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L’Arbëria et les dialectes arbëreshë de l’Italie du Sud 2.1 Les éléments géographiques et démographiques de l’Arbëria

Carte 6 Les isophones V et VI pour la mise à jour du classement des parlers arbëreshë.

2.6 Profil littéraire de l’Arbëria

La littérature arbëreshe naît pendant le dernier quart du XVIe siècle avec la publication, par le papas23Luca Matranga (1567-1619) de Piana degli Albanesi en Sicile, de la traduction de l’italien à l’albanais de la Doctrine Chrétienne du jésuite Ladesma : Embsuame e chraesterae (E

mbsuame e krështerë) (1592). Il est intéressant de remarquer que dans cette œuvre - représentant

le document le plus ancien des dialectes albanais d’Italie - on trouve la première poésie religieuse en langue albanaise.

Il est possible d’observer au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, une renaissance générale de la vie culturelle dans les communautés arbëreshe, notamment en Sicile. Les intellectuels, pour la plupart de formation ecclésiastique, commencent de s’intéresser au passé historique de leurmère- patrie, en recueillant les témoignages dans leur folklore, les données et les traits concernant leurs traditions et leurs coutumes.

Un autre important phénomène de cette période est la naissance, en littérature, d’une poésie populairerevêtant un aspect formel etreligieux dans soninspiration ; bien qu’elle n’ait eu aucune prétention artistique, elle est devenue un genre très répandu et populaire, en entrant à faire partie du folklore traditionnel de manière définitive. Parmi les auteurs les plus importants de cette période, nous nous limitons à signaler les suivants : Nilo Catalano (1637-1694) ; Giuseppe Niccolò Brancato (1675-1741), archiprêtre de Piana degli Albanesi ; Papas Giorgio Guzzetta (1682-1756), considéré comme l’animateur de ce mouvement culturel et, en même temps, le fondateur du Séminaire gréco-albanais de Palerme ; Paolo Maria Parrino (1711-1765) et Nicola Figlia (1693-1769). Cette phase que l’on peut définir « pré-risorgimentale » de la littérature siculo-albanaise termine avec Nicola Chetta (1740-1803), originairede Contessa Entellina, qui fut l’un des précurseurs de la « renaissance » albanaise du XIXe siècle. Il faut mentionner parmi ses œuvres : une grammaire de l’albanais, un lexique italo-albanais et le Tesoro di notizie su de’

Macedoni (1777), dans lequel on aborde le problème de l’origine de la langue albanaise.

Parmi les auteurs albanais de Calabre la première personnalité importante insérée dans ce mouvement culturel est Francesco Avati (1717-1800), originaire de Macchia Albanese. Avec Giulio Variboba (1724-1788) de San Giorgio Albanese la littérature arbëreshe fait un saut de qualité. Son poème religieux Gjella e Shën Mërisë Virgijër (La vie de la Vierge Marie), publié à

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Rome en 1762, est la seule et unique œuvre écrite en arbëresh publiéeau cours du XVIIIe siècle et elle représente sans aucun doute l’œuvre la plus originale de la littérature albanaise ancienne.

Vers la fin du XVIIIe siècle et pendant tout le XIXe siècle, grâce à l’action incisive exercée par les deux Collèges gréco-albanais de Calabre et de Sicile, le groupe d’intellectuels d’origine albanaise grandit et se développe. Nous nous limitons à faire observer ici l’apport donné par les intellectuels arbëreshë (notamment Francesco Bugliari et Domenico Bellusci, Pasquale Baffi et Angelo Masci) à l’action de renouvellement culturel et institutionnel entreprise au sein des milieux napolitains pendant le siècle des Lumières et, notamment, la participation massive des

arbëreshë, radicaux et libéraux, au mouvement politique du Risorgimento italien (Pasquale Scura

et Luigi Giura, ministres du gouvernement dictatorial de Garibaldi ; Domenico Mauro, Agesilao Milano, Attanasio Dramis, Francesco Crispi, ce dernier ayant été par la suite Président du Conseil des Ministres).

Le développement de cette conscience politique dans les masses arbëreshe ainsi que leur participation pendant le XIXe siècle à la lutte contre l’absolutisme et en faveur des idées démocratiques et libertaires, a donné un nouvel élan au développement de la culture en langue maternelle et à la création d’une nouvelle littérature. La littérature arbëreshe s’est transformée en une littérature engagée et militante, contribuant à projeter la « question albanaise » vers les milieux politiques et culturels européens ; cette nouvelle situation culturelle a permis de dépasser de beaucoup la littérature folklorique, religieuse et didactique des siècles précédents.

Girolamo De Rada (1814-1903), originaire de Macchia Albanese est le plus grand représentant de cette littérature romantique arbëreshe qui trouve en lui la figure qui a donné une impulsion à cette littérature renouvelée, en la faisant sortir des limites provinciales pour l’insérer dans les milieux européens les plus répandus. De Rada, grâce à son activité éclectique dans les domaines de la politique, de la littérature, de la presse, etc., est devenu l’inspirateur et le guide du mouvement culturel de renaissance albanaise. On mentionne, parmi sa vaste production artistique : i Canti di Milosao (1836), la première œuvre d’art réfléchie de la littérature albanaise qui suscita également de l’admiration chez Mistral et Lamartine ; i Canti di Serafina Thopia (1839) ; le

Scanderbeccu i pafaan (1872-1884) ; les Rapsodie d’un poema albanese (1866). À côté de De

Rada, nous trouvons, dans le milieu albanais de Calabre, un groupe important d’intellectuels qui l’ont soutenu dans son action de formation d’une conscience nationale : Francesco Antonio Santori (1819-1894); Vincenzo Dorsa (1822-1885) ; Angelo Basile (1813-1848) et Giuseppe Serembe (1844-1901).

Même au sein des communautés albanaises de Sicile a fleuri à cette époque une littérature caractérisée par l’engagement politique et civil, qui se rattache à la tradition culturelle florissante des siècles passés. En particulier, Emmanuele Bidera (1784-1848), Giuseppe Crispi (1781-1859)

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et Pietro Matranga (1807-1855) représentent le trait d’union de ces deux moments significatifs de l’histoire de la culture littéraire arbëreshe sicilienne. De la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’au début du XXe ‒ plus précisément jusqu’à la date de l’indépendance de l’Albanie (1912) ‒ cette littérature, caractérisée par une forte inspiration romantique, a connu un très grand élan. Les thèmes du Romantisme et du Risorgimento setrouventaussichez Francesco Crispi Glaviano (1852-1933). Giuseppe Schirò (1865-1927) fut sans aucun doute la personnalité la plus représentative non seulement de ce moment culturel mais de toute la littérature albanaise de Sicile. Papas Demetrio Camarda (1821-1882), fut un philologue et linguiste éminent, auteur du célèbre Saggio di Grammatologia Comparata sulla lingua albanese (Essai de Grammatologie Comparée sur la langue albanaise) (1864), à travers lequel il s’est imposé à l’attention des linguistes italiens et étrangers les plus importants. Dans le domaine des études historiques- littéraires et de la traduction, notamment des textes liturgiques en albanais, l’engagement de Paolo Schirò (1866-1941) et de papas Gaetano Petrotta (1882-1952) a été remarquable. P. Nilo Borgia (1870-1942) et Marco La Piana (1883-1958) ont eux aussi contribué à la connaissance et à l’analyse textuelle et linguistique de quelques œuvres de la littérature albanaise ancienne.

Une fois épuisée la phase du Risorgimento avec l’unité et l’indépendance italiennes (1860- 1870), les intellectuels arbëreshë ont souffert du nouveau contexte politique et culturel déterminé par l’hégémonie de l’idéologie nationaliste qui a commencé à se manifester dès la fin du XIXe siècle. Dans ce contexte des interventions ayant tendance à manipuler l’engagement arbëresh pour l’indépendance politique et culturelle de l’Albanie, ont eu lieu, en même temps que les actions de la politique d’expansion du gouvernement italien dans les Balkans. C’est précisément pour neutraliser l’influence et la pénétration de l’Empire austro-hongrois dans cette aire de l’Europe que le Ministère des Affaires étrangers italien a transformé en 1900 le Collège arbëresh de Saint-Adrien (i.e. en italien S. Adriano) en Institut International d’études, capable d’accueillir de nombreux jeunes gens, étudiants et professeurs venant d’Albanie, du Kosovo et de la Macédoine.

Un autre important chapitre de l’histoire culturelle de la minorité albanaise italiennes’est terminé par la proclamation de l’indépendance de l’Albanie (1912) ; l’engagement culturel et les idéaux politiques des intellectuels arbëreshë se trouvent être démotivés et empêtrés tout à coup dans la politique impérialiste du gouvernement italien. La dictature fasciste favorise une italianisation croissante et progressive des coutumes, des valeurs et de la langue, notamment parmi les classes moyennes et intellectuelles de ces communautés. Exception faite pour la figure intellectuelle emblématique d’Antonio Gramsci, pendant cette période (1912-1943), l’esprit albanais a pris également des attitudes souvent équivoques, rhétoriques, et en tous cas

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subordonnées, et il n’a plus été capable de reproduire cette vivacité intellectuelle, et la richesse et l’originalité culturelle qui l’avaient caractérisé jusqu’à cette période.

Après avoir parcouru l’histoire socio-culturelle et littéraire des Arbëreshë, notre recherche nous amène à entrer dans le vif du sujet de cette thèse, en commençant par l’illustration des aspects méthodologiques que nous avons utilisés pour la réalisation de cette étude. En effet, le chapitre suivant vise à fournir les informations relatives aux sources de nos données, aux modalités à travers lesquelles nous avons mené nos enquêtes et aux outils utilisés pour la collecte des données linguistiques.

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CHAPITRE III

Aspects méthodologiques : les sources des données