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Introduction du chapitre 2

2. La théorie des ancres de carrière

2.1. L e modèle d’orientation de carrière

Comme nous l’avons vu, la théorie des ancres de carrière de Schein (1978, pp. 124-146) stipule que chaque individu possède une ancre de carrière dominante, symbolisant à la fois l’auto-perception de ses talents, de ses motivations et de ses valeurs, et qui détermine son orientation de carrière. Dans son modèle d’orientation de carrière, Schein (2004, p. 21) identifie huit ancres de carrière : compétence technique et fonctionnelle, compétence de direction, autonomie et indépendance, sécurité et stabilité, esprit d’entreprise, service et dévouement, défi, mode de vie. La Figure 5 présente le modèle d’orientation de carrière.

Figure 5 : Modèle d’orientation de carrière

Source : adapté de Schein 1978, pp. 124-146

Le processus d’auto-perception

La perception est un processus complexe qui permet, au travers de stimulations sensorielles, de construire sa vision personnelle de la réalité (Jabes 1991). En d’autres termes, chacun déduit sa propre réalité de l’univers qui l’entoure au travers de ce qu’il perçoit. Les besoins et les sentiments de l’observateur vont façonner la perception qu’il a des objets, des évènements ou des personnes qu’il observe autour de lui pour leur donner un sens. Ainsi, nous interprétons en permanence et de façon mécanique tout ce que nous percevons, qu’il s’agisse des autres ou encore de soi-même. La théorie de l’auto-perception repose sur deux propositions (Bem 1972). Premièrement, les individus prennent connaissance de leurs propres attitudes, de leurs émotions et d’autres états internes en les déduisant par des observations de leurs propres manières d’agir et/ou des circonstances dans lesquelles ces comportements se produisent. Deuxièmement, dans la mesure où ces signaux internes sont faibles, ambigus et impossibles à interpréter, la personne se trouve dans la même position qu’un observateur extérieur qui doit nécessairement s’appuyer sur ces indices externes pour en déduire les états

intérieurs d’un individu. En définitive, l’auto-perception reflète la vision subjective qu’une personne à d’elle-même.

Le concept de talents

Les talents sont les capacités, et en particulier les connaissances, les compétences et les autres ressources personnelles, qui vous donnent un avantage concurrentiel par rapport aux autres (Derr 1986, pp. 184-185). Ils sont généralement associés à la performance dans le contenu, le processus et le contexte de travail. Ils sont souvent perçus comme des domaines où l’on surpasse les autres membres du groupe de référence. Dans cette perspective, le talent correspond à des capacités et des attitudes exceptionnelles démontrées par un individu (Gallardo-Gallardo, Dries, González-Cruz 2013). Pour Roger et Bouillet (2009), les talents peuvent être considérés comme un sous-ensemble des compétences, celles dans lesquelles la personne excelle, dans lesquelles elle se distingue des autres. Contrairement à d’autres compétences qui peuvent être acquises par l’expérience ou par la formation, ils supposent au départ des dons, des qualités personnelles.

Le concept de motivations

Les motivations procurent du plaisir, de la stimulation et de l’épanouissement au travail (Derr 1986, p. 184). Elles dépendent généralement du contenu et/ou du processus de travail lui-même. Elles sont souvent perçues comme ce que l’on aime vraiment dans le travail par opposition à ce que l’on n’aime vraiment pas. Dans le langage commun, la motivation fait référence à un objectif qui oriente le comportement mais aussi aux états émotionnels qui le déclenchent (Peters 2015, pp. 35-36). Lent et Brown (2013a) recensent différents facteurs de motivations au travail : gagner leur vie, honorer et apporter leur contribution à leurs familles et leurs communautés, parvenir à un épanouissement personnel, affirmer une identité publique, structurer leur vie.

Le concept de valeurs

Les valeurs sont des croyances, des philosophies, des attitudes et des normes qui sont liées au travail (Derr 1986, p. 184). Elles dépendent généralement du contexte du travail et notamment de la culture organisationnelle. Elles sont souvent définies en termes de causes et de « valeurs de la vie » auxquelles on est attaché. Les caractéristiques sociodémographiques, comme le sexe, l’âge ou même le niveau d’éducation, impactent largement la hiérarchie des valeurs des

uns et des autres (Schwartz 2006). Pour Gruère (1991), les valeurs occupent une place centrale dans notre personnalité. Ce sont des principes idéaux, des préférences collectives qui influencent notre vie et guident nos attitudes. Les valeurs reposent souvent sur un fondement culturel, c’est la raison pour laquelle on parle de systèmes de valeurs pour décrire des modèles culturels.

Le développement de l’ancre de carrière dominante

Lorsqu’un individu s’oriente pour la première fois dans sa carrière, son ancre de carrière peut être latente ou inconsciente (Schein 1978, pp. 125-126). C’est l’interaction avec son environnement professionnel qui lui permet de prendre conscience de ses motivations, de ses valeurs et de ses talents pour faire émerger une ancre de carrière. Il faut donc plusieurs années d’expérience professionnelle pour que l’individu découvre son ancre de carrière dominante. La constance de l’ancre de carrière

Comme l’ancre de carrière est une image de soi, elle est influencée par l’expérience professionnelle et les retours d’information qui rendent impossible le maintien d’une auto-perception illusoire (Schein 1987). De plus, cette image peut changer si une personne est confrontée à des expériences radicalement nouvelles même si, pour la plupart des personnes, lorsqu’elles ont une représentation claire d’elles-mêmes, la tendance est de s’attacher à son ancre de carrière (Schein 2006).

La dimension symbolique de l’ancre de carrière

L’ancre de carrière va guider et contraindre l’individu dans ses choix professionnels (Schein 2006). C’est pourquoi, la métaphore de l’ancre de carrière évoque l’attirance pour la stabilité dans une mer de changement (Gowler, Legge 1989) : lorsque l’ancre d’un bateau est fixée dans le sable, le bateau est libre de se déplacer dans la zone reliant les deux au moyen de la corde mais si le bateau dérive trop loin de son ancre, il répondra à la tension créée par la traction de l’ancre et retournera à son point central (Chapman, Brown 2014).

L’ancre de compétence technique et fonctionnelle40

Certaines personnes construisent leur identité à partir de leur savoir-faire professionnel, c’est-à-dire les domaines techniques et fonctionnels dans lesquels elles réussissent, et cherchent à monter leur niveau de compétences dans ces domaines (Schein 2004, pp. 22-24). Pour ces personnes, leur vie professionnelle est centrée autour de la spécialisation. Elles peuvent souhaiter un poste de directeur fonctionnel mais seulement si cela leur permet de continuer à exercer dans leur champ de spécialisation. Ces spécialistes attachent avant tout de l’importance à la reconnaissance accordée par leurs pairs au sein de la profession plutôt qu’à des gratifications provenant de membres de la direction mal informés sur leur travail.

L’ancre de compétence de direction41

Certaines personnes, au cours de leur carrière, ont un désir profond d’accéder à des postes de direction générale (Schein 2004, pp. 25-29). Elles souhaitent détenir un pouvoir de décision majeur pour que les succès et échecs dépendent de leur efficacité. Dès leur arrivée dans une entreprise, ces personnes aspirent à grimper dans la hiérarchie. Elles recherchent un travail leur offrant des défis et des tâches variées, des occasions d’exercer un leadership et de contribuer à la réussite de l’entreprise. Pour ces personnes, le type de reconnaissance privilégié est la promotion à des postes de haute responsabilité.

L’ancre d’autonomie et indépendance42

Certaines personnes ne supportent pas les contraintes imposées par les règlements, les méthodes de travail, les horaires, les codes vestimentaires et autres normes qui prévalent dans une entreprise (Schein 2004, pp. 30-31). Elles considèrent que la vie professionnelle dans une entreprise est limitative, anormale et qu’elle porte atteinte à leur vie privée. Ces personnes préfèrent se diriger vers des carrières plus indépendantes pour agir à leur façon, à leur rythme et selon leurs propres normes. Les décorations, les témoignages d’estime, les lettres de

40 Autres appellations : ancre technique (Hourquet, Roger 2003), ancre technique/fonctionnelle (Cerdin 2015, p. 83), compétence fonctionnelle/technique (Martineau, Wils, Tremblay 2005), compétences techniques (Dejoux, Wechtler 2012), compétences fonctionnelles et techniques (Delobbe 2006)

41 Autres appellations : ancre de gestion (Hourquet, Roger 2003), ancre management général (Cerdin 2015, p. 84), ancre managériale (Peretti 2017, p. 287), compétence en gestion (Martineau, Wils, Tremblay 2005), compétences en gestion (Delobbe 2006), compétences managériales (Dejoux, Wechtler 2012)

42 Autres appellations : ancre autonomie (Hourquet, Roger 2003), ancre autonomie/indépendance (Cerdin 2015, p. 84), autonomie/indépendance (Martineau, Wils, Tremblay 2005)

recommandation, les prix, les récompenses et toute autre forme de gratification de ce genre représentent davantage pour ces personnes que les promotions, les changements de titre ou même les primes.

L’ancre de sécurité et stabilité43

Certaines personnes ont un besoin élevé de sécurité et de stabilité qui prédomine tout au long de leur vie professionnelle (Schein 2004, pp. 32-33). Pour ces personnes, la sécurité financière peut devenir la préoccupation fondamentale. Elles recherchent des entreprises fiables, qui ont la réputation de ne pas licencier de personnel, avec des régimes de retraite et des avantages sociaux intéressants. Elles tirent leur satisfaction de leur sentiment d’appartenance à l’entreprise même si elles n’y occupent pas de postes élevés. Ces personnes souhaitent être reconnues pour leur loyauté et la constance de leur rendement, facteurs auxquels s’ajoute le besoin d’obtenir des garanties de sécurité d’emploi.

L’ancre d’esprit d’entreprise44

Certaines personnes veulent, très tôt dans leur vie et par-dessus tout, créer leur propre entreprise (Schein 2004, pp. 34-35). Elles cherchent à bâtir de nouvelles entreprises au moyen de tractations financières ou en reprenant à leur compte des entreprises déjà existantes pour les remodeler selon leurs propres critères. Pour elles, le besoin de créer est une obsession et c’est pourquoi elles passent leur temps à élaborer des solutions pour mettre à profit leur créativité. Pour ces personnes, la réussite se mesure à l’argent gagné. C’est essentiellement en bâtissant et en étant à la tête d’entreprises de grande envergure que ces personnes obtiennent une reconnaissance publique.

L’ancre de service et dévouement45

Certaines personnes choisissent un emploi en fonction des valeurs fondamentales qu’elles souhaitent concrétiser dans leur travail (Schein 2004, p. 36). Elles attachent davantage

43 Autres appellations : ancre de sécurité du travail (Hourquet, Roger 2003), ancre sécurité/stabilité (Cerdin 2015, pp. 84-85), sécurité/stabilité (Martineau, Wils, Tremblay 2005)

44 Autres appellations : ancre créativité (Peretti 2017, p. 287), ancre créativité entrepreneuriale (Cerdin 2015, p. 85), créativité entrepreneuriale (Martineau, Wils, Tremblay 2005)

45 Autres appellations : ancre de service (Hourquet, Roger 2003), ancre dévouement (Peretti 2017, p. 287), ancre dévouement à une cause (Cerdin 2015, p. 85), service à une cause (Martineau, Wils, Tremblay 2005), service et dévouement à une cause (Delobbe 2006)

d’importance à l’expression de ces valeurs qu’aux talents et domaines de compétence que le travail implique. Ces personnes ont un désir profond d’améliorer le monde d’une façon ou d’une autre. Elles recherchent un emploi qui leur permettra d’influencer leur entreprise ou des politiques sociales selon leurs valeurs personnelles. Ces personnes recherchent la reconnaissance et le soutien autant de la part de leurs pairs que de leurs supérieurs. Elles ont besoin de sentir que leurs valeurs sont partagées au niveau de la direction. DeLong (1982) évoque des individus orientés vers le service aux autres et soucieux de voir les personnes changer grâce aux fruits de leurs efforts.

L’ancre de défi46

Certaines personnes ont l’ambition de conquérir n’importe quoi et n’importe qui (Schein 2004, p. 37). Pour elles, la réussite c’est vaincre des obstacles insurmontables, résoudre des problèmes insolubles, ou l’emporter sur des adversaires irréductibles. Ces personnes recherchent des défis toujours plus grands. Elles éprouvent un réel plaisir à élaborer des stratégies de mission de plus en plus complexes et peuvent définir leur vie en termes de compétition. Le domaine d’emploi, le type d’entreprise, les systèmes de rémunération et de promotion ainsi que les différentes formes de reconnaissance dépendent des défis auxquels ces personnes peuvent se mesurer dans leur travail. Elles ont un profond désir de développement et sont le plus souvent fidèles à l’entreprise lorsque celle-ci leur donne des occasions de se mettre à l’épreuve.

L’ancre de mode de vie47

Certaines personnes cherchent à intégrer leur mode de vie dans leur carrière afin que leur vie familiale et leur vie professionnelle forment un tout (Schein 2004, p. 38). Elles veulent pouvoir voyager ou déménager uniquement lorsque la vie familiale le permet, bénéficier d’un travail à temps partiel à des moments où la vie le requiert, profiter d’un congé sabbatique ou de congés de paternité ou de maternité, disposer d’un système de garderie, travailler selon un horaire flexible ou à la maison. Ces personnes recherchent avant tout une attitude de l’entreprise dans l’organisation du travail plutôt qu’un programme spécifique, c’est-à-dire un

46 Autres appellations : ancre défi pur (Cerdin 2015, p. 85), défi pur (Martineau, Wils, Tremblay 2005), pur challenge (Dejoux, Wechtler 2012)

47 Autres appellations : ancre qualité de vie (Hourquet, Roger 2003), ancre style de vie/qualité de vie (Cerdin 2015, pp. 85-86), style de vie (Martineau, Wils, Tremblay 2005)

état d’esprit qui reflète le respect de l’entreprise pour les préoccupations personnelles et familiales et qui rend possible une renégociation de ces facteurs lorsque cela s’avère nécessaire.