• Aucun résultat trouvé

Introduction du chapitre 1

2. L’égalité des chances dans une société méritocratique

2.1. La justice sociale dans une société méritocratique

Dans une société méritocratique, l’« égalité des chances » repose sur l’idée que les réalisations finales d’un individu, les éléments constitutifs de son bien-être, ne devraient dépendre que de ses efforts et non de dotations héritées dont il ne peut être tenu pour responsable (Cling, et al. 2006). Dans cette perspective, la responsabilité individuelle devient indispensable pour que chacun ait ce qu’il mérite, en bien comme en mal (Michaud 2013, pp. 57-58). Il s’agit d’un nouveau modèle de justice sociale qui s’inscrit dans une conception morale du mérite, qui instaure une distinction entre les bénéficiaires et qui transforme fondamentalement la doctrine de la solidarité (Gutnik 2012).

Une discrimination est un traitement défavorable qui peut se manifester de manière directe ou indirecte (Loi no 2008-496). Il y a discrimination directe si une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Il y a discrimination indirecte si une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes. Le Tableau 8 présente les critères de discrimination prohibés par la loi en France et à l’international.

Tableau 8 : Critères de discrimination prohibés par la loi

Critères de discrimination issus de textes européens ou internationaux

Critères de discrimination relevant de la seule législation française

▪ Âge ▪ Sexe ▪ Origine

▪ Appartenance ou non-appartenance, vraie ou

supposée à une ethnie, une nation ou une prétendue race ▪ Grossesse ▪ État de santé ▪ Handicap ▪ Caractéristiques génétiques ▪ Orientation sexuelle ▪ Identité de genre ▪ Opinions politiques ▪ Activités syndicales ▪ Opinions philosophiques

▪ Croyances ou appartenance ou non-appartenance,

vraie ou supposée, à une religion déterminée

▪ Situation de famille ▪ Apparence physique ▪ Patronyme ▪ Mœurs ▪ Lieu de résidence ▪ Perte d’autonomie

▪ Particulière vulnérabilité résultant de la situation

économique

▪ Capacité à s’exprimer dans une langue autre que le

français

▪ Domiciliation bancaire

La discrimination ne repose pas toujours sur un seul motif (Lanquetin 2009). Elle peut être fondée sur une base multiple en combinant plusieurs de ces critères prohibés par la loi (Défenseur des droits 2017, p. 9). Les discriminations multiples se divisent en trois catégories : discrimination successive, discrimination cumulative, discrimination intersectionnelle. La « discrimination successive » est une combinaison de plusieurs motifs discriminatoires qui apparaissent les uns après les autres sans aggraver mutuellement chacun d’eux. La « discrimination cumulative » laisse apparaître plusieurs motifs discriminatoires qui interviennent en même temps et s’ajoutent les uns aux autres. La « discrimination intersectionnelle » correspond à l’interaction de plusieurs motifs discriminatoires entre eux pour produire une nouvelle forme de discrimination.

Les discriminations multiples provoquent des effets aggravés de non-intégration, de vulnérabilité et d’exclusion (Daugareilh 2011). Le concept d’« intersectionnalité » permet d’appréhender la complexité des identités sociales par une approche intégrée qui réfute le cloisonnement et la hiérarchisation des grands axes de la différenciation sociale (Martin, Naves 2015, p. 34). Elle postule une interaction de ces différences dans la production et la reproduction des inégalités sociales. Par ailleurs, on parle de « discrimination systémique » pour décrire une situation d’inégalité cumulative et dynamique qui résulte de l’interaction sur le marché du travail, de pratiques, de décisions ou de comportements individuels ou institutionnels, ayant des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les membres du groupe visés (Chicha-Pontbriand 1989, p. 85). Par exemple, il peut s’agir d’un processus de recrutement qui exclut systématiquement des personnes de l’embauche, qui les affecte uniquement dans certains emplois ou qui limite leurs possibilités de promotion (Miné 2016, p. 114).

La non-discrimination est une condition majeure pour le respect du droit fondamental de l’égalité des chances et des traitements (Vigeo 2011, p. 6). Même si, au regard du droit international humanitaire et du travail, la garantie de ce principe incombe traditionnellement aux États, son caractère universel le rend directement opposable aux individus et aux groupes composant la société au sens large et à ce titre aux entreprises, quels que soient leurs lieux d’implantation, leurs tailles et leurs activités. Par ailleurs, les termes d’égalité et de non-discrimination peuvent être considérés comme des termes interchangeables dans la mesure où ils représenteraient les deux faces, positive et négative, d’un même principe (Martin 2006, pp. 515-516). Néanmoins, sur le plan théorique, le principe d’égalité véhicule une interdiction

générale de discrimination tandis que le principe de non-discrimination s’appuie sur l’énumération de critères d’appréciation interdits. De plus, l’idée d’égalité ou de non-discrimination donnent lieu à des interprétations très hétérogènes qui renvoient fondamentalement à la question du statut théorique accordé à la notion de « différence » et celle de l’articulation entre le différent et le non différent (Edel 2015). Or, ce statut et cette articulation restent largement impensés ou, pour le moins, hautement problématiques en ce sens que la littérature juridique relative à l’égalité reste enfermée dans des contradictions qui ne sont bien souvent ni aperçues ni résolues.

Le principe de non-discrimination admet classiquement des exceptions relatives à l’âge, à l’inaptitude médicalement constatée et au handicap (Thibault 2009). Les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des salariés, de favoriser leur insertion professionnelle, d’assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés. En outre, la différenciation est d’autant plus admise qu’elle apparaît comme l’expression voire comme l’instrument de l’égalité (Borgetto 2008) : le Conseil constitutionnel considère que la volonté de venir en aide à des catégories de personnes défavorisées constitue un motif d’intérêt général autorisant le législateur à déroger au principe d’égalité, soit pour refuser le bénéfice de certains droits à ces catégories de personnes, soit au contraire pour leur en reconnaître de spécifiques (Radé 2011, p. 192). Dans ces conditions, le respect dû au principe de non-discrimination s’efface derrière la volonté de remédier aux discriminations dont certains groupes sociaux font l’objet (Chevalier 2003).

La philosophie des « discriminations positives » pourrait se résumer de la façon suivante : instaurer des inégalités pour restaurer l’égalité (Bougrab 2007, p. 1). En effet, à compétences égales de deux candidats, la discrimination positive consiste à retenir un candidat appartenant à un groupe minoritaire faisant habituellement l’objet de discriminations (Amadieu 2013, pp. 247-248). Dans ces circonstances, c’est le candidat appartenant au groupe majoritaire qui est discriminé. Les défenseurs de la discrimination positive expliquent qu’il n’y a pas d’injustice ou de favoritisme car on n’a pas choisi de candidat moins compétent. Dans la plupart des cas, les arguments en faveur de la discrimination positive relèvent soit du

paradigme de la justice compensatoire, soit d’une célébration de la diversité culturelle dont cette politique pourrait être considérée comme le vecteur (Sabbagh 2003, p. 399).

Les discriminations positives sont censées réparer les conséquences de discriminations mais, dès lors qu’est bien introduite une discrimination, elle sera toujours positive pour celui qui en bénéficie et négative pour celui qu’elle exclut (Le Pourhiet 2001). De surcroît, cette stratégie conduit à des effets pervers comme l’exagération de la victimisation, la déformation des causalités légitimant les revendications, la culpabilité corollaire des dominants et le risque de renforcer les stéréotypes et les préjugés que les politiques prétendent combattre. D’une part, ceux qui ne peuvent bénéficier des avantages associés à la discrimination positive se sentent parfois traités injustement et arrivent à se considérer eux-mêmes comme discriminés les amenant à remettre en cause ces mesures (Bourguignon, Herman 2015). D’autre part, ces programmes jettent un doute sur les compétences des bénéficiaires qui soupçonnent et sont soupçonnés d’avoir obtenu un avantage de manière indue. Enfin, il est donc plus facile d’accorder une discrimination positive que d’y mettre un terme (Villenave 2006). C’est la raison pour laquelle, partout où ces politiques transitoires ont été instaurées, elles ont fini par s’enraciner durablement (Calvès 2016, p. 40).

Les stéréotypes sont des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent aussi des comportements, d’un groupe de personnes (Leyens, Yzerbyt, Schadron 1996, p. 24). Ils ont pour effet de légitimer les inégalités au sein de la société (Pratto, Henkel, Lee 2013). Les préjugés sont généralement définis comme une attitude négative rigide et généralisée à l’égard d'un groupe (Eagly, Diekman 2005). Ceux-ci se forgent dès l’enfance (Cramer, Steinwert 1998 ; Harriger, et al. 2014).

La discrimination positive à la française intervient dans une logique de rattrapage sans intervention sur les processus plus fondamentaux qui sont à la source de l’inégalité des chances à l’école (Wuhl 2008), cela s’apparente à un ravalement de façade (Calvès 2001). En outre, la discrimination positive n’établit aucune relation systématique entre les questions de justice et celles de l’efficacité économique. Or, dans la plupart des situations, il y a confrontation entre des orientations plus justes, mais plus coûteuses, et des orientations moins justes, mais plus économes en ressources et donc plus efficaces. Enfin, la « technique du quota », imposée en France dans des domaines aussi variés que le droit de la fonction

publique, l’emploi, l’aménagement du territoire, l’accès aux fonctions électives ou le droit de l’audiovisuel, ne vise pas à garantir une véritable égalité des chances mais une « égalité de résultats » totalement déconnectée du marché (Calvès 2004).