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La contractualisation : naissance de l’établissement et nouvelle régulation de l’offre de formation ?

GOUVERNANCE DE LA FORMATION ?

I. Mutation progressive de l’ordonnancement institutionnel et organisationnel du modèle de régulation des universités : des

2.3. Des intentions de réformes à la réalité

2.3.2. La contractualisation : naissance de l’établissement et nouvelle régulation de l’offre de formation ?

Frédéric Kletz et Frédérique Pallez288 ont mené en 2001 une recherche commanditée par l’Agence de Modernisation des Universités et des Etablissements (AMUE) dont l’objet était de comprendre les mécanismes de constitution de l’offre de formation des établissements universitaires, tout au long du processus allant de l’émergence du projet dans l’université jusqu’à l’ouverture du diplôme, en passant par les procédures d’habilitation par le ministère. Il s’agissait d’interroger l’existence d’une hypothétique évolution du système de régulation de l’offre de formation, notamment en interrogeant à l’instar des travaux de Christine Musselin, les interrelations entre l’Etat, l’établissement universitaire et ses composantes internes. « La question sous-jacente consistait à se demander si l’on pouvait lire à travers ce processus la constitution d’une stratégie en matière d’offre de formation, stratégie qui pourrait être reliée à la montée en puissance de l’établissement universitaire en tant qu’acteur à part entière »289.

Les conclusions finales du rapport qui portent sur deux enquêtes monographiques conduites au sein de deux établissements de la vague de contractualisation de 2001 sont intéressantes. L’étude permet de mesurer les effets de la politique quadriennal qui, pour

288 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

les législateurs, avait pour ambition d’accroître la lisibilité, la cohérence et l’efficacité de l’offre de formation en faisant de l’établissement stratège un acteur décisif au sein du mécanisme de régulation. En cela, c’est également le poids des logiques disciplinaires qu’il s’agit d’amoindrir au profit d’une politique d’ensemble devant davantage répondre à la demande de formation (des étudiants et des professionnels à une échelle géographique plus ou moins élargie). Pour les auteurs, l’analyse de mécanismes de constitution de l’offre de formation prend donc un sens renouvelé compte tenu du contexte nouveau dans lequel s’inscrivent les universités :

« poursuite de la démarche d’autonomisation et de contractualisation avec la tutelle » ;

« décloisonnement interne à travers une logique de projet d’établissement, qui essaie de dépasser les frontières traditionnelles d’UFR » ;

« stagnation, voire baisse des effectifs, après une période de croissance continue » ;

« nouvelle donne régionale et internationale, avec l’entrée dans un contexte plus concurrentiel et l’insertion plus étroite dans le tissu institutionnel local (nouvelles relations avec les collectivités territoriales) ».

Pour Frédéric Kletz et Frédérique Pallez, « Ces divers facteurs devraient conduire chaque établissement à définir une stratégie propre, en cohérence avec cette nouvelle situation, notamment en termes d’offre de formation »290.

Les résultats de l’étude sont loin de révéler la naissance de l’établissement stratège et d’une offre de formation construite sur des bases solides du point de vue de leurs finalités. Dans la première partie de leur rapport, les auteurs exposent leurs conclusions de l’analyse des procédures intra-établissement au principe de la construction de l’offre de formation. Celle-ci s’inscrit dans « une spirale inflationniste »291 qui se caractérise par l’élaboration d’un nombre considérable de projets d’habilitation et le maintien de l’offre des diplômes en place. Les raisons de cette « spirale inflationniste » tiennent principalement en quatre points : (a) une « procédure bottum-up », (b) « les logiques des

290 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

291 Un élément important expliquant cette « spirale inflationniste » tient au fait que l’attribution de moyens supplémentaires dépend quasi exclusivement de la création de nouvelles filières de formation.

enseignants et le poids de la recherche », (c) « un tri limité par les instances universitaires » et (d) « l’absence de remise à plat de l’offre de formation existante ». (a). Pour les auteurs, ce constat s’explique d’abord par la nature même de la procédure d’habilitation. « La création de l’offre repose, avant tout, sur les propositions venant de la base – les enseignants-chercheurs – à partir d’une procédure interne qui appelle la remontée de nouveaux projets. Cette procédure, qui peut être qualifiée de ‟bottom-up”, prend en effet la forme d’un véritable appel à projets auprès des enseignants, qui ont toute latitude pour proposer la création de diplômes, de tout type : l’appel à projets est véritablement très large et tout projet, quelles que soient sa discipline et son orientation, est considéré comme recevable. Certes, il existe des directives émanant de l’établissement, concernant une éventuelle orientation thématique ou disciplinaire, mais elles sont réduites et font écho aux grands mots d’ordre nationaux »292.

(b). Au sein des établissements, les logiques individuelles et les enjeux relatifs à la reconnaissance des corporations et champs disciplinaires apparaissent comme des éléments moteurs et déterminants de l’élaboration des projets d’habilitation. L’enquête montre qu’« à chaque diplôme est associé le nom d’un enseignant, son responsable. Par ricochet, c’est la discipline (ou sous-discipline liée au diplôme, qui sera associée à l’image de l’enseignant, qui est donc incité à faire apparaître son nom à côté de celui d’un diplôme, et, par là-même, à délimiter les frontières de sa responsabilité et de ses compétences, à trouver une place dans la carte des diplômes (…). L’obligation statutaire de remplir son service d’enseignement sera ainsi assuré au profit de ce même but d’identification du domaine de compétences d’un individu, quitte à ce que l’enseignant concerné abandonne d’autres cours pour se consacrer à l’enseignement qu’il a créé »293. La constitution de l’offre de formation implique des questionnements liés à la recherche et au poids respectif des différents laboratoires de recherche dans leur quête de reconnaissance institutionnelle et repositionnement en interne. La création d’un diplôme dans un champ de connaissances spécifiques permet d’asseoir l’activité de recherche, la visibilité du laboratoire s’y rattachant et la carrière des enseignants-chercheurs qui le constituent.

292 Kletz F. et Pallez F., 2002, « La construction de la carte des formations dans les universités : à la recherche d’une stratégie d’établissement », Gérer et Comprendre, n°67, mars.

293 Kletz F. et Pallez F., 2001, « L’offre de formation des universités : création de diplômes et stratégies d’établissement », Rapport Final, CGS AMUE, Paris, juin.

(c). La masse relativement importante de projets d’habilitation n’est qu’assez rarement contrecarrée par l’exercice d’un tri réfléchi et d’un arbitrage objectif de la part des instances universitaires (CEVU, CA). « Les instances de direction des établissements n’interviennent que marginalement dans la procédure, y compris pour le tri des projets qui remontent vers elles. Certes, il existe des instances ou des commissions d’expertise des projets, mais elles ne jouent pas le rôle de filtre et de sélection mobilisant des grandes directives stratégiques »294. Le CEVU et le CA, dans le cadre de la procédure d’expertise interne des dossiers, interviennent majoritairement sur des questions de forme et très rarement sur le fond : « telle rubrique, pas ou mal remplie, telle formulation à revoir, telle donnée ou orientation à mieux mettre en valeur, etc. En revanche, les observations sur le fond sont en faible nombre. Au total, cette procédure aboutit à un tri limité des demandes : après quelques allers-retours, au prix parfois de longues négociations et multiples corrections, le diplôme reçoit un avis favorable. Les instances centrales universitaires ne jouent donc pas le rôle de filtre que semble pourtant requérir le nombre élevé de demandes »295. Si le rôle des instances universitaires se caractérise par un certain ‘laisser-faire’, les raisons de ce non-interventionnisme sont multiples (notamment une volonté d’éviter les conflits ‟disciplinaires” et ‟facultaires”) : ce constat dénote surtout l’absence d’une stratégie d’établissement et d’une orientation claire et construite, à même d’intervenir efficacement sur la structure globale de l’offre de formation.

(d). Enfin, l’offre de formation globale ne fait pas l’objet d’une remise à plat permettant de révéler les incohérences (des diplômes faisant doublons, des formations inadaptées à la demande des étudiants ou des professionnels, etc.). Or, la mise en œuvre d’une régulation efficace de l’offre de formation demanderait un examen attentif de la carte des diplômes existants, ce qui n’est pas le cas.

Si l’analyse menée fait un état des lieux assez mitigé des effets de la politique de contractualisation sur les mécanismes et déterminants de la construction de l’offre de formation, les auteurs voient néanmoins dans ce nouveau procédé une base pertinente à l’avènement de nouveaux modes de régulation et de principes de fonctionnement s’extirpant des corporatismes disciplinaires et facultaires. « La coïncidence temporelle de la préparation du contrat quadriennal et des procédures d’habilitation, avec notamment la

294 Kletz F. et Pallez F., 2002, « La construction de la carte des formations dans les universités : à la recherche d’une stratégie d’établissement », Gérer et Comprendre, n°67, mars.

rédaction d’un projet d’établissement, censé faire apparaître les priorités de l’établissement et ses grandes orientations stratégiques, semble marquer la volonté d’harmoniser les deux processus et de cadrer l’évolution de l’offre de formation dans une politique explicite »296.

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