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Atlas Phytonymique Arbëresh (APhA)

6.2 Expériences géolinguistiques arbëreshe

Bien que les études de dialectologie arbëreshe (cfr. chapitre II, § 2.2) aient déjà commencé vers la fin du XIXe siècle avec l’intérêt que Lambertz (1914-15 ; 1923-25) a démontré envers les communautés albanophones du Molise et des Pouilles, une attention particulière au patrimoine linguistique et littéraire des communautés arbëreshe se manifeste plus nettement lors de l’institution des chaires de Langue et Littérature albanaise dans les universités italiennes de Naples (en 1900), de Palerme (en 1932), de Padoue (en 1936), de Rome (en 1939), de Bari (en 1952) et, surtout, de Cosenza (en 1973). On retrouve en effet, dans la province de Cosenza (en Calabre), la plupart des communautés albanophones d’Italie et, sous la direction de son fondateur Francesco Solano, la chaire d’études albanologiques de l’université calabraise acquiert un rôle dynamique central pour la relance de ces études en contribuant, en même temps, à consolider les rapports culturels entre les Arbëreshë et les institutions académiques et universitaires d’Albanie et du Kosovo (Altimari, 1994d : 445).

L’activité didactique et scientifique ininterrompue pendant quinze années de travail, a permis à Solano de lancer le projet pour un atlas linguistique des parlers albanais de l’Italie du sud : l’Atlante linguistico delle parlate albanesi dell’Italia meridionale (atlas linguistique des parlers albanais de l’Italie du sud) a commencé à être réalisé à partir de 1975 grâce à la collaboration des étudiants des chaires de Langue et Littérature albanaise et de Dialectes

arbëreshë que Solano avait fondées. Les étudiants ont réalisé, sous sa direction, une production

de travaux universitairesconsidérable (maîtrises, monographies, etc.) ayant pour objet les études dialectologiques sur la plupart des parlers arbëreshë de la Calabre et les études de philologie et littérature portant sur l’analyse des œuvres de littérature, publiées et inédites, d’auteurs arbëreshe. Ce corpus de matériaux dialectologiques et littéraires à la fois a une valeur inestimable et constitue le cœur de l’un des plus importants centres de documentation linguistique existant dans le domaine universitaire italien sur les dialectes arbëreshë. Tous ces matériaux linguistiques sont conservés à l’heure actuelle dans le Laboratoire d’Albanologie de l’Université de la Calabre, et sont en libre accès pour les chercheurs et les étudiants ; sur le site du laboratoire (http://www.albanologia.unical.it/tesi.htm) il est aussi possible de consulter l’index complet de tout le corpus.

Le projet d’un atlas linguistique arbëresh a été continué par Francesco Altimari, le successeur de Solano, qui poursuivit également son engagement dans le domaine de la recherche dialectologique arbëreshe. Sous la direction d’Altimari à partir de 1992, le projet de cet atlas entre dans sa phase exécutive, qui avait été renouvelée en particulier à travers l’utilisation de l’informatique appliquée au traitement des données linguistiques. Tout comme lemontrent les

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tendances récentes en géolinguistique, ce projet exploite aussi les potentialités offertes par les technologies informatiques et multimédias modernes avec qui toutes les entreprises, plus ou moins récentes, ont dû nécessairement se confronter. En effet, l’application des technologies informatiques pour l’élicitation, l’élaboration, le stockage et la présentation des données marque la frontière entre les entreprises géolinguistiques traditionnelles où les publications des données étaient sur format papier et celles de dernière génération où l’utilisateur peut profiter directement du matériel en ligne (comme dans le cas de l’Atlante Linguistico Toscano-ALT ou du Thesaurus

Occitan-THESOC) ou sur cédérom (comme dans le cas des monographies de l’ALeA illustrées

ci-dessous). Les données peuvent être aussi présentées sous forme de données sonores avec la possibilité, pour l’utilisateur, de personnaliser les critères d’interrogation, tout comme dans les atlas parlants (tels que l’Atlas linguistique multimédia de la région Rhône-Alpes et des régions

limitrophes-ALMURA) ou les atlas audiovisuels, encore plus évolués, où les données sont

présentées sous forme d’images-vidéos (comme pour l’Atlas linguistique audiovisuel du

francoprovençal valaisan) (Cugno & Massobrio, 2010 : 24). L’accès aux données et leur

présentation sous des formes sans aucun doute plus simples répond à un nouveau principe éthique qui s’est diffusé surtoutau sein des chantiers géolinguistiques régionaux et qui prévoit le faitque les enquêtes sur le terrain ne doivent pas s’orienter exclusivement vers la collecte de matériaux linguistiques sans aucun retour pour la communauté enquêtée, et que les enquêtes doivent représenter aussi une occasion d’échange réciproque entre les administrations locales et les chercheurs. Ainsi, selon Trumper & Maddalon d’un côté :

« […] la creazione di rapporti diretti con i comuni e gli enti locali ci dà un accesso talvolta più agevole agli informatori […] »18

(2007 : 178)

et de l’autre, les chercheurs s’engagent à fournir aux administrations locales un cédérom multimédia pour que les utilisateurs puissent approfondir la connaissance de leur pays et de leur culture outre à exploiter ces données comme matériel didactique (Trumper & Maddalon, 2007 : 177), comme on a fait avec les cédéroms de l’ALeA.

Donc, ce renouvellement de la méthodologie d’approche des données a forcément entraîné une reconsidération du projet, tel que Solano l’avait lancé : dans cette nouvelle phase, l’entreprise géolinguistique arbëreshe s’ouvre aux opportunités d’exploration et de représentation des parlers

arbëreshë offertes par la technologie informatique ; cette nouvelle approche se traduit aussi par

la nouvelle dénomination que le projet même acquiert. Ainsi, l’Archivio Lessicografico Arbëresh (ALeA) devient la base de données multimédia du patrimoine linguistique et culturel des parlers

arbëreshë d’Italie et de la même façon que les atlas régionaux et subrégionaux, l’ALeA se propose

18 […] la création de relations directes avec les communautés et les autorités locales nous donne parfois un accès plus aisé aux informateurs […] (N.T.).

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aussi de mieux préciser et tracer les aspects particuliers de l’histoire linguistique et culturelle de l’Arbëria en offrant un tableau intégral des phénomènes qui intéressent les dialectes arbëreshë.

En fait cette base de données cherche à combler les lacunes laissées par les recherches dialectologiques menées dans le passé dans les aires albanophones de l’Italie du sud ; comme on a pu l’observer, et même si l’entreprise de l’ADGjSh a fourni des données linguistiques très importantes pour l’étude des parlers arbëreshë, ces données résultent malheureusement parfois comme étant peu dignes de foi et pas toujours vérifiables. De plus, les enquêtes menées par ces linguistes albanais n’ont pas pris en considération l’importance de la collecte de documents sonores et visuels (par ex. : ethnotextes, vidéos, etc.) pour ces communautés : il s’agit d’un témoignages du riche patrimoine culturel matériel que les Arbëreshë conservent encore aujourd’hui, qui est en grand danger d’extinction car il est inscrit dans le livre rouge de l’UNESCO dans lequel on peut voir que la vitalité des dialectes arbëreshë est « definitely

endangered » est définitivement menacée (http://www.unesco.org/languages-atlas/index.php).

L’ALeA a donc été conçu avec une double fonction : d’un côté, il pallie la quantité partielle de données lexicales et documentaires liées au patrimoine linguistique et culturel arbëresh que l’ona hérité des travaux sur le terrain menés à partir de la moitié du XXe siècle ; de l’autre, il se présente comme un outil permettant un accès plus fonctionnel et complet au patrimoine des Albanais d’Italie, grâce à l’exploitation des technologies informatiques et d’Internet (Altimari & Pignoli, 2014 : 41).

Pour combler les vides laissés par les précédentes entreprises géolinguistiques, à partir de 2006, on a commencé à mener d’autres enquêtes, qui sont toujours en cours, dans toutes les communautés arbëreshe ; en effet seules les communautés du Molise, des Pouilles septentrionales et de la Campanie ainsi que celles des provinces calabraises de Crotone et de Catanzaro et du Pollino en Basilicate ont été enquêtées et la plupart des communautés doivent encore être enquêtées.

Étant donné que Altimari était le coordinateur de la collecte des matériaux lexicaux des parlers arbëreshë au sein du projet de l’Atlas Linguistique Européen, les deux questionnaires de l’ALE ont été utilisés pour les enquêtes dans quelques communautés arbëreshe du Molise, de Campanie et des provinces calabraises de Crotone et Catanzaro (Conforti et al., 2011 ; Nanci et

al., 2011). En vertu de son caractère essentiel, la Liste de Swadesh a été utilisée pour collecter les

données dans les communautés dans lesquelles l’arbëresh a pratiquement disparu à cause du manque de locuteurs actifs, comme par exemple à Marçedhuza/Marcedusa et

Xingarona/Zangarona (dans la province de Catanzaro, cfr. Nanci et al., 2011) où nous n’avons

trouvé que 2 locuteurs au total. Le questionnaire réalisé par Çabej en 1943 pour le projet d’Atlas

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communautés du Pollino, de Shën Kostandini/San Costantino Albanese et Shën Pali/San Paolo

Albanese (cfr. Scutari, 2012). On a programmé d’utiliser également les questionnaires de l’Atlas Dialectologique de la Langue Albanaise (ADGjSh) et de l’Atlante Linguistico Italiano qui ont été

déjà utilisés, tout comme celui de l’ALE, pour enquêter les parlers arbëreshë pendant leurs campagnes dialectologiques passées, comme nous l’avons illustré dans le paragraphe ci-dessus. En particulier, lors de l’utilisation du questionnaire de l’ALI, la partie concernant les 12 albums d’illustrations et de photos qui l’accompagnent pourra être utilisée pour approfondir l’aspect ethnographique de l’enquête sur le patrimoine matériel arbëresh.

La décision d’utiliser les questionnaires d’autres entreprises géolinguistiques du passé pour les enquêtes dialectologiques de l’ALeA trouve aussi sa justification dans l’approche de continuité avec les études conduites jadis sur ces territoires de l’Italie du sud que l’équipe dirigée par Altimari entend poursuivre: la réalisation d’un questionnaire ALeA a été jugée superflue en raison du fait que les questionnaires mentionnés ci-dessus sont parfaitement capables de cueillir tous les aspects de la variation linguistique des parlers arbëreshë, et qu’ils explorent en outre de manière satisfaisante les nuances liées aux aspects ethnographiques et culturaux de ces communautés.

En revanche, cette décision a entraîné des problèmes lors de la réalisation de la structure de la base de données, surtout en ce qui concerne les modalités de traduction, dans le langage informatique, des exigences lexicographiques liées aux différentes structures des questionnaires utilisés sur le terrain pendant la collecte des données du corpus. Nous nous référons, en particulier, à la structure que la fiche de lemmatisation que l’ALeA aurait dû avoir afin de pouvoir illustrer aux utilisateurs tous les contenus des données linguistiques saisies. En effet, la richesse du patrimoine lexicographique arbëresh était accompagnée d’une grande hétérogénéité d’informations, de méthodes et d’objectifs en ce qui concerne les collectes de données lexicales menées et publiées à partir des années 60 du siècle dernier. Comme l’affirme également Michèle Oliviéri dans un article portant sur des réflexions à propos du ʻresponsaireʼ du THESOC, cette différenciation extrême de départ concernant surtout les données des atlas à regrouper dans la base de données occitane a représenté la difficulté la plus importante en raison des diverses méthodes utilisées par chaque auteur lors de la collecte des faits dialectaux et par la présence des commentaires en marges des atlas qui ont accentué encore plus

« […] l’hétérogénéité des données d’atlas ; les différentes notions ne sont pas représentées partout et, même lorsqu’elles le sont, elles ne le sont pas forcément de la même manière. » (Oliviéri, 2012 : 14).

Elle ajoute aussi, pour cette raison, qu’il ne s’agit pas d’un questionnaire proprement dit, mais que c’est plutôt un ʻresponsaireʼ regroupant « l’ensemble des notions (des signifiés) qui

correspondent aux formes dialectales effectivement recueillies (les signifiants) » (Oliviéri, 2012 : 14).

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Dans le cas de l’ALeA il a été aussi nécessaire d’élaborer une fiche de lemmatisation capable de guider l’utilisateur dans la consultation et l’exploration des informations saisies, de manière simple, claire, et extrêmement compréhensible grâce à la structure multifonctionnelle de la fiche même, où l’utilisateur peut afficher directement ce dont il a besoin en cliquant sur les touches de fonctions de la fiche (cfr. fig. 13 ci-dessous).

La conception informatique et graphique de l’ALeA est réalisée dès 2004 par Battista Sposato, un informaticien du Laboratoire d’Albanologie de l’Université de la Calabre qui s’occupe aussi du développement et de la mise à jour de la base de données lors de la saisie de nouvelles données ou de la réalisation de nouveaux logiciels d’application dans la base de données. En 2006, nous avons rejoint le Laboratoire en prenant en charge la coordination du projet, avec une attention particulière à l’idéation de logiciels spécialisés dans la recherche de données sur des champs onomasiologiques partiels ‒ publiés sur cédérom ‒ tels que le « Lexique visuel de l’albanais du Molise » (cfr. fig. 9 ci-dessous), « l’Arbre généalogique » interactif appliqué aux recherches sur les parlers des provinces de Crotone et de Catanzaro (cfr. fig. 10 ci- dessous), la carte interactive des noms des plantes dans la communauté de Katundi/Greci en Campanie (à paraitre) et enfin, l’Atlas Phytonymique Arbëresh qui accompagne ce travail de recherche. En 2015, ALeA a été enrichi par la réalisation d’un premier prototype de base de données zoonymique qui a été utilisé pour collecter les zoonymes du parler de Shën

Kostandini/San Costantino Albanese (en Basilicate), comme le montre la figure 11 ci-dessous.

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Figure 10 - L’Arbre généalogique interactif des parlers en province de Crotone et Catanzaro (Conforti et al., 2011 ; Nanci et al., 2011).

Figure 11 - Zoonymie de San Costantino Albanese (Scutari, 2015).

La structure générale de l’ALeA propose dès le début deux parcours principaux d’exploration des données lexicales àla disposition de l’utilisateur: celui du « Lessico letterario » (lexique littéraire, à gauche) dont les contenus ainsi que la structure interne sont encore en phase

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de réalisation, et l’autre du « Lessico dialettale » (lexique dialectale, à droite) qui est déjà dans la phase de saisie des données (cfr. fig. 12 ci-dessous).

Figure 12 - Cadre d’ouverture d’ALeA.

Sur la base donc de ses exigences de recherche, l’utilisateur peut choisir d’un côté le parcours littéraire dans lequel il trouvera les analyses philologiques et les concordances de chaque texte littéraire arbëresh, en prose et en vers, réalisé par les auteurs arbëreshë entre le XVe et le XIXe siècle. De l’autre, le parcours lexical dialectal qui permet d’approcher le matériel lexical

arbëreshë avec des perspectives d’analyse multiples qui sont offertes par les cinq onglets des

Informations générales (1), de la Morphologie (2), de la Lexicographie (3), de la Lexicologie (4) et de l’Étymologie (5). La section relative à la Documentation (6) offre en même temps à l’utilisateur la possibilité d’une approche ethnographique aux matériaux saisis en vertu de la typologie de contenus que cette section comprend et tout comme l’affirme Dalbera (1996 : 196), ils sont :

« […] une somme de productions originales diverses : expressions idiomatiques ou proverbes, réflexions d’ordre métalinguistique, commentaires techniques, témoignages à valeur historique et / ou littéraire… […] »

que l’on peut écouter ou regarder sous forme de vidéos avec les sous-titres (cfr. figure 13 ci- dessous).

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Figure 13 - Cadre d’ouverture du lexique dialectale d’ALeA.

Conçu au début comme un grand dictionnaire arbëresh qui offrait une consultation immédiate et facile, l’ALeA s’est ensuite transformé en de véritables archives linguistiques et culturelles à large spectre permettant une approche globale au patrimoine lexical arbëresh. Il a une double fonction : d’un côté, il se présente, même graphiquement, comme un « prisme » adressant l’utilisateur vers des recherches systématiques sur le patrimoine lexicographique de l’albanais d’Italie qui portent sur la tradition littéraire écrite et sur celle orale dialectale. De l’autre, il projette l’utilisateur vers d’autres possibilités d’exploitation de ce patrimoine, telles que la didactique de la langue minoritaire, la multidisciplinarité et l’approche transversale des contenus; ce qui permet d’utiliser ce patrimoine linguistique, historique, anthropologique et culturel à la fois pour tracer une corrélation potentielle avec les autres aires dialectales albanophones, notamment de l’Albanie, du Kosovo, de la Macédoine, du Monténégro et de la Grèce avec lesquelles les Arbëreshë partagent beaucoup de traits linguistiques et culturels (Altimari & Pignoli, 2014 : 46).

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