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La contractualisation et l’autonomisation des établissements universitaires : intentions et réalités

GOUVERNANCE DE LA FORMATION ?

I. Mutation progressive de l’ordonnancement institutionnel et organisationnel du modèle de régulation des universités : des

2.2 La contractualisation et l’autonomisation des établissements universitaires : intentions et réalités

Ces premières lois de déconcentration appliquées aux collectivités territoriales seront suivies par la mise en œuvre d’une politique de contractualisation entre l’Etat et les universités.

L’histoire récente des établissements universitaires est en effet marquée par la mise en place progressive, au cours des années quatre-vingt, puis quatre-vingt-dix, d’outils et de procédures contractuels entre établissements universitaires, Etat et Région. Selon Christine Musselin273, l’instauration de ce nouveau cadre procédural a constitué un tournant capital correspondant à un remaniement progressif des modes d’intervention de l’administration centrale et de ses liens avec les universités.

La période voit l’apparition de « contrats quadriennaux », conclus entre l’administration centrale et les universités, par la loi sur l’enseignement supérieur de 1984. La démarche, qui s’inscrit dans la durée, se présente du point de vue du discours politico-institutionnel comme devant d’abord répondre à l’instauration de relations nouvelles entre l’État et les établissements en développant un cadre propice à l’autonomisation de la gestion des établissements et à leur responsabilisation autour d’un projet stratégique pluriannuel (ou la construction d’une politique d’établissement). Le dispositif repose sur un mode de pilotage qui accorderait une plus grande liberté d’action aux établissements. Leur développement devra dorénavant prendre appui sur un projet (une ligne politique et stratégique) qui définit pour 4 ans leurs objectifs et leurs priorités inscrits dans une politique globale cohérente des grandes orientations fixées par la tutelle. Cet accord passé entre l'Etat et les établissements a pour visée officielle de disposer d'une visibilité à moyen terme et d'orienter les décisions annuelles de l'administration (habilitations des formations, allocations des moyens, gestion des ressources humaines etc.). La contractualisation souhaite d’une part, inscrire le développement de l’établissement dans un projet global (politique d’établissement) qui permettrait la construction d’une offre de formation cohérente, évitant la simple juxtaposition de projets de formation émanant des différentes UFR ; et d’autre part, l’élaboration d’un projet d’établissement adapté aux contextes locaux. En cela, le dispositif intègre plus directement les universités dans

273 Musselin C., 2001, La longue marche des universités françaises, Sciences sociales et sociétés, Paris, PUF.

le cadre du processus de décentralisation de la gestion des affaires publiques, en structurant des partenariats entre les établissements et les acteurs à l’échelle locale (collectivités territoriales et institutions professionnelles et entreprises).

C’est la loi du 26 janvier 1984 qui introduit pour la première fois la procédure contractuelle entre l’Etat et les universités, applicable au seul domaine de la recherche. Les contrats de recherche conclus entre l’Etat et chaque université fixent les axes de développement sur une période de quatre ans. L’année 1985274 voit également la création du Comité National d’Evaluation (CNE), qui en tant qu’autorité administrative indépendante, a la charge d’examiner et d’évaluer l’ensemble des activités des établissements supérieurs : universités, écoles et grands établissements relevant de la tutelle du ministre chargé de l'enseignement supérieur. Il vient, au côté de l’Inspection Générale de l’Administration de l’Education Nationale275 (IGAENR), structurer le corps institutionnel d’évaluation et de contrôle des universités. L’organisme occupe donc, dans l’ordonnancement institutionnel et organisationnel en voie d’élaboration, un rôle important, puisqu’il est censé orienter, sur la base d’une expertise externe, les choix du ministère. Il « examine et évalue de manière régulière les activités exercées par l’ensemble de ces établissements, et par chacun d’entre eux, dans le domaine correspondant aux missions du service public de l’enseignement supérieur. Dans le cadre de cette mission, son analyse porte sur l’ensemble des actions et des moyens mis en œuvre par les établissements dans le cadre de leur politique scientifique et pédagogique. Le comité formule une appréciation sur les résultats des contrats pluriannuels conclus avec le ministère de l’éducation nationale ». Toutefois, cette expertise, qui se veut indépendante des établissements à évaluer, réalisée par un groupe d’experts choisis parmi la communauté scientifique et des enseignants-chercheurs (donc non totalement extérieurs aux enjeux relatifs au découpage disciplinaire), ne produit pas véritablement les effets escomptés. Christine Musselin dans « La longue marche des universités françaises »276 soulève la faible influence des rapports d’expertise du CNE sur l’administration centrale des établissements. La raison tient essentiellement au fait

274 Décret n° 85-258 du 21 février 1985, Comité National d’évaluation des EPCSCP.

275 L’IGAENR, créé par décret du 14 avril 1965, est un corps de contrôle, d’évaluation et de conseil qui est directement rattaché au Ministre de l’Education nationale. Elle apprécie l’efficacité du système éducatif. Elle intervient dans le cadre d’un programme de travail annuel fixé par une lettre de mission ministérielle.

276 Musselin C., 2001, La longue marche des universités françaises, Sciences sociales et sociétés, Paris, PUF.

que l’évaluation n’a pas d’autre statut que celui de l’appréciation de la politique scientifique et pédagogique des établissements et ne peut par conséquent être utilisée par le ministère dans le cadre de la définition des ressources allouées aux établissements. Ce constat a également été fait par Pierre Dubois277, dans le cadre d’une enquête portant sur les processus d’évaluation et d’habilitation des formations professionnelles278. Pour l’auteur, « depuis la seconde moitié des années 80, le Comité national d'évaluation (CNE) évalue les universités (il a évalué à deux reprises l'université de Reims et une fois l'université de Marne-la-Vallée), et partiellement les IUT de ces universités, mais la mise en œuvre des recommandations qui figurent dans ses rapports d'évaluation n'est pas obligatoire, ne fait pas l'objet d'un suivi formalisé et n'a aucune incidence directe sur les ressources dont bénéficient les universités ».

La circulaire du 24 mars 1989279, annoncée aux universités par le Ministre Lionel Jospin en 1988, étend le champ des contrats entre l’Etat et les établissements à toute l’activité des universités (offre de formation, vie étudiante, relations internationales, gestion, etc.), tout en se généralisant à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur (universités, écoles d’ingénieurs, grands établissements et IUFM). C’est la Direction de la Programmation et du Développement des Universités (DPDU) qui est chargée d’impulser la politique de contractualisation avec les établissements. « Les activités de formation, de recherche et de documentation - des EPSCP- peuvent faire l'objet de contrats d'établissement pluriannuels dans le cadre de la carte des formations supérieures définie à l'article L. 614-3. Ces contrats fixent certaines obligations des établissements et prévoient les moyens et emplois correspondants pouvant être mis à leur disposition par l'Etat. L'attribution de ces moyens s'effectue annuellement dans les limites prévues par la loi de finances. Les établissements rendent compte périodiquement de l'exécution de leurs

277 Dubois P., 2004, « Evaluer la qualité de la relation formation-emploi : le cas des DUT et des licences professionnelles », Education et formations, n°67, mars.

278 L’article de Pierre Dubois fait état des résultats pour la France d’une étude menée à l’échelle européenne : « le programme Leonardo da Vinci (2000-2003) » réalisé dans cinq pays (Allemagne, Espagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni) qui analyse l’histoire des diplômes professionnels dans l'enseignement supérieur, fait un état des lieux de l'assurance qualité et de l'évaluation des diplômes.

« L'étude française a analysé toutes les procédures d'évaluation des DUT et des licences professionnelles au niveau national et dans deux universités : l'université de Reims Champagne-Ardennes (dix-sept DUT, onze licences professionnelles) et l'université de Marne-la-Vallée (cinq DUT, onze licences professionnelles). Quarante-quatre interviews ont été réalisées au niveau national et local. De nombreux documents ont été pris en compte (brochures de présentation des diplômes, rapports d'évaluation, donnée statistiques sur les inscriptions et le devenir professionnel, etc.) ».

engagements ; leurs rapports sont soumis au comité national d'évaluation prévu à l'article L. 242-1 »280.

Jusqu’à la fin de l’année 1994, la politique contractuelle reposait donc sur l’élaboration de deux contrats. La circulaire du 7 septembre 1994281 institue un contrat unique intitulé « contrat quadriennal ». Celui-ci planifie, sur une période de quatre ans, les grandes orientations de l’établissement dans ses différents domaines d’activité, dont notamment les domaines relatifs à la mise en œuvre et au financement de l’offre globale de diplômes. La circulaire du 22 mai 1998, institue la Direction de l’Enseignement Supérieur au cœur du dispositif de contractualisation et réaffirme le principe d’évaluation des résultats et de contrôle de l’activité des universités. Elle refonde la politique contractuelle qui s’est altérée au fil du temps et instaure un nouveau type de négociation que la DES coordonne désormais. Le contrat quadriennal intègre par conséquent l'habilitation des établissements à délivrer les diplômes nationaux ; la reconnaissance des équipes de recherche et des écoles doctorales ; la politique de développement des nouvelles technologies d'enseignement et de la formation continue et la programmation des moyens. Le projet d’établissement apparaît sur bien des aspects comme plan prospectif et stratégique de développement des universités. Ainsi, après avoir effectué un bilan de sa situation dans les conditions de développement et le contexte qui est le sien, chaque établissement est censé élaborer une ‟stratégie de développement” cohérente avec les orientations ministérielles, affirmer ses priorités et définir ses objectifs à atteindre pour les 4 ans à venir. Selon François-Xavier Fort, le projet d’établissement doit être « le fondement sur lequel doit reposer la politique contractuelle. En préalable à la préparation du contrat, l’université doit élaborer un projet qui définit les grandes orientations qu’elle envisage pour son développement dans les années à venir, et qui sert de base à la négociation du contrat avec le ministère. Le projet d’établissement conduit l’université à définir son projet de développement. Il s’appuie sur un état des lieux exhaustif, une projection à quatre ans et une définition de stratégie et de plans d’action »282.

Par ce train récent de réformes, l’Etat a eu pour intention de modifier son mode de pilotage, tout en conservant la responsabilité première, et l’entière détermination, des

280 Article 20 repris dans le Code de l’Education (article L.711-1)

281 Circulaire du 7 septembre 1994 qui instaure le contrat le contrat quadriennal de développement des universités.

282 Fort FX., 2003, « La contractualisation, facteur de renforcement de l’autonomie des universités », Sciences de la Société, Les universités à l’heure de la gouvernance, n°58.

axes de développement fixant l’orientation des ‟politiques d’établissement”, notamment dans les domaines de la recherche et de la formation283. Il s’agit de favoriser la reconnaissance des établissements universitaires en tant qu’espace de décision relativement autonome, et à même de développer une stratégie de développement de l’offre de formation, réfléchie, cohérente et efficace. Par ailleurs, la démarche vise à valoriser et inciter les établissements à l’instauration de « partenariats », à court ou moyen terme, entre acteurs locaux (communauté universitaire, collectivités locales, et entreprises). Le contrat entre Etat et Université repose sur la définition par les établissements d’objectifs, cohérents des orientations ministérielles et des particularités régionales. En fonction de ces objectifs, des moyens sont mis à la disposition des établissements. Ces derniers voient, certes, leurs responsabilités pédagogiques et financières croître, mais dans un cadre contrôlé par l’administration centrale, qui conserve ses responsabilités financières et de mise en application d'objectifs nationaux. Les réformes engagées, sans attenter au pouvoir de régulation du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, semblent vouloir structurer une nouvelle dynamique de développement passant par une plus grande mobilisation de l’ensemble des acteurs infranationaux.

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