changer. Enfin, Quesenberry et Trauth (2012) suggèrent que certaines ancres de carrière peuvent changer au fil du temps.

La compétence technique et fonctionnelle et le développement de sa spécialisation

Selon Mgaya et al. (2009), l’ancre de compétence technique et fonctionnelle regroupe les ancres de compétence technique et fonctionnelle et de développement de sa spécialisation.

48 Autres appellations : ancre composite (Ramakrishna, Potosky 2003), ancre relative (Wynne, Ferratt, Biros 2002), indifférenciation (Martineau, Wils, Tremblay 2005), voie hybride (Tremblay, Wils, Proulx 1995)

D’un côté, la compétence technique et fonctionnelle regroupe des personnes qui sont motivées par la nature technique de leur travail et qui ne souhaitent pas être promues. De l’autre, le développement de sa spécialisation regroupe des personnes qui souhaitent évoluer dans leur domaine de spécialisation. Toutefois, leurs résultats suggèrent que ces deux ancres sont liées.

Le manager ascensionnel et le gestionnaire évolutif

Selon Derr (1979, pp. 17-18), l’ancre de compétence de direction regroupe les ancres de manager ascensionnel et de gestionnaire évolutif. D’un côté, le manager ascensionnel cherche à gravir les échelons de la hiérarchie pour obtenir plus de responsabilité et contribuer davantage à la réussite de l’entreprise. De l’autre, le gestionnaire évolutif change régulièrement de fonction et développe des compétences dans les domaines technique et managérial afin d’élargir son champ d’action. Toutefois, si le manager ascensionnel semble correspondre à l’ancre de compétence de direction de Schein (2004 pp. 25-29), le gestionnaire évolutif se rapproche davantage de l’ancre de variété développée par DeLong (1982).

L’autonomie dans le travail et l’indépendance professionnelle

Selon Tremblay, Wils L. et Wils T. (2006), l’ancre d’autonomie et indépendance pourrait regrouper deux ancres de carrière distinctes. D’un côté, l’autonomie dans le travail s’inscrirait dans une dimension d’auto-orientation. De l’autre, l’indépendance professionnelle intègrerait une dimension de quête du savoir. Toutefois, les auteurs ne proposent pas de définitions qui permette de distinguer ces ancres de carrière l’une de l’autre.

La stabilité professionnelle et la sécurité géographique

Pour DeLong (1982), l’ancre de sécurité et stabilité regrouperait à la fois la stabilité professionnelle et la sécurité géographique.

▪ L’ancre de stabilité professionnelle49 : certaines personnes trouvent une stabilité dans l’appartenance à une grande organisation, en récoltant des avantages sur le long terme et au travers de conditions de travail stables (DeLong 1984). Elles associent souvent leur carrière à une entreprise unique et se conforment aux attentes de celle-ci

49 Autres appellations : sécurité économique (Tremblay, Wils L., Wils T. 2006), sécurité professionnelle et personnelle (Beaucage, Laplante, Légaré 2004)

pour garantir leur stabilité professionnelle (Burke 1983). Elles sont fidèles à l’entreprise et adhérent volontairement à une carrière organisationnelle qui leur apporte une garantie d’emploi et/ou une sécurité financière (Crepeau, et al. 1992). Elles veulent s’assurer de garder leur emploi, d’avoir des avantages et de bonnes conditions de retraite (Taillieu 1992).

▪ L’ancre de sécurité géographique50 : certaines personnes trouvent une sécurité au sein de la zone géographique dans laquelle elles vivent (DeLong 1984). Elles ne veulent pas quitter cette zone géographique et peuvent renoncer à des promotions qui nécessiteraient un déménagement (Burke 1983). Elles désirent rester dans la même zone géographique et sont prêtes à changer d’entreprise pour garantir cette continuité (Crepeau, et al. 1992). Elles souhaitent faire leur carrière complète dans un même pays ou une même zone géographique (Taillieu 1992).

L’entrepreneuriat et la créativité

Pour Derr (1979, pp. 19-20), l’ancre d’esprit d’entreprise regrouperait à la fois l’entrepreneuriat et la créativité.

▪ Ancre d’entrepreneuriat : l’entrepreneuriat fait référence à la création d’entreprise (Danziger, Rachman-Moore, Valency 2008). Il s’agit de la capacité de faire bouger les choses, à les mettre en pratique.

▪ Ancre de créativité : la créativité est le fait d’utiliser son imagination ou des idées originales afin de créer quelque chose (Danziger, Rachman-Moore, Valency 2008). Il s’agit de la capacité de développer de nouvelles idées, de nouveaux concepts et de nouveaux processus.

Le défi et la variété

L’ancre de défi regrouperait deux ancres de carrière distinctes. D’un côté, il y a l’ancre de défi de Schein (2004, p. 37). De l’autre, il y a l’ancre de variété identifiée par DeLong (1982).

▪ Ancre de variété51 : certaines personnes sont attirées par un certain nombre de tâches et de défis différents (Burke 1983). Elles veulent utiliser leurs talents dans différents

50 Autre appellation : sécurité spatiale (Beaucage, Laplante, Légaré 2004)

51 Autres appellations : manager évolutif (Derr 1979, pp. 17-18), orientation projet (Alavi, Moteabbed, Arasti 2012), projet (Tremblay, Wils, Proulx 1995)

domaines pour relever des défis nombreux et variés (DeLong 1982). Elles veulent des carrières qui offrent un maximum de missions et de projets (DeLong 1987). Ces personnes œuvrent dans différents projets techniques qui les amènent davantage à élargir leurs domaines de compétence plutôt qu’à se spécialiser (Tremblay, Wils, Proulx 1995). Elles sont plus attirées par des projets qu’elles trouvent intéressants et stimulants que par le développement d’une expertise technique (Alavi, Moteabbed, Arasti 2012).

L’ancre d’identité52

DeLong (1982) suggère une ancre d’identité.

▪ Ancre d’identité : certaines personnes cherchent à accéder au rang social et à la renommée que confèrent l’appartenance à certaines entreprises ou organisations. Elles veulent travailler pour un employeur puissant ou prestigieux (DeLong 1987). Elles peuvent changer d’emploi et d’employeur pour aller vers une entreprise avec davantage de prestige et de visibilité au niveau local ou national (Burke 1983).

L’ancre d’employabilité53

En raison du changement dans les politiques organisationnelles, la stabilité professionnelle pourrait être remplacée par une promesse d’employabilité qui se rapprocherait de l’ancre d’autonomie et indépendance (Schein 1996).

▪ Ancre d’employabilité : certaines personnes attendent de leur entreprise qu’elle leur offre la possibilité d’apprendre et d’acquérir de l’expérience pour améliorer leur employabilité (Schein 1996). Elles ne veulent pas être dépendantes de leur entreprise mais gérer elles-mêmes leur carrière. Elles cherchent continuellement à accroître leurs connaissances et leurs compétences pour améliorer leurs perspectives de carrière (Ituma, Simpson 2007). Pour éviter l’obsolescence de leurs compétences, elles veulent travailler dans des entreprises qui offrent des possibilités de formation. Elles préfèrent apprendre des compétences uniques plutôt que d’effectuer des tâches simples afin de rester employable dans le cas d’un licenciement ou d’un départ de

52 Autre appellation : identification organisationnelle (Van Rensburg, Rothmann J. C., Rothmann S. 2003)

53 Autres appellations : compétences et connaissances (Demel, Mayrhofer 2016), motivation d’apprentissage

l’entreprise (Alavi, Moteabbed, Arasti 2012). Ces personnes sont constamment en train d’apprendre et développer leurs compétences dans différents domaines (Demel, Mayrhofer 2016).

L’ancre d’internationalité

Suutari et Taka (2004) suggèrent une ancre d’internationalité.

▪ Ancre d’internationalité : certaines personnes sont stimulées par un environnement de travail international (Suutari, Taka 2004). Elles préfèrent développer des compétences professionnelles dans un environnement international et, ainsi, améliorer leurs perspectives de carrière. Elles sont à la recherche de nouvelles expériences qui leur permettraient de découvrir d’autres pays et des cultures différentes. Il s’agit d’un désir de travailler dans un environnement international, d’effectuer des mobilités à l’international (Lazarova, Cerdin, Liao 2014). Ces personnes perçoivent l’expérience internationale comme un défi et une source de développement personnel (Cerdin 2015, p. 86).

Les ancres de célébrité, de réseau et de travail d’équipe

Demel et Mayrhofer (2016) suggèrent trois nouvelles ancres de carrière.

▪ L’ancre de célébrité : certaines personnes ont le désir d’être exceptionnelles et de faire quelque chose d’extraordinaire. Pour elles, la reconnaissance et l’appréciation de leur environnement, de leur réputation et de leur visibilité constituent des éléments déterminants.

▪ L’ancre de réseau : certaines personnes cherchent à construire et élargir un vaste réseau professionnel, de préférence avec une dimension internationale. Elles accordent de l’importance au contact direct avec les clients ayant accès à des marchés distincts pour améliorer leurs opportunités commerciales et leurs perspectives de carrière.

▪ L’ancre de travail d’équipe : certaines personnes éprouvent le besoin d’échanger des idées et de communiquer avec les autres, en particulier dans une équipe. Elles n’aiment pas travailler seules et préfèrent la coopération et le travail d’équipe avec leurs pairs et leurs supérieurs hiérarchiques. Elles ont besoin d’interagir avec les autres pour répondre à des besoins sociaux mais cela reflète également la capacité et la volonté de travailler en équipe.

Les ancres d’équilibre de vie privée/vie professionnelle et de dessein spirituel

Baruch (2004, p. 80) suggère également les ancres d’équilibre vie privée/vie professionnelle et de dessein spirituel mais n’apporte aucune information concernant l’origine ou la définition de ces « nouvelles » ancres de carrière. Ces ancres pourraient se rapprocher respectivement des ancres de mode de vie, qui vise à concilier la vie familiale et la vie professionnelle, et de service et dévouement, qui est l’expression d’un désir profond d’améliorer le monde (Schein 2004, pp. 36-38).

L’ancre de résilience

Lazzari Dodeler (2018) suggère que les travailleurs immigrants pourraient posséder une ancre de résilience qui fait référence à des contraintes liées à l’immigration. Toutefois, il ne s’agirait que d’une ancre temporaire qui disparaitrait après les premières années de travail.