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La professionnalisation des études : entre affichage et existence d’une réelle stratégie portée par les établissements

GOUVERNANCE DE LA FORMATION ?

I. Mutation progressive de l’ordonnancement institutionnel et organisationnel du modèle de régulation des universités : des

2.4.2. La professionnalisation des études : entre affichage et existence d’une réelle stratégie portée par les établissements

Sous l’effet incitatif de la politique menée par le ministère, le critère des « débouchés » s’impose progressivement comme un critère essentiel dans le processus d’habilitation et de réhabilitation des diplômes. Ceci pourrait contribuer à favoriser l’élaboration d’une offre de formation moins directement liée au développement des disciplines et une intervention plus systématique des instances décisionnelles de l’université dans le cadre des procédures internes d’évaluation des dossiers d’habilitation et de réhabilitation des diplômes.

Sur ce point, Frédéric Kletz et Frédérique Pallez ont montré que, dans certains cas, « la mobilisation de ce critère est un faux-semblant. En effet, d’une part les métiers concernés par certains diplômes sont parfois peu formalisés ; d’autre part, l’instruction des besoins des professionnels n’est pas toujours réalisée de manière rigoureuse par les porteurs de projets (quelques lettres de soutien, quelques statistiques pas toujours bien centrées,...) ». Ainsi, si sur le principe, la volonté de rétablir, à travers la procédure, un intérêt pour les débouchés peut être considérée comme louable, en pratique, les établissements sont souvent amenés à se limiter à une « gestion des apparences »321. Comme l’expliquent très justement Christine Christine Musselin et Stéphanie Mignot-Gérard, l’ambiguïté sur cette question est de mise. « Plusieurs éléments indiquent en effet que les universitaires sont plus sensibles à différentes demandes externes, que les établissements tentent de mieux piloter le contenu de leur offre de formation et que le ministère ne raisonne plus seulement en termes de disciplines. Mais d’autres éléments soulignent les limites de ces évolutions, voire leurs effets dérégulateurs »322.

Force est de constater que le mouvement de professionnalisation des études se matérialise, sur ces dernières années, par une hausse des diplômes créés, non compensée par la suppression d’autres diplômes constitutifs de l’offre de formation existante. Cette

321 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

322 Mignot-Gérard S. et Musselin C., 2001, « L’offre de formation universitaire : à la recherche de nouvelles régulations », Education et Société, n°8.

« spirale inflationniste »323 s’est essentiellement traduite par la création de diplômes professionnels ou professionnalisés. Ce constat est confirmé par Dominique Maillard et Patrick Veneau qui ont également pointé ce phénomène à l’échelle nationale sur la période 1996-2002, en observant « une croissance significative des diplômes professionnels324 (70%) tandis que celle des diplômes généraux est limitée à 5% seulement. Ainsi, la part des diplômes professionnels passe de 32% de l’ensemble des diplômes considérés à 43,3%. Si les diplômes généraux représentent encore la majeure partie de l’offre, l’essentiel des créations réalisées depuis le milieu des années 90 se concentre sur des formations à caractère professionnel »325.

L’enquête par questionnaire réalisée par Christine Musselin et Stéphanie Mignot-Gérard a mis en évidence trois facteurs ayant déterminé la nature (professionnalisée ou non) des projets d’habilitation : le critère des débouchés professionnels, la demande des étudiants et la disponibilité des enseignants. Ce qui laisse entendre que « l’offre de formation des universités paraît ainsi guidée en amont par la demande potentielle pour une filière, et en aval par les possibilités d’accès au marché du travail »326. Pour autant, rien ne certifie l’existence d’une réelle démarche orientée sur la demande.

D’abord, parce que le caractère professionnalisé est devenu une quasi-norme ministérielle et un critère intégré par la profession universitaire comme condition sine qua non de la validation des projets au sein des instances d’évaluation, et en bout de course, au ministère. « La prise en compte des besoins de l’environnement correspond ainsi à des démarches effectives et nouvelles de la part des porteurs de projets, liées au fait que la reconnaissance des besoins extérieurs est désormais légitime et tend à supplanter les critères de qualité exclusivement académiques fondés sur la valeur intrinsèque des enseignements. Cependant, cela est aussi utilisé comme un argument “vendeur” dans les établissements et qui est d’autant plus aisé à mobiliser (même s’il suppose de véritables efforts de la part des porteurs de projet) que les établissements ne peuvent évaluer si la

323 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

324 C’est-à-dire l’ensemble des formations associées aux IUP, les DEUST, DUT, licences professionnelles, MST et DESS.

325 Maillard D. et Veneau P., 2006, « La professionnalisation des formations universitaires en France. Du volontarisme politique aux initiatives locales », Les Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 5, p. 75-90.

326 Mignot-Gérard S. et Musselin C., 2001, « L’offre de formation universitaire : à la recherche de nouvelles régulations », Education et Société, n°8.

demande est pertinente et tangible ». La qualité ex ante de l’articulation entre formation et emploi demanderait une analyse des processus de construction des projets d’habilitation et plus particulièrement des relations entre acteurs de l’éducation et acteurs économiques. Du point de vue de l’affichage, l’offre de formation dénote son inscription dans une logique de réponse à la demande. Pour autant, le maintien de l’offre de formation existante ne dénote pas la présence de ce que Pierre Dubois décrit comme une stratégie offensive de régulation de l’offre globale. Le paradoxe serait alors, qu’une « logique de l’offre perdure » (construction des diplômes sur la base de projets disciplinaires dont les enjeux répondent aux rapports internes entre les UFR et champs disciplinaires) tout en intégrant certains critères de professionnalisation des études dans les projets construits, cela sur la forme, plus que sur le fond.

Ensuite, l’enquête montre que les instances universitaires en charge de l’évaluation interne des projets d’habilitation de ces diplômes ne disposent en fait que de peu de moyens objectifs leur permettant de distinguer les diplômes qui ne se contentent que d’afficher artificiellement le caractère professionnalisé de la formation, des diplômes construits minutieusement en concertation et partenariat étroit avec le monde professionnel. « Quand les universitaires porteurs de projets font état de leurs contacts et des soutiens positifs qu’ils ont obtenus de tels ou tels partenaires, l’existence de cette demande reste plus présumée que mesurée. De plus, les membres des instances de l’université ne disposent ni du temps ni des compétences nécessaires pour se faire une opinion sur ce point. Ils reconnaissent eux-mêmes devoir se fier à la parole des porteurs de projet et à leur impression générale du “sérieux” avec lequel celui-ci a été préparé ». Au delà de la question qui pourrait se formuler ainsi : les instances universitaires (CEVU, CA) ont-elles les moyens d’évaluer efficacement la qualité ex ante des formations professionnalisées ? Une autre question se pose : Les instances universitaires ont-elles intérêt à freiner l’inflation des diplômes soient-ils professionnalisés ou non ? A cette dernière question, à l’instar de Pierre Dubois, on pourrait penser que ‘non’. Qui dit nouveau diplôme, dit potentiellement attraction de nouveaux étudiants et source de financement. Par ailleurs, sur un plan plus politique, les instances de l’université privilégient assez souvent une attitude « consensuelle ». Le refus d’un projet alimenterait les conflits internes entre les différentes composantes.

2.5. L’exemple de la construction des licences professionnelles à l’université :

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