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Introduction du chapitre 3

3. La méthode de prospective des métiers

3.3. Le cadre méthodologique de la recherche

Pour adapter la méthode de prospective des métiers à notre objet de recherche, il est nécessaire de procéder à plusieurs ajustements.

Premièrement, comme nous nous intéressons à la vision subjective des personnes sur leur trajectoire professionnelle, les experts interrogés au moyen des entretiens et du questionnaire sont les salariés eux-mêmes. En outre, nous constituons un échantillon hétérogène de salariés afin d’augmenter les chances de recueillir une plus grande variété de réponses possibles (Royer, Zarlowski 2014).

Deuxièmement, notre guide d’entretien s’appuie sur celui mis à disposition par Schein (Annexe B) mais conserve un nombre limité de questions ouvertes comme c’est le cas dans la méthode de prospective des métiers (Boyer, Scouarnec 2009, p. 137).

Troisièmement, le questionnaire est conçu à partir de celui proposé par Schein (Annexe C) mais possède un nombre limité d’énoncés afin d’éviter un effet négatif sur le nombre de réponses (Dillman, Sinclair, Clark 1993).

Quatrièmement, le guide d’entretien (Annexe D) et le questionnaire (Annexe E) sont conçus indépendamment l’un de l’autre mais tous les deux interrogent les orientations de carrière des salariés de façon à permettre une triangulation des données et ainsi améliorer la précision et les mesures des résultats (Baumard, Ibert 2014). La logique de la triangulation des données repose sur le principe que chaque méthode révèle des aspects différents de la réalité empirique et qu’il est donc nécessaire d’utiliser plusieurs méthodes d’observation dans chaque enquête (Denzin 1978, p. 28). Dans cette perspective, les approches qualitatives et quantitatives deviennent complémentaires (Firestone 1987). L’objectif est de tirer parti de ce que les deux approches peuvent offrir (Baumard, Ibert 2014).

Cinquièmement, le focus groupe est organisé avec des experts de la FRH de façon à faire émerger les grandes tendances en matière de trajectoires professionnelles au moyen d’une interprétation collective des résultats obtenus à travers les enquêtes par entretiens et par questionnaire. Le Tableau 37 présente notre méthode de prospective des trajectoires professionnelles.

Tableau 37 : Méthode de prospective des trajectoires professionnelles

Étape 1 : l’appréhension

contextuelle

▪ État de l’art théorique sur le sujet

▪ Choix de l’échantillon des entreprises et des salariés

▪ Réalisation d’entretiens semi-directifs sur les orientations de carrière ▪ Rédaction et envoi d’un questionnaire auto-administré sur les orientations de

carrière

Étape 2 : la pré-formalisation

▪ Analyse des entretiens

▪ Analyse des réponses au questionnaire ▪ Triangulation des données

Étape 3 : la construction ▪ Organisation d’un focus groupe avec des experts de la FRH

Étape 4 : la validation ▪ Proposition d’un modèle général basé sur les résultats du focus groupe et du

L’état de l’art théorique

Ce travail de contextualisation préalable est une condition essentielle à la réussite d’une démarche prospective (Remy, Pichault 2011). Ce travail se rapport à notre Partie théorique.

La procédure d’échantillonnage

Quel que soit son objet d’étude, le chercheur doit constituer un échantillon sur lequel il va pouvoir tester ses hypothèses (Royer, Zarlowski 2014). Il s’agit d’un sous-ensemble d’éléments tirés d’un ensemble plus vaste appelé « population ». La constitution d’un échantillon par choix raisonné permet de sélectionner de manière très précise les éléments de l’échantillon et, par la même occasion, de garantir plus facilement le respect de ces critères. Comme la sélection de l’échantillon s’effectue à partir de critères théoriques, le chercheur doit disposer d’une bonne connaissance de la population étudiée. Le choix du critère de « non-similarité » consiste à composer un échantillon hétérogène dans le but de recueillir la plus grande variété d’explications possibles concernant l’objet d’étude. Il s’agit d’une méthode fréquemment utilisée dans la recherche en management pour recueillir la multiplicité des points de vue. Par ailleurs, lorsqu’on utilise une méthode d’échantillonnage non probabiliste, la transparence du chercheur est essentielle (Baker, et al. 2013). Le Tableau 38 présente nos critères d’échantillonnage pour la constitution d’un échantillon hétérogène de salarié.

Tableau 38 : Critères d’échantillonnage

Sexe Âge Niveau d’éducation socioprofessionnelle Catégorie ▪ Femme

▪ Homme ▪ 15-24 ans ▪ 25-49 ans ▪ 50 ans et plus ▪ CITE 1 ▪ CITE 2 ▪ CITE 3 ▪ CITE 5 ▪ CITE 6 ▪ CITE 7 ▪ Ouvrier ▪ Employé ▪ Agents de maîtrise ▪ Cadre

Les entretiens semi-directifs

L’entretien semi-dirigé une méthode très utilisée dans la recherche en GRH (Saks, Schmitt, Klimoski 2007, p. 137) car elle représente un compromis souvent optimal entre la liberté d’expression du répondant et la structure de la recherche (Romelaer 2005). Il s’agit d’un procédé d’investigation scientifique utilisant un processus de communication verbale pour recueillir des informations en relation avec le but fixé (Grawitz 1996, p. 586). Il se caractérise à la fois par ses questions ouvertes et l’interaction entre chercheur et répondant qui prend la

forme d’une conversation dans laquelle le chercheur va adapter l’ordre et la teneur des questions aux réponses de son interlocuteur (Demers 2003).

La force de l’entretien semi-dirigé est de produire des données lors qui sont riches en détails et en descriptions (Savoie-Zajc 2009). Néanmoins, ces données restent à contextualiser et n’apportent qu’une vision partielle de la réalité car l’expérience d’une personne dépasse largement son discours. De plus, il peut aussi exister des blocages de communication ou des sujets tabous pouvant empêcher le chercheur d’engager un véritable dialogue avec la personne interrogée. Enfin, l’attitude de calcul du chercheur qui souhaite établir un rapport de confiance pour arriver à ses fins peut constituer un frein au bon déroulement de l’entretien.

On peut considérer que la fiabilité d’un entretien dépend de deux facteurs : la relation de familiarité de l’interviewé à l’égard du thème, le degré d’extensionnalité du thème (Ghiglione, Blanchet 1991, p. 104). L’extensionnalité du thème se définit comme la propriété de ce thème à référer à des objets du monde, c’est-à-dire à des faits ou des actes dont il est possible d’évaluer, voire de définir les conditions de vérité. Premièrement, plus un individu a éprouvé, vécu, assimilé des informations en relation avec le thème, plus son discours correspondra à des constructions déjà élaborées, à des schémas définissant une certaine stabilité d’expression. Deuxièmement, plus un thème est extensionnel, plus le discours de l’interviewé tend à se conformer à cette référence.

Dans une approche qualitative, l’accès à un terrain exige une grande flexibilité de la part du chercheur (Baumard, et al. 2014). Par ailleurs, comme la recherche en management opère dans un contexte qui peut être « sensible », il est impératif de respecter un degré plus ou moins marqué de confidentialité. La confidentialité signifie que le chercheur peut faire correspondre les noms avec les réponses, mais s’assure que personne d’autre n’ait accès à ces informations (De Vaus 2014, p. 59). Les principaux objectifs de la confidentialité sont d’améliorer la qualité et l’honnêteté des réponses, d’encourager la participation à l’étude, et de protéger la vie privée des répondants. En effet, même en l’absence d’un code déontologique pour la recherche en sciences de gestion en France (Courtier, Leca 2011), c’est la responsabilité du chercheur de s’assurer que la recherche n’ait pas de conséquences préjudiciables pour l’organisation et ses individus, par exemple en garantissant l’anonymat ou en signant un accord de confidentialité (Royer 2011). En outre, les personnes interrogées s’expriment plus franchement et sont moins inhibées dans leur comportement lorsqu’elles

sont persuadées que ce qu’elles vont dire ou faire sera traité en toute confidentialité (Crête 2009).

Au cours de l’entretien, le choix et la formulation des questions sont importants, mais l’ordre dans lequel on pose les questions est aussi crucial, c’est pourquoi il est primordial de rédiger un guide d’entretien structuré, avec un niveau de langage adapté aux répondants (Demers 2003). Le guide commence par une phrase d’entame puis, propose des reformulations et des relances qui visent à orienter l’entretien sur des thèmes prédéterminés (Romelaer 2005). La phrase d’entame est la seule partie qui soit directive et permet de démarrer l’entretien. Ensuite, le chercheur laisse s’exprimer le répondant de façon spontanée et non directive, en soutenant le discours par des « oui… » pour signaler qu’il est dans une situation d’écoute active. Les reformulations consistent à résumer les propos du répondant avec les termes du chercheur pour vérifier sa compréhension du sujet et permettre au répondant de rectifier ou de compléter son propos si nécessaire. Les relances sont des phrases improvisées qui portent sur un thème figurant dans le guide d’entretien et qui emploient le même vocabulaire que celui utilisé par le répondant. Si le répondant s’éloigne du sujet, le chercheur peut recentrer l’entretien au moyen d’une question directive semblable à la phrase d’entame. L’ordre des thèmes abordés n’est pas imposé et la durée de l’entretien varie le plus souvent entre trente minutes et deux heures (Gavard-Perret, et al. 2012).

Le guide d’entretien sur les orientations de carrière proposé par Schein (2004, pp. 46-63) est trop directif pour servir de support aux entretiens. Mais, il sert de base à la réalisation d’un guide adapté à la conduite d’entretiens semi-directifs sur les trajectoires professionnelles. L’Annexe D présente notre guide d’entretien.

Le questionnaire auto-administré

Le questionnaire permet de décrire de façon quantifiée des comportements et/ou des attitudes (Evrard, Pras, Roux 2009, p. 251). La puissance du questionnaire réside dans sa capacité à sélectionner un petit nombre de personnes pour décrire le plus fidèlement possible la population ciblée (Dillman, Smyth, Christian 2014, p. 92). La qualité d’un questionnaire dépend de plusieurs critères : sa rédaction, son échelle de mesure, son organisation et son administration (Gavard-Perret, et al. 2012).

Rédiger de bonnes questions nécessite de faire attention à de nombreux détails simultanément (Dillman, Smyth, Christian 2014, p. 125). Les questions peuvent être ouvertes ou fermées (Gavard-Perret, et al. 2012). Le vocabulaire utilisé doit être familier pour les répondants et être précis pour éviter les écarts d’interprétation. Il faut éviter les questions « doubles » qui peuvent induire une incapacité à répondre. Les questions ne doivent pas induire la réponse. Pour éviter que la longueur des questions n’affecte la qualité des réponses, il est recommandé de ne pas excéder vingt mots. Les questions doivent être formulées de façon à être comprises par les personnes interrogées, à obtenir des réponses connues par celles-ci et à favoriser les réponses sincères afin d’éviter un certain nombre de biais (Evrard, Pras, Roux 2009, p. 260). Le questionnaire se compose d’une d’introduction, d’une fiche signalétique, d’un ensemble de questions articulées sous forme de thèmes et d’une conclusion (Gavard-Perret, et al. 2012). L’introduction permet de placer le répondant dans les meilleures conditions de réponse. La fiche signalétique fournit des informations sur l’identité du répondant. Les questions sont organisées par thèmes, généralement du plus général au plus particulier, pour répondre à une question de logique et faciliter la réponse pour le répondant. La conclusion se limite souvent à des remerciements. L’organisation du questionnaire dépend du contexte de l’enquête (Dillman, Smyth, Christian 2014, p. 256). Le questionnaire doit être construit de façon logique et cohérente en veillant à mettre à l’aise la personne interrogée (Evrard, Pras, Roux 2009, p. 262).

L’introduction du questionnaire précise plusieurs éléments censés faciliter la « réactivité du répondant » (Gavard-Perret, et al. 2012) et éviter qu’il ne régule ses propres réactions (Rosenzweig 1933) :

« Cette enquête est réalisée par l’Université de Caen Normandie, en partenariat avec Opcalim. Elle est diffusée aux professionnels de la filière Alimentaire en France. Il n’y a pas de bonne ni de mauvaise réponse. Vos réponses sont strictement anonymes et confidentielles. Chaque question admet une seule réponse possible. »

Les énoncés retenus pour mesurer les ancres de carrière sont sélectionnés après comparaison des différents questionnaires utilisés lors des recherches antérieures (Annexe A), nous utilisons trois énoncés par ancre de carrière au lieu des cinq proposés par Schein (2004, pp. 4-7) dans le but de limiter la taille du questionnaire qui pourrait avoir un effet négatif sur le nombre de

réponses (Dillman, Sinclair, Clark 1993). Lors de la traduction des énoncés des ancres de carrière, des reformulations sont nécessaires afin d’assurer les qualités psychométriques de l’échelle de mesure (Daly 2010). En outre, ces reformulations n’affectent pas les dimensions constitutives du concept étudié. Comme Demel et Mayrhofer (2016) ne formulent pas de questions permettant de tester les ancres de célébrité, de réseau et de travail d’équipe sur le terrain, les énoncés sont construits à partir de leur définition. Après une phase de test réalisée auprès de seize personnes68, le vocabulaire a été adapté pour rendre le questionnaire accessible à tous, et plus particulièrement à la population ouvrière. L’Annexe E présente le questionnaire.

Les échelles de mesure peuvent être nominales, ordinales, d’intervalle ou de proportion (Gavard-Perret, et al. 2012). Dans l’échelle nominale, chaque modalité correspond à un seul objet. L’échelle ordinale permet d’établir une relation d’ordre entre les modalités de réponse. L’échelle d’intervalle mesure la distance entre des modalités successives qui sont égales. L’échelle de proportion consiste à recueillir un nombre, sans proposer de modalités spécifiques aux répondants. Les échelles nominales et ordinales fournissent des données qualitatives tandis que les échelles d’intervalle et de proportion apportent des données quantitatives (Evrard, Pras, Roux 2009, p. 28).

Pour répondre aux questions, nous nous référons à l’échelle de Likert (1932, p. 14) qui suggère aux répondants d’exprimer leur opinion à travers un « degré d’accord » avec une proposition (Gavard-Perret, et al. 2012). Il s’agit de la même échelle utilisée dans plusieurs recherches sur les ancres de carrière (Annexe A). Le Tableau 39 présente notre échelle de mesure.

Tableau 39 : Échelle de mesure

5 4 3 2 1

Tout à fait d’accord Plutôt d’accord Ni en accord, ni en désaccord

Plutôt en désaccord Tout à fait en désaccord Source : Cerdin, Le Pargneux 2010

68 Questionnaire pré-testé par trois enseignants-chercheurs, quatre doctorants, deux cadres, deux agents de maîtrise, deux employés et trois ouvriers

SurveyMonkey est un outil payant de sondage et d’évaluation en ligne facile à utiliser et parfaitement adapté aux exigences de la recherche (Gordon 2002 ; Survey-Monkey 2018 ; Symonds 2011). Comme d’autres auteurs (Dalmas 2014 ; 2016a ; 2016b ; Renaud, Tremblay, Morin 2014), c’est l’outil que nous choisissons pour construire et diffuser notre questionnaire.

Le focus groupe

Le focus groupe est l’utilisation explicite de l’interaction de groupe pour produire des données et des idées qui seraient moins accessibles sans l’interaction trouvée dans un groupe (Morgan 1997, p. 2). Il s’agit d’une discussion interactive avec un groupe de personnes prédéterminé et centrée sur des problèmes spécifiques (Hennink 2014, pp. 1-3). Durant cette discussion, les participants partagent leurs opinions et écoutent celles des autres. Au fur et à mesure que la discussion avance, les participants commencent à poser des questions ou demander des clarifications aux autres membres du groupe, ce qui peut les inciter à soulever d’autres problèmes ou à partager des expériences similaires, augmentant ainsi la clarté, la profondeur et le détail de la discussion.

Le focus groupe est souvent utilisé dans le cadre d’une méthode mixte (Caillaud, Flick 2017). Il peut constituer une stratégie de validation dans le cadre d’une triangulation des données pour permettre au chercheur d’accéder à une compréhension plus profonde du phénomène en fournissant des résultats sur les interactions sociales et sur la manière dont elles participent à la construction du sens.

Dans un focus groupe, l’entretien est centré sur l’expérience vécue des enquêtés (Duchesne, Haegel 2005, pp. 11-12). Il a pour avantage de faciliter le recueil de la parole individuelle pour élargir l’éventail de réponses recueillies. Ainsi, l’intérêt porte clairement sur les personnes plutôt que sur le groupe et les interactions qu’il génère. Cette méthode contribue à réduire les inhibitions individuelles par un effet d’entraînement et facilite le travail de remémoration. Au final, la dimension collective est considérée comme son principal inconvénient car la dynamique du groupe et les interactions entre les participants risquent de détourner l’entretien du thème discuté. Le rôle de l’animateur consiste donc à réduire les interactions parasites. De plus, il participe à la discussion de groupe en livrant ses propres opinions et vérifie si les participants ont une compréhension commune de la question posée (Puchta, Potter 2004, p. 19). Enfin, il doit éviter de diriger le groupe et veiller à ce qu’aucun des participants n’exerce une domination excessive sur le groupe (Bloor, et al. 2001, p. 49).

En sciences de gestion, le nombre idéal de participants dans un focus groupe se situe entre huit et douze personnes (Kitzinger, Barbour 1999). De plus, la constitution d’un groupe homogène reposant sur la base d’une expérience partagée est souvent plus productive. Les participants sont alors choisis sur la base de critères spécifiques, en fonction du projet de recherche, de façon à améliorer la qualité de la discussion (Greenbaum 1998, p. 2). L’homogénéité de groupe est généralement recherchée dans les antécédents socioculturels des participants ou dans leur niveau d’expérience avec le sujet de l’étude (Hennink 2014, p. 39). Les questions posées aux participants étaient les suivantes :

« À la lumière des résultats qui vous sont présentés et d’après vos expériences respectives de la gestion des ressources humaines en entreprise, quelles grandes tendances peut-on identifier en matière de trajectoires professionnelles ? Pourquoi ? Pensez-vous que celles-ci puissent se poursuivre dans les années à venir ? »

Les résultats obtenus au travers du focus groupe permettent d’aboutir à la construction d’un modèle général constitué de plusieurs scénarios prospectifs des carrières.