Introduction du chapitre 1
1. Les difficultés de l’emploi en France
1.2. L’évolution du marché du travail
Le travail comprend toutes les activités effectuées par des individus de tout sexe et tout âge afin de produire des biens ou fournir des services destinés à la consommation par des tiers ou à leur consommation personnelle (OIT 2013, p. 2). L’origine étymologique du mot travail est attribuée au latin médiéval tripalium qui désigne un instrument de torture ou un outil pour immobiliser les animaux (Garo 2003). Alors que le terme travail pourrait faire référence à un instrument innocent qui sert de support à l’éleveur et au maréchal-ferrant pour contenir les gros animaux pendant qu’on les soigne ou qu’on les ferre (Vatin 2001), il est davantage associé à un assujettissement, une gêne, une fatigue (Littré 1874, pp. 2322-2323). Cette perspective est sans doute emblématique de notre tradition judéo-chrétienne (Jacob 1994, pp 16-17) qui confère au travail une dimension « sacrificielle » (Vatin 2014, p. 13). Le
Tableau 3 : Représentations du travail
Emploi Le travail n’est pas une fin en soi et permet uniquement d’obtenir les ressources dont l’individu a besoin
Carrière L’individu s’investit personnellement dans son travail pour réussir professionnellement
Vocation Le travail est indissociable de la vie de l’individu qui cherche à se réaliser à travers
celui-ci
Source : Wrzesniewski, et al. 1997
Le marché du travail est la confrontation entre la demande de travail émanant des organisations et l’offre de travail émanant des individus (Germe 2007). Toutefois, il possède plusieurs particularités qui le distinguent des autres marchandises soumises aux lois de l’offre et de la demande (Vatin 2013). Premièrement, il est considéré comme une peine par les économistes. Deuxièmement, il est synonyme de réalisation de soi et d’intégration sociale dans les sociétés contemporaines. Troisièmement, il est difficilement dissociable de la personne qui l’accomplit. Quatrièmement, le salaire, qui vient en rémunération du travail, ne s’ajuste pas au travers de mécanismes marchands mais obéit à un ensemble de règles et de conventions (De Larquier 2013).
Dans le domaine du travail et de l’emploi, les indicateurs utilisés ont plusieurs buts et poursuivent différents objectifs qui se mélangent souvent, ce qui constitue une source de confusion (De Foucauld, Reynaud, Cézard 2008, p. 22). Pour renforcer la comparabilité des données entre les États, l’OIT12 (2013) définit des normes concernant la production de statistiques et de rapports dans ce domaine. Le Tableau 4 présente différentes normes concernant les statistiques du travail et de l’emploi.
Tableau 4 : Normes concernant les statistiques du travail et de l’emploi
Main d’œuvre Égale à la somme des personnes en emploi et au chômage
Personnes en emploi
Personnes en âge de travailler engagées dans toute activité visant à produire des biens ou à
fournir des services en échange d’une rémunération ou d’un profit
Personnes au chômage
Personnes en âge de travailler qui ne sont pas en emploi, qui effectuent des activités de
recherche d’emploi et qui sont actuellement disponibles pour l’emploi
Population en âge de travailler
Établie en tenant compte de l’âge minimum pour l’emploi ou de l’âge de fin de la scolarité
obligatoire Source : OIT 2013, pp. 5-15
L’OIT (2015, p. 2) propose également une série d’ICMT13 qui permettent évaluer les principales questions liées à l’emploi productif et au travail décent. Dans cette recherche, nous nous focalisons uniquement sur le taux de chômage selon les critères de segmentation de la population utilisés pour mesurer les principales inégalités du marché du travail, à savoir : le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, la catégorie socioprofessionnelle (Maruani, Reynaud 2004, p. 32).
Le taux de chômage correspond à la population en âge de travailler qui n’a pas d’emploi, qui est disponible pour travailler et qui cherche activement du travail, par rapport à la main d’œuvre (OIT 2015, pp. 18-19). Cet indicateur apporte des informations sur l’activité et la situation économiques au niveau des marchés du travail. En France, l’instruction obligatoire concerne les enfants de 6 à 16 ans (Article L131-1 du Code de l’éducation) et, sauf exception, il est interdit d’employer des personnes de moins de 16 ans (Article L4153-1 du Code du travail). Néanmoins, les données diffusées par l’Insee incluent généralement les personnes mineures âgées de 15 ans. De surcroît, plutôt que d’utiliser le concept de « main d’œuvre », l’Insee (2016b) se réfère au concept de « population active » qui exprime la somme des personnes pourvues d’un emploi et des chômeurs (OIT 1982).
Dans la CITE14 (ISU 2013, p. 21), le niveau d’éducation atteint se mesure sur la base du programme éducatif le plus élevé complètement achevé, généralement validé par une certification reconnue. Le Tableau 5 montre les correspondances entre la CITE, le système éducatif français et ses principaux diplômes.
Tableau 5 : Correspondances entre la CITE et les principaux diplômes français
CITE 1 Aucun diplôme
CITE 2 DNB15, CAP16, BEP17 CITE 3 Baccalauréat
CITE 4 -
CITE 5 DEUG18, BTS19, DUT20, DEUST21
13 Indicateurs Clés du Marché du Travail
14Classification Internationale Type de l’Éducation 15 Diplôme National du Brevet
16Certificat(s) d’Aptitude Professionnelle 17Brevet(s) d’Études Professionnelles
CITE 6 CPGE22, Licence, Maîtrise
CITE 7 Master, DEA23, DESS24, Diplôme d’ingénieur
CITE 8 Doctorat, HDR25
Sources : Circulaire no II-67-300 du 11 juillet 1967 ; Commission européenne, EACEA, Eurydice 2016, p. 17 ; Décret no 2019-14 ; ISU, OCDE, Eurostat 2015, pp. 107-113
Dans la CITP26 (OIT 2008, p. 1), une profession se définit comme un ensemble d’emplois dont les principales tâches et fonctions se caractérisent par un degré élevé de similarité. En France, l’Insee27 (2003) se réfère à la nomenclature des PCS28. À notre connaissance, il n’existe pas de correspondances absolues entre la CITP et la PCS. Cela s’explique à la fois par le fait que les conventions statistiques reposent sur des logiques différentes et que chaque pays est libre d’adopter son propre instrument de quantification et de classement des groupes sociaux (Penissat 2012). Le Tableau 6 présente les grands groupes de professions de la nomenclature des PCS.
Tableau 6 : Grands groupes de la nomenclature des PCS
PCS 1 Agriculteurs exploitants
PCS 2 Artisans, commerçants et chefs d’entreprise
PCS 3 Cadres et professions intellectuelles supérieures
PCS 4 Professions intermédiaires
PCS 5 Employés
PCS 6 Ouvriers Source : Insee 2016a, p. 11
Comme le montre la Figure 3, le taux de chômage a augmenté de 6,7 points entre 1975 et 2015 (Insee 2016f). Toutefois, nous relevons de fortes disparités selon les populations.
18 Diplôme(s) d’Études Universitaires Générales 19 Brevet(s) de Technicien Supérieur
20 Diplôme(s) Universitaire de Technologie
21 Diplôme(s) d’Études Universitaires Scientifiques et Techniques 22 Classe(s) Préparatoire(s) aux Grandes Écoles
23 Diplôme(s) d’Études Approfondies
24 Diplôme(s) d’Études Supérieures Spécialisées 25 Habilitation à Diriger des Recherches
26 Classification Internationale Type des Professions
27 Institut National de la Statistique et des Études Économiques
Premièrement, le taux de chômage des femmes a augmenté de 5,0 points alors que celui des hommes a augmenté de 8,0 points. Deuxièmement, le taux de chômage des 50 ans et plus a augmenté de 4,8 points alors que celui des 25-49 ans a augmenté de 6,9 points et que celui des 15-24 ans a augmenté de 17,4 points (Insee 2016c ; 2016f). Troisièmement, entre 1982 et 2015, le taux de chômage des personnes avec un niveau CITE 6-8 a augmenté de 1,7 points alors que celui des personnes avec un niveau CITE 5 a augmenté de 3,2 points, que celui des personnes avec un niveau CITE 3 a augmenté de 4,5 points, que celui des personnes avec un niveau CITE 2 a augmenté de 4,9 points et que celui des personnes avec un niveau CITE 1 a augmenté de 10,6 points (Insee 2016e ; 2016h). Quatrièmement, entre 1982 et 2015, le taux de chômage des PCS 1 a augmenté de 0,3 point alors que celui des PCS 3 a augmenté de 1,0 point, que celui des PCS 4 a augmenté de 2,2 points, que celui des PCS 2 a augmenté de 3,0 points, que celui des PCS 5 a augmenté de 4,0 points et que celui des PCS 6 a augmenté de 7,0 points (Insee 2016d ; 2016g).
Figure 3 : Taux de chômage
Champ : France métropolitaine, personnes de 15 ans ou plus Source : Insee 2016f
En France métropolitaine, sur l’année 2015, ce sont les 15-24 ans, les personnes avec un niveau CITE 1 et les PCS 6 qui sont les plus touchés par le chômage (Insee 2016c ; 2016d ; 2016e ; 2016f ; 2016g ; 2016h). Le taux de chômage des 15-24 ans est de 24,0 %, celui des personnes avec un niveau CITE 1 est de 18,1 % et celui des ouvriers est de 14,6 %. En comparaison, le critère de sexe semble relativement moins important pour déterminer le risque de chômage puisque le taux de chômage des hommes est de 10,5 % contre 9,5 % pour celui des femmes.
En France, contrairement à d’autres pays où c’est le salaire qui compte le plus, c’est la sécurité de l’emploi qui semble prioritaire (Bertaux, Delcroix, Pfefferkorn 2014). Elle constitue le premier motif de satisfaction des salariés (ADP 2012, p. 7). Par ailleurs, la
3 % 6 % 9 % 12 %
progression du salaire avec l’âge, notamment en lien avec la prime à l’ancienneté, constitue une réelle spécificité française (Gautié 2004). Le salaire se trouve déconnecté de la productivité marginale des salariés et la relation d’emploi à long terme joue un rôle assurantiel qui garantit une rémunération stable quel que soit l’état de la conjoncture (L’Horty 2016).
La satisfaction s’appréhende comme un « état de plaisir » (Thévenet 2000, p. 41) correspondant à un ressenti affectif et subjectif qui s’exprime suite à la réalisation d’attentes conscientes ou inconscientes d’expériences tangibles ou imaginaires (Michel 1991). La notion de satisfaction peut varier selon les contextes organisationnels (Lemoine 2004). Dans un système reposant sur les règles, la satisfaction sera atteinte lorsque les procédures seront respectées, tandis que dans une structure innovante elle supposera des prises d’initiatives et une large autonomie. Le Tableau 7 présente les variables de la satisfaction au travail.
Tableau 7 : Variables de la satisfaction au travail
Personne Environnement
Interaction de la personne avec son
environnement Perspectives d’intégration Personnalité et dimensions affectives liées au sentiment de satisfaction Conditions de travail et climat social Capacité d’un environnement à fournir des conditions spécifiques
ou des récompenses
Activités valorisées
permettant d’atteindre des
objectifs personnels,
sentiment d’efficacité
dans le travail, sentiment
d’être soutenu
Source : Lent, Brown 2013b
De nos jours, avec la disparition de la sécurité de l’emploi, la rémunération apparaît comme le premier levier de reconnaissance pour les salariés (Roman 2016, pp. 252-253). Une première étude portant sur les aspects les plus importants du travail positionne la rémunération [57 %] devant l’intérêt du travail [50 %] (TNS Sofres, Logica 2011, p. 10). Une deuxième étude, réalisée auprès de cadres, fait apparaître le niveau de rémunération [71 %] comme une motivation prioritaire, devant la qualité de l’ambiance de travail [47 %] (Avarap 2014). Une troisième étude, réalisée auprès des 20-30 ans, confirme que le travail répond d’abord au besoin de gagner de l’argent [93 %], avant la recherche d’épanouissement [56 %] (Cegos 2017, p. 7). En outre, l’augmentation de salaire demeure le principal facteur de motivation pour rester dans une entreprise (Cart, Henguelle, Toutin 2017).