• Aucun résultat trouvé

Introduction du chapitre 2

1. Le concept de carrière

1.3. Le plateau de carrière

Le « plateau de carrière » s’appréhende comme une situation de blocage dans la mobilité à la fois verticale et horizontale (Veiga 1981). Cardinal et Lamoureux (1992) identifient plusieurs types de plateaux qui diffèrent selon leurs effets sur la carrière des personnes concernées : le « plateau bienheureux », le « plateau rebelle », le « plateau résigné ». Premièrement, le plateau bienheureux correspond à une situation dans laquelle la personne occupe un poste confortable qu’elle ne souhaite pas changer. Dans ce cas, le défi consiste à réorienter l’attention et la motivation de ces personnes vers les objectifs de l’entreprise qu’elles ont tendance à négliger. Deuxièmement, le plateau rebelle indique une personne frustrée par sa situation actuelle qu’elle trouve injuste. Elle adopte alors une attitude négative qui peut avoir des répercussions problématiques sur son entourage. Dans l’éventualité où le dialogue et l’intervention d’un conseiller ne suffisent pas à améliorer la situation et que la performance du

salarié est insatisfaisante, l’entreprise peut envisager des solutions plus radicales allant des mesures disciplinaires jusqu’au licenciement. Troisièmement, le plateau résigné renvoie à un sentiment d’apathie et un comportement effacé. La personne a peur de l’échec, elle entretient des doutes sur sa compétence et ne prend aucun risque car elle est convaincue d’avoir tout à perdre si elle provoque de l’agitation. L’objectif d’une intervention vise à rehausser l’image de soi du salarié et à lui redonner confiance dans ses compétences et ses habiletés.

Par conséquent, la stabilité du plateau de carrière n’est pas forcément négative (Nicholson 1993) et peut même être considérée comme une situation satisfaisante (Slocum, et al. 1985). En effet, même lorsqu’il n’y a pas de mobilité apparente, la nature du travail peut offrir suffisamment de changements et de variétés pour que les salariés conservent un niveau de satisfaction élevé (Near 1985). C’est notamment le cas lorsque le fait de rester dans un même poste est considéré comme « normal » (Dany, Livian 2002, p. 71) comme c’est le cas dans le secteur de la santé par exemple (Conseil d’orientation pour l’emploi 2009, p. 39).

En revanche, lorsque cette situation est considérée comme négative, on parle plus couramment de « plafonnement de carrière » (Roger, Lapalme 2006). Bardwick (1986, pp. 11-13) identifie plusieurs formes de plafonnement : le plafonnement structurel, le plafonnement de contenu, le plafonnement de vie. Premièrement, le plafonnement structurel désigne la fin des promotions. La personne n’a plus la possibilité d’évoluer hiérarchiquement dans son organisation. Deuxièmement, le plafonnement de contenu indique qu’une personne connaît trop bien son travail, qu’il ne lui reste plus rien à apprendre. Elle est devenue experte dans son travail et, par conséquent, elle est susceptible de s’ennuyer profondément. Troisièmement, le plafonnement de vie apparaît lorsque le travail constitue l’activité la plus importante de la vie d’un individu. Le travail dépasse le cadre de l’organisation pour devenir le socle de son identité et de son estime de soi. Cette dernière est plus profonde et plus totale, elle peut avoir des conséquences plus sérieuses que les autres formes de plafonnement.

La notion d’estime de soi peut paraître confuse car elle peut être perçue de plusieurs façons : l’estime de soi générale, le sentiment d’estime de soi, la confiance en soi (Brown, Marshall 2006). L’estime de soi générale désigne un trait de la personnalité qui représente la manière dont les personnes se perçoivent elles-mêmes. Elle est relativement durable dans le temps et dans les diverses situations. Le sentiment d’estime de soi désigne l’auto-évaluation de ses réactions face à des évènements variés. Il peut s’agir d’un sentiment de fierté ou, au contraire,

d’un sentiment de honte. La confiance en soi correspond au sentiment d’efficacité d’une personne par rapport à ses diverses capacités et qualités. On peut dire qu’une personne qui doute de ses capacités scolaires peut avoir une faible confiance en soi alors qu’une personne qui pense qu’elle est douée en sport peut avoir une haute estime de soi. Ainsi, ces trois constructions se réfèrent à différentes manières de percevoir l’estime de soi. Le Tableau 23 présente différents facteurs qui peuvent affecter la progression de carrière.

Tableau 23 : Facteurs affectant la progression de carrière

Facteurs individuels Facteurs organisationnels

▪ Personnalité, intérêts et valeurs ▪ Contexte socio-économique ▪ Attentes professionnelles ▪ Préférences de travail ▪ Connaissance de soi ▪ Objectifs de carrière ▪ Plans de carrière ▪ Actions de carrière ▪ Expériences de développement ▪ Stage de carrière ▪ Réalités organisationnelles ▪ Expériences professionnelles

▪ Conditions du marché du travail ▪ Type d’organisation

▪ Supérieurs hiérarchiques et autres décideurs ▪ Gestion prévisionnelle des ressources humaines ▪ Système de sélection

▪ Système d’évaluation de la performance ▪ Évaluation du potentiel managérial ▪ Gestion prévisionnelles des carrières ▪ Activités de formation et de développement ▪ Décisions de recrutement

▪ Processus de recrutement

▪ Offres d’emploi et parcours de carrière

Source : London, Stumpf 1982, p. 6-11

Le « plafond de verre » est un concept spécifique à la réussite professionnelle des femmes (Belghiti-Mahut, Bastid 2006). Il désigne des barrières invisibles empêchant les femmes d’accéder à certains postes de management (Morrison, Von Glinow 1990). L’interprétation courante est de considérer que les femmes sont progressivement écartées des promotions jusqu’au point où elles sont très peu à accéder aux derniers échelons (Meurs 2014, p. 41). Le plafond de verre permet de s’intéresser aux stéréotypes sexistes et à la ségrégation professionnelle du monde du travail (Lyness, Thompson 1997) ainsi qu’à l’écart extrêmement important qui existe entre les hommes et les femmes au niveau de la répartition des salaires (Albrecht, Björklund, Vroman 2003). Le phénomène de plafond de verre est double lorsqu’on s’intéresse aux augmentations salariales puisqu’il expose les écarts entre deux niveaux d’emploi, qui sont liés à la mobilité verticale, mais aussi entre des emplois de mêmes niveaux, en lien avec la mobilité horizonale (Russo, Hassink 2012).

D’autres métaphores sont utilisées pour rendre compte du plafond de verre. Les « parois de verre » limiteraient l’accès des femmes à l’encadrement supérieur et aux positions de direction à des secteurs et des domaines ayant un rôle moins stratégique dans l’organisation

de l’entreprise (Cappellin 2010). Le « ciel de plomb », ou « plafond de plomb » (Descamps 2013), évoque l’accumulation de discriminations et de petites différences en début de carrière qui se transformeraient en fin de parcours en d’énormes déphasages (Marry 2004, pp. 225-230). Le « plafond de béton armé » s’intéresse au fait que l’accès aux postes de niveau supérieur serait contrôlé par des hommes (Alimo-Metcalfe 2007). Le « pare-feu » décrit une barrière protectrice qui ne pourrait être franchie par les femmes que si ces personnes sont explicitement autorisées à la traverser (Bendl, Schmidt 2010). Le « plafond de fer » fait référence à la rareté des femmes au sommet de la hiérarchie universitaire (Fassa 2010). Le « plafond de vitrail » symboliserait les mécanismes du plafond de verre au sein des organisations religieuses (De Gasquet 2009). Pour finir, le « plancher collant », ou « plancher gluant » (Falcoz 2016), montre que les promotions seraient moins nombreuses et moins importantes pour les femmes alors même que leur investissement est similaire à celui des hommes (Booth, Francesconi, Frank 2003). Le Tableau 24 présente une synthèse des différentes formes de plafonnement de carrière.

Tableau 24 : Formes de plafonnement de carrière

Plafonnement structurel Plafonnement de

contenu Plafonnement de vie Plafond de verre

Aucune possibilité

d’évolution hiérarchique

dans son organisation

Aucune possibilité

d’évolution dans son

travail

Perspectives de carrières limitées par son identité

professionnelle

Impossibilité, pour les

femmes, d’accéder à

certains postes de management Sources : Bardwick 1986, pp. 11-13 ; Morrison, Von Glinow 1990

La perception du plafonnement de carrière est davantage liée à la satisfaction au travail qu’à un plafonnement objectif (Tremblay 1992). Le plafonnement de carrière, qu’il soit objectif ou subjectif, est davantage lié à des facteurs individuels plutôt qu’à des facteurs familiaux ou organisationnels (Tremblay, Roger 1993). Ses effets diffèrent selon que les personnes sont plafonnées objectivement ou subjectivement (Roger, Tremblay 1998) mais, dans les deux cas, le plafonnement de carrière peut avoir un impact négatif sur la performance au travail (Ettington 1998). En outre, si les effets du plafonnement de carrière semblent insignifiants sur une population de chefs de projets, ils peuvent être très néfastes sur des techniciens spécialisés (Hall 1985). Selon les cas, une situation de blocage dans la carrière peut marquer le début d’une période de frustration et de dépression ou elle peut représenter l’opportunité d’un nouveau défi, une redéfinition de ses objectifs personnels et professionnels (Weiner, Remer R., Remer P. 1992).

En définitive, la présence de nombreux plafonnements de carrière suggère un échec dans les pratiques de GRH car ce sont elles qui doivent encourager la mobilité et développer les compétences des salariés pour favoriser la capacité à s’adapter aux changements (Gaertner 1989). Ils constituent un véritable problème pour l’entreprise (Ference, Stoner, Warren 1977) car il incite les salariés à se questionner sur leur engagement envers leur entreprise (Stout, Slocum, Cron 1988) et peut engendrer des comportements indésirables (Feldman, Weitz 1988) comme une intention de quitter l’entreprise (Heilman, Holt, Rivolick 2008), de l’absentéisme ou une baisse de la performance (Tremblay, Roger, Toulouse 1995).