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Lois « Faure » et « Savary » : vers une autonomie des universités ?

GOUVERNANCE DE LA FORMATION ?

I. Mutation progressive de l’ordonnancement institutionnel et organisationnel du modèle de régulation des universités : des

1. Les fondements institutionnels et organisationnels du système universitaire français : système de régulation centralisé et influence des

1.2. Lois « Faure » et « Savary » : vers une autonomie des universités ?

A compter de la fin des années soixante, une seconde phase de développement des universités conduit progressivement à l’édification des soubassements institutionnels et organisationnels fondamentaux qui serviront de support au fonctionnement des universités françaises telles que présentes de nos jours. La période correspond d’abord à une nouvelle donne institutionnelle bâtissant les universités ‘modernes’ et leur forme d’administration. La loi d’orientation dite Edgar Faure du 12 novembre 1968258 et loi Savary du 26 janvier 1984259 ont conduit à un premier remaniement du cadre législatif et réglementaire régissant jusqu’alors le fonctionnement des établissements.

Avant 1968, l’Université ne dispose juridiquement que de très peu de pouvoir, celui-ci étant entre les mains du recteur, président du conseil des universités, lequel est composé de chaque doyen et des représentants des différentes facultés. En cette qualité, le recteur est responsable dans tous les actes de la vie civile et judiciaire qui la concernent. Il exécute, sous le contrôle ministériel et dans la limite de ses attributions, les décisions prises par le conseil des universités. L’université était par conséquent réduite à un niveau

257 Le modèle Humboldtien renvoie à l’idée de l’existence d’« une conscience universitaire, partageant un même idéal et défendant des valeurs communes : celles de la recherche désintéressée, contre la perspective d'une professionnalisation forcenée, et celle de l'autonomie du savoir à l'égard de ses diverses instrumentalisations possibles ». Renaut A., 2006, Le rôle des institutions universitaires dans le développement d’une culture démocratique européenne, Maison de la recherche, Paris.

258 Loi d’orientation de l’enseignement supérieur, Loi n°68-978 du 12 novembre 1968.

administratif formel chapeautant les facultés et placée sous le contrôle d’un recteur. Elle ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel, pouvoir qui était alors partagé entre trois acteurs centraux : le ministère, les facultés et la profession académique.

La réforme instaurée en novembre 1968, liée de près aux évènements de mai de la même année, apporte les premiers changements règlementaires. Le contexte correspond à une importante croissance des effectifs de l’enseignement supérieur, résultant des prémices d’une politique volontariste dite de « massification » impulsée par le Général De Gaulle. L’objectif initial était alors d’élever le niveau de formation en ouvrant l’enseignement secondaire aux enfants de tous les milieux, et ainsi ceux de l’enseignement supérieur régulés par une sélection à l’entrée de l’Université (la sélection à l’entrée des universités sera une mesure fortement critiquée dans le cadre du mouvement de constations de 1968, et finalement abandonnée). La réforme met en œuvre trois grands principes : l’autonomie (administrative, pédagogique et financière), gage d’une efficacité de fonctionnement et d’un décloisonnement disciplinaire ; la participation (élus, représentants du personnel, du corps enseignant et des étudiants, relations économiques et sociales sur le plan local, régional, national ou international, etc.) et la pluridisciplinarité des universités (nouvelles disciplines, nouveaux diplômes). Elle dote les établissements universitaires d’un nouveau statut, d’une personnalité civile en celle d’Etablissement Public à Caractère Scientifique et Culturel (EPCSC) et remplace les facultés par des Unités d’Enseignement et de Recherche (UER). Universités, grandes écoles et instituts extérieurs aux universités, sont à compter de cette date « des établissements publics à caractère scientifique et culturel, jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Elles regroupent organiquement des unités d’enseignement et de recherche pouvant éventuellement recevoir le statut d’établissement public à caractère scientifique et culturel et des services communs à ces unités ». (Art3, loi n°68-978). « Les établissements publics à caractère scientifique et culturel et les unités d’enseignement et de recherche groupées dans ces établissements déterminent leurs activités d’enseignement, leurs programmes de recherches, leurs méthodes pédagogiques, les procédés de contrôle et de vérification des connaissances et des aptitudes sous réserve des dispositions de la loi, des statuts des personnels appelés aux fonctions d’enseignement et de recherche et des règlements établis après consultation du conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ». (Art 19).

Le nouveau mode d'administration adopté par la loi Faure, qui veut faire prévaloir les principes d'autonomie et de participation entraîne par ailleurs une séparation entre les fonctions du recteur et celles du président de l'université.

L’Université dispose donc juridiquement, dès la fin des années soixante, d’une « relative »260 autonomie de décision sur la répartition des crédits et la configuration de son « offre de formation interne ». Par ailleurs, le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche261 (CNESER) est institué à un niveau national, sous la présidence du ministre de l’Education Nationale. Il est constitué des représentants élus des universités, des représentants élus des établissements d’enseignement supérieur et de recherche extérieurs aux universités et des personnalités représentant les grands intérêts nationaux. Son rôle est d’établir et d’assurer la mise en place de la politique éducative définie par le ministère de l’Education nationale262. Par ce dispositif, l’activité des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPCSCP), bien que jouissant d’une reconnaissance institutionnelle, reste fortement encadrée par l’autorité centrale, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Si, dans le texte, la loi Faure annonce la naissance politique des universités par leur autonomisation sur des registres divers, pour Christine Musselin, les conséquences de cette loi restent limitées. « Alors que cette loi voulait, du jour au lendemain donner aux nouvelles universités les moyens institutionnels de devenir des établissements plus autonomes, capables de développer des projets collectifs, les processus d’apprentissage organisationnel au sein des nouvelles universités furent extrêmement lents et leurs modes

260 Si nous employons ici la notion d’autonomie, celle-ci reste tout à fait relative dans la mesure où le poste budgétaire la dotation global allouée par l’Etat aux universités est le principal poste budgétaire des établissements. Par conséquent, l’Université est fortement dépendante du pouvoir central.

261 Le CNESER est un organe consultatifassurant la représentation, au niveau national des étudiants, des personnels et usagers des universités, ainsi que des grands intérêts nationaux et locaux. Le Ministre de l’Education a obligation de le consulter sur tout projet de loi ou de réglementation (décrets et arrêtés) relatifs à l’enseignement supérieur.

262 Le CNESER : « 1. prépare la planification de l’enseignement supérieur et de la recherche en liaison avec les organismes des plans périodiques nationaux, compte tenu de ceux-ci et en vue d’une prospective à plus long terme ; 2. Est saisi pour avis des programmes et des demandes de crédits des universités et des autres établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’éducation nationale ; est obligatoirement consulté sur la répartition des dotations budgétaires entre les différents établissements ; 3. Donne son avis au ministre de l'Education nationale sur les oppositions formées par les recteurs, conformément à l'article 10 ci-après, aux délibérations des conseils des établissements; 4. Fait toutes propositions et donne tous avis sur les mesures relatives à l'harmonisation des statuts des différents établissements publics à caractère scientifique et culturel et assume une mission générale de coordination entre les universités et les autres établissements; 5. Fait toutes propositions et donne tous avis sur les mesures relatives aux conditions d'obtention des diplômes nationaux relevant du ministre de l'Education nationale et à l'établissement de règles communes pour la poursuite des études ».

de gouvernement restèrent faibles »263. Sans sous-estimer les changements d'ampleur d’ordre juridique, dans la pratique du fonctionnement des universités, plusieurs analyses montrent que les principes de fonctionnement prévalant dans le modèle d’organisation des Facultés perdurent après l’instauration de la loi Faure. « Le monde universitaire est toujours largement dominé par deux acteurs : d'une part les corporations disciplinaires qui régulent le fonctionnement académique (malgré la prédominance perdue des facultés), d'autre part l'administration centrale de l'Etat, qui garde de droit ou de fait l'essentiel des outils de décision sur la politique de l'enseignement supérieur, souvent en coopération étroite avec les corporations disciplinaires »264. « La structure centrale du système français jusqu’en 1968 était les facultés. La loi Faure de 1968 a certes donné naissance à des universités, mais leurs capacités organisationnelle et institutionnelle sont restées faibles »265.

Du point de vue des orientations liées à la nature et aux modalités de production des enseignements, la loi Edgar Faure insistera sur « la formation professionnelle » à l’université et l’inscription des formations universitaires dans le « tissu économique local ». Les universités « doivent répondre aux besoins de la nation en lui fournissant des cadres dans tous les domaines et en participant au développement social et économique de chaque région ». (Art 1, loi n°68-978). Incitation politique qui révèle, dès 1968, une première intention visant à réorienter davantage l’enseignement universitaire sur des segments professionnels et sur une articulation Formation-Emploi structurée localement. La loi Savary sur l’enseignement supérieur en 1984, confirmera l’orientation proposée une quinzaine d’années plus tôt, en donnant le statut d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) aux établissements supérieurs. La loi se fixe pour objectif de regrouper universités et grandes écoles dans un même texte et de favoriser une plus grande ouverture de ces établissements sur le monde extérieur. Par ailleurs, le gouvernement relie plus explicitement les missions de l’Université aux « politiques de l’emploi » et plus spécifiquement aux mesures en faveur de la formation et de l’emploi des jeunes.

263 Musselin C., 2001, Lalongue marche des universités françaises, PUF.

264 Rey O., 2005, « L'enseignement supérieur sous le regard des chercheurs », Institut national de recherche pédagogique, Cellule de veille scientifique et technologique, Lyon.

265 Mignot-Gérard S. et Musselin C., 2001, « L’offre de formation universitaire : à la recherche de nouvelles régulations », Education et Société, n°8.

Ce bref retour historique met en exergue le caractère extrêmement centralisateur de l’Etat et la construction d’un cadre institutionnel et organisationnel favorisant une perspective verticale (top/down) de la régulation des systèmes universitaires. Ce constat trouve écho chez un certain nombre d’auteurs, dont Christine Musselin, pour qui « ni la loi Faure, ni la loi Savary, ni le projet Devaquet ne s'attaquèrent à la double centralisation étatique et corporatiste, ou à l'existence d'un système national uniformisé. Pas plus que la loi de 1968, elles ne rompaient définitivement avec le modèle napoléonien »266.

2. Le contexte de la décentralisation des politiques publiques et la

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