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Aspects méthodologiques : les sources des données 3.1 Les enquêtes

3.1.1 Les points d’enquête

Le croisement des aspects « internes » et « extérieurs » à la structure linguistique des parlers

arbëreshë avec la quantité de locuteurs disponibles2 dans chaque communauté, nous a permis de choisir huit points d’enquête qui représentent chacun au moins une des zones que nous avons redéfinies sur la base des isophones précédemment indiquées par Solano dans le chapitre II. Afin de faciliter la description de nos points d’enquêtes, nous fournirons une carte résumant les communautés enquêtées et les isophones arbëreshë auxquelles elles appartiennent (cfr. carte 1 ci-dessous). Nos points d’enquête sont décrits ci-après :

- Munxhufuni/Montecilfone (en Molise, P. 2 carte 1 ci-dessous) est un représentant de la zone IVa et VIa et ce parler arbëresh présente aussi la monophtongaison des diphtongues, comme nous l’avons vu dans le chapitre II. Cette communauté d’environ 1 300 habitants se trouve à l’extrême nord de l’Arbëria3, à 405 mètres au-dessus du niveau de la mer, et elle est isolée des autres communautés albanophones et romanes limitrophes. Son économie se base surtout sur l’agriculture, même si le dépeuplement du village ‒ dû à la migration des jeunes générations vers le nord de l’Italie à la recherche d’un emploi ‒ menace de mort cette activité et le patrimoine culturel en relation directe avec l’homme et la nature.

- Porkanuni/Portocannone (en Molise, P. 3 carte 1 ci-dessous) appartient à l’aire IVb et VIa. C’est un village de taille plus importante, d’environ 2 600 habitants, situé à 148 mètres au- dessus du niveau de la mer. Le territoire où se situe Portocannone est entouré de plusieurs communautés parlant des variétés italo-romanes et est tout près du littoral adriatique ainsi que des voies de communications les plus importantes, telles que l’autoroute Tarante-Bologne et le réseau de chemin de fer de la côte adriatique. Jusqu’à la fin des années 80, l’économie de Portocannone était basée sur l’agriculture, mais avec la crise de ce secteur au niveau national, son économie s’est ouverte aux secteurs tertiaire et industriel, grâce à la présence d’une importante zone industrielle (comprenant différentes usines) à moins de 2 km du centre urbain. Par

1 Ce n’est pas suffisant de pratiquer l’agriculture ; il faut avoir des connaissances botaniques développées, ce que les jeunes générations n’ont plus à cause de la mécanisation des travaux agricoles.

2 La quantité de locuteurs disponibles a été l’un des aspects les plus contraignants pour le choix de nos points d’enquête ; en effet, la pénurie d’agriculteurs âgés, capables et disponibles à interagir avec nous, nous a empêché d’enquêter dans trois autres aires albanophones italiennes : les régions de Foggia, de Tarante et de Catanzaro. À ce propos, nous donnerons les détails concernant le choix des locuteurs dans le paragraphe 3.1.4, traitant les informateurs.

3 En réalité, c’est Villa Badessa (dans les Abruzzes) la communauté d’origine albanaise qui se trouve à la limite septentrionale de l’Arbëria, mais nous ne l’avons pas choisie comme point d’enquête parce que l’arbëresh a tellement perdu de sa vitalité qu’il peut être considéré comme étant en voie de disparition; en effet, il n’y a plus de locuteurs actifs, et nous n’avons trouvé que des personnes très âgées qui se souviennent de quelques mots sans être capables d’utiliser l’arbëresh dans la conversation quotidienne spontanée.

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conséquent, l’agriculture est encore pratiquée exclusivement par un groupe restreint de personnes surtoutcelles qui sont plus âgées, entre 60 et 80 ans, tandis que les jeunes générations migrent au nord de l’Italie ou se consacrent à d’autres activités professionnelles.

- Katundi/Greci (en Campanie, P. 8 carte 1 ci-dessous) est la seule et unique communauté albanophone de la Campanie et sa « solitude linguistique » est accompagnée par sa « solitude géographique » : ses quelques 700 habitants se trouvent à 821 mètres au-dessus du niveau de la mer, entre l’Apennin Samnite et l’Apennin Campanien, isolés des autres communautés italo- romanes méridionales qui l’entourent. Ce petit village a toujours souffert des grandes vagues migratoires ‒ vers les Amériques et vers l’Europe continentale ‒ après les deux conflits mondiaux qui l’ont progressivement conduit au dépeuplement actuel : la population du village consiste essentiellement en quelques personnes âgées, une minorité de familles d’agriculteurs et d’éleveurs de bestiaux et un tout petit groupe de jeunes employés dans l’administration publique locale. Les données issues de nos enquêtes nous ont permis de placer ce parler dans les zones IVc et VIa du nouveau classement que nous avons réalisé.

- Shën Kostandini/San Costantino Albanese (en Basilicate, P. 13 carte 1 ci-dessous) se trouve sur le côté lucain du massif du Pollino, en plein dans l’aire « Lausberg »4, à 650 mètres au-dessus du niveau de la mer et avec une population d’environ 750 habitants. Son économie, surtout agricole et pastorale, permet encore de préserver des relations étroites entre l’homme et la nature. Il fait partie de la zone III, selon notre classement des communautés albanophones.

- Sënd Japku/San Giacomo di Cerzeto (en Calabre, P. 35 carte 1 ci-dessous) est un hameau de Cerzeto appartenant à la zone II de notre classement par isophones des parlers arbëreshë. Ce hameau se trouve au centre d’un groupe de cinq villages5 qui se succèdent en ligne verticale à gauche du fleuve Crati et qui ont les mêmes caractéristiques phonétiques et territoriales : situés sur un territoire collinaire, riche en bois surtout de châtaigniers, idéal pour élever du bétail, ces systèmes connaissent la palatalisation de tous les anciens groupes de consonnes. Pour le détail de sa position, San Giacomo se trouve sur la ligne Cirò-Bisignano-Cetraro (du côté de Cetraro, sur la mer Tyrrhénienne) tracée par Rohlfs, entre les isoglosses de la Calabre « latine » (au nord) et de la Calabre « grecque » (au sud). Il est habité par 200 personnes environ et s’élève à 450 mètres au-dessus du niveau de la mer. Son économie est essentiellement agricole et pastorale, mais il faut aussi se souvenir du fait qu’il existait, dans le passé, une activité florissante liée au tissage avec le métier à main.

4 Elle est géographiquement placée entre la Basilicate méridionale et la Calabre septentrionale et possède les dialectes calabro-lucaniens les plus archaïques.

5 Les autres communautés albanophones de ce groupe sont, du nord au sud, Cavallerizzo, Cerzeto, puis au sud de S.G., San Martino di Finita et San Benedetto Ullano.

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- Shën Sofia/Santa Sofia d’Epiro (en Calabre, P. 33 carte 1 ci-dessous) appartient aux aires II et V de notre classement. Il représente la partie occidentale d’une série de villages6 albanophones qui se succèdent les uns aux autres, à la droite du fleuve Crati. Ces communautés présentent les mêmes caractéristiques phonétiques, notamment la palatalisation des anciens groupes de consonnes et la sonorisation de la fricative vélaire, et territoriales, ce qui nous a permis de les considérer comme un territoire linguistique compact et aux contours bien visibles. Ce groupe de parlers se trouve tout près de la limite septentrionale de la ligne Cirò-Bisignano- Cetraro, près de Bisignano et s’étend jusqu’à la mer Ionienne ; cette position géographique nous a induit à les désigner comme des communautés arbëreshe de la « Pré-Sila grecque ». Shën

Sofia/Santa Sofia se trouve à 558 mètres au-dessus du niveau de la mer et a une population de 2

671 habitants qui vivent surtout à la campagne, car ce sont des éleveurs de bovins et des agriculteurs. Les relations entre l’homme et le territoire sont bien entretenues même si les générations les plus jeunes émigrent pour étudier ou travailler dans le nord de l’Italie.

- Shën Kolli/San Nicola dell’Alto (en Calabre, P. 42 carte 1 ci-dessous) fait partie des aires II et VIa de notre classement et se trouve géographiquement au sud de la ligne Cirò-Bisignano- Cetraro, donc dans la Calabre « grecque ». Il est habité par 850 personnes environ et le village est situé à 579 mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans le passé, l’économie était basée sur l’élevage et sur l’agriculture, mais aujourd’hui, à la suite à l’émigration d’une partie considérable de la population vers l’Europe continentale, les activités professionnelles les plus anciennes ainsi que la campagne ont été abandonnées. La population actuelle est composée principalement de personnes âgées tandis que les jeunes ont quitté leur pays natal pour chercher une situation professionnelle plus favorable dans d’autres parties du nord de l’Italie.

- Hora/Piana degli Albanesi (en Sicile, P. 48 carte 1 ci-dessous) est une des plus grandes communautés arbëreshe avec ses 6 300 habitants environ qui vivent à 720 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette communauté fait partie des aires I et VIb de notre classement et représente aussi la limite méridionale de l’Arbëria. L’importance incontestable que Piana a eue et continue à avoir, en tant que siège de l’éparchie gréco-byzantine sicilienne (cf. ch. II, pour les détails), a sans doute favorisé la conservation de son patrimoine culturel et religieux arbëresh. À ce propos, il est important de souligner que l’éparchie de Piana témoignede son attachement aux traditions religieuses et culturelles à travers l’adoption de textes liturgiques traduits en langue arbëresh locale. En outre, à la différence des autres communautés albanophones gréco-byzantines de Calabre, les langues de la liturgie sont représentées par la variété arbëreshe pianotienne et le grec- byzantin, tandis que ce dernier, l’italien, et surtout l’albanais sont les langues utilisées pour les

6 Les autres communautés albanophones de ce groupe sont Shën Mitri/San Demetrio Corone, Maqi/Macchia Albanese, Vakarici/Vaccarizzo Albanese, Mbuzati/San Giorgio Albanese et Strighari/San Cosmo Albanese.

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célébrations religieuses dans l’éparchie de Lungro (en Calabre). L’économie de cette communauté montre, aujourd’hui, qu’elle est orientée vers les secteurs tertiaire et industriel, tandis que les activités agricoles et d’élevage sont en voie de disparition.

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