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UNIVERSITAIRES ET RAPPROCHEMENT UNIVERSITE- UNIVERSITE-ENTREPRISE

II. Enjeux et formes concrètes de la professionnalisation dans le champ de l’enseignement supérieur : éléments de définition

2. La professionnalisation des étudiants

2.1.1 Sur la notion de compétence

La notion de compétence est une notion polymorphe, puisque les nombreux travaux abordant la question montrent une multiplicité de conceptualisations inscrites dans des corpus théoriques variés. Au delà des désaccords, un relatif consensus s’est fait jour. La « compétence » serait intrinsèquement liée à l’individu et à son action dans un contexte professionnel donné, à la résolution de problèmes dans ce contexte. Elle s’exprime par la mobilisation de différentes ressources personnelles dont les savoirs théoriques et procéduraux, les savoir-faire issus de l’expérience161, etc. (ou toute une partie de savoirs, connaissances et aptitudes transmises à l’individu par le système éducatif).

Le milieu des années quatre-vingt voit l’apparition de la notion de « compétence » au côté de celle de « qualification ». Un rapport du commissariat général au plan avance l’idée selon laquelle le modèle de la qualification est en passe d’être supplanté par le modèle dit de la compétence « qui se réfère aux capacités de l’individu effectivement mises en œuvre et s’évalue en situation ou, tout au moins, par rapport à une situation donnée, par rapport à un contenu d’emploi »162. A un niveau macro-économique, au modèle de régulation « fordiste », dans lequel la qualification jouait le rôle de pivot entre l’enseignement et le travail, la période récente verrait l’avènement d’un nouveau modèle « post-fordiste » dans lequel la recherche de flexibilité assise sur de nouvelles formes d’organisation du travail et de gestion de la main d’œuvre impliquerait un nouveau mode de formation et de mobilisation de la main d’œuvre fondé sur la compétence. Selon Philippe Zarifian la compétence caractérise « une intelligence pratique des situations qui

161 Pour Benoît Grasser et José Rose, au-delà de son accumulation par l’ancienneté, l’expérience appartient à la socialisation professionnelle. L’expérience professionnelle est un facteur d’intégration dans le collectif de travail, d’amélioration de la productivité, d’adhésion à la culture et aux normes de l’entreprise, c’est un construit dont les enjeux sont productifs. La formation professionnelle sous statut scolaire est un mode d’acquisition de cette expérience. Grasser B. et Rose J., 2001, « Usage de l’expérience professionnelle et performance productive », Formation-Emploi, n° 73, janvier.

162 Morin M.L (Dir)., 2003, « Gestion de l’emploi, gestion des compétences et formation professionnelle », rapport au Commissariat Général au Plan, mars.

s’appuie sur des connaissances acquises et les transforme avec d’autant plus de force que la diversité des situations augmente »163. Ainsi ce nouveau modèle s’articulerait à une « flexibilité de la production, de la mobilité et de la polyvalence du travail (…) ce qui pourrait aboutir à une remobilisation du travail et à une reprise du taux de productivité. »164.

Ces modifications interrogent l’existence d’un certain nombre de transformations affectant, dans des proportions variables, le mode de certification et les modalités de construction des formations. Un certain nombre de transformations touchant à la redéfinition de la nature des enseignements et des modalités de construction-organisation des études pourrait être liée à cet imposé, discutable, qu’est la flexibilisation du travail, qui demande des compétences professionnelles, transversales et polyfonctionnelles. Pour Philippe Perrenoud « L’économie moderne ne rêve plus de salariés porteurs de savoir-faire spécifiques, formés en vue d’occuper durablement un poste de travail bien défini. (…) Les entreprises d’aujourd’hui ont besoin d’une main d’œuvre mobile, à la fois géographiquement et intellectuellement. Tel est le paradoxe : l’évolution du capitalisme est menaçante parce que les entreprises reconnaissent la réalité des compétences. Non par humanisme, mais pour assurer la flexibilité de la production et l’intégration incessante d’innovations technologiques aussi bien que la redéfinition permanente des produits et de l’organisation du travail. Du coup, posséder une qualification formelle n’est plus une protection et le sort des travailleurs d’égale qualification dépend de leurs compétences effectives, ce qui individualise le sort des uns et des autres, les met en concurrence et affaiblit les solidarités statutaires »165.

Dans toutes les déclinaisons du sens accordé à la compétence, un point de convergence renvoie donc au caractère individuel qu’elle intègre, à sa composition faite d’acquis de l’expérience professionnelle, des savoirs généraux et des conduites-types. La notion cristallise d’une part les acquis, capacités ou aptitudes directement liées à un domaine d’activité ou à un emploi spécifique. D’autre part, elle conduit à la valorisation d’autres qualités, de capacités polyfonctionnelles et d’adaptation, non directement associables à un parcours ou à une formation concrète. Par ailleurs, l’introduction de la compétence

163 Zarifian P., 2002, Objectif compétence. Pour une nouvelle logique, Editions liaison.

164 Boucher J., 1990, « Théorie de la régulation et rapport salarial », cahiers du CRISES, collections études théoriques, n° ET9001.

165 Perrenoud P., 2001, « Développer des compétences dès l’école ? », Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève.

dans le management d’entreprise conduit lentement à un mouvement d’individualisation de la relation salariale jusqu’alors structurée sur des bases collectives. Selon Claude Dubar la place aujourd’hui centrale accordée à la compétence révèle une crise des identités professionnelles : « la crise des identités professionnelles s’inscrit dans une remise en cause générale de identités sociales, qui traduit le passage de relations communautaires (le nous), à des relations sociétaires (le je). Produites autrefois collectivement, les identités professionnelles tendent désormais à être bricolées par les individus en fonction de leurs trajectoires professionnelles»166.

Encadré 4 : Un glissement du modèle de la « qualification » vers un modèle de la « compétence »

En France, l’espace de la certification repose traditionnellement sur l’institutionnalisation d’une mise en correspondance des emplois et des formations : à chaque catégorie et niveau d’embauche est associé, en principe, un titre scolaire reconnu au niveau national. Jusqu’au début des années 80, les métiers sont structurés par fonction autour des qualifications et des emplois. A compter de la fin de années quatre-vingt, la recherche croissante de flexibilité humaine, technique et/ou organisationnelle entraine partiellement une érosion progressive du modèle en faveur d’une plus grande élasticité des relations entre emploi et formation (transversalité et polyvalence). En pratique, le mouvement tend à remettre en cause, ou tout du moins contourner, les grilles de classifications élaborées dans le cadre des conventions collectives, codifiant les liens entre certifications scolaires et métiers, ou poste de travail. Deux grilles de classification sont d’usage : « grille Parodi-Croizat » qui fonde le classement des salariés sur la base du métier ; et la grille à « critères classants » qui s’articule autour du poste de travail. A côté de grilles créées sur le modèle des métiers ou du poste de travail apparaissent des formes de classement prenant pour référence les compétences des individus (les frontières entre ces différents types de classification restent floues et des systèmes mixtes sont souvent adoptés). Ainsi, depuis quelques années, un autre système de reconnaissance et de mobilisation de la main d’œuvre se structure, faisant une large place au critère de la compétence. La grille de classification repose alors, non plus exclusivement sur le poste ou le métier, mais sur un catalogue de compétences ‘individuelles’ de base construit à partir de l’observation des différentes fonctions accomplies par les salariés dans l’entreprise. Ces compétences élargies appartiennent au registre des connaissances théoriques, compétences opérationnelles, connaissances ou compétences pratiques, ou connaissances générales. Ces nouveaux critères classant introduisent des modes de rémunération également individualisés. Une tendance globale consisterait à faire prévaloir la compétence comme critère individualisé au cœur de la régulation du lien Formation-Emploi-Salaire, la compétence valorisant les capacités

166 Dubar C., 2004, « Identités professionnelles : le temps du bricolage », Editions Sciences Humaines, Identité(s) : l’individu, le groupe, la société, Paris, pp 141-148 ;

polyfonctionnelles et d’adaptation, non directement associables à un parcours ou à une formation concrète. Elle permettrait de contourner le système de gestion par les qualifications. Dans le système de gestion par les qualifications une supra-règle, fruit d’un compromis social, et plus précisément d’un accord social implicite sur la valeur accordée aux titres scolaires, régulait la mise en équivalence entre : le diplôme, l’emploi, le salaire. La compétence aurait la particularité de ne s’apprécier qu’individuellement et participerait au passage progressif d’une adaptation du salarié adossée à un compromis social, à une adaptation individualisée. « Dans une perspective de gestion des ressources humaines, l’introduction des compétences est relayée avec le modèle de la flexibilité productive. Elle est le reflet d’un déplacement des préoccupations des employeurs vers la recherche d’organisation de travail souple, afin de répondre rapidement aux fluctuations conjoncturelles, et vers la responsabilisation des salariés à leurs activités. Le concept de la compétence pourrait être analysé comme introduisant la réflexion sur un nouveau modèle de certification dans lequel le métier ou le poste ne jouerait plus un rôle central »167.

2.1.2. Quelles catégories de compétences : compétences techniques, relationnelles,

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