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Jusqu’au milieu des années soixante-dix : dominance d’une conception restreinte et mécanique de l’adéquation Formation-Emploi

UNIVERSITAIRES ET RAPPROCHEMENT UNIVERSITE- UNIVERSITE-ENTREPRISE

I. Approche historique du mouvement de professionnalisation des études universitaires : les facteurs d’évolution des

2. Des facteurs d’ordres économique et politique ayant eu un impact sur le développement et l’évolution de la professionnalisation des études

2.1. Jusqu’au milieu des années soixante-dix : dominance d’une conception restreinte et mécanique de l’adéquation Formation-Emploi

Si de longue date, les missions de l’université sont à la fois de recherche, d’élaboration et de transmission des connaissances, mais également de préparation à l’exercice de certaines professions79, les premiers cursus technologiques et professionnels courts apparaissent à la fin des années soixante. Ces nouveaux diplômes et cursus ont vu le jour

78 Maillard F., 2008, « La professionnalisation des diplômes : des définitions plurielles, une reconnaissance inégale », actes du colloque, Ce que l’école fait aux individus, CENS et CREN, Octobre.

79 Lessard C. et Bourdoncle R ., 2002, « Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? Conceptions de l’université et formation professionnelle », Note de synthèse, Revue française de pédagogie, n°139

sous l’effet de divers facteurs, dont la hausse progressive des effectifs entrant à l’université. J’ai montré précédemment que le principal élément qui caractérise le système éducatif français à partir du début des années soixante est très certainement l’augmentation du nombre d’étudiants inscrits à l’université (214 700 en 1960 contre 661 200 en 1970 et 811 700 en 1980). Cette hausse fut d’une certaine manière la conséquence de la politique du IVème Plan (1962-1965) qui avait comme but la démocratisation des études supérieures. Pour José Rose, cet élément a entraîné l’émergence d’une première vague de professionnalisation des études, sur la base d’une conception restrictive : la professionnalisation définissant alors une spécialisation des études sur des segments d’activités étroits. Pour l’auteur, « le problème s’est posé autrement à partir du moment où un nombre croissant de jeunes accédait à l’université et où se manifestait avec plus de netteté la diversité de leurs perspectives professionnelles. D’une certaine façon, c’est à partir de là que la professionnalisation dans l’enseignement supérieur est devenue un problème. Et curieusement, on a commencé à séparer enseignement général et professionnel, allant jusqu’à oublier que les dites formations générales préparaient aux métiers de l’enseignement. C’est donc bien à une conception singulière et finalement restrictive de la professionnalisation que l’on se référait alors »80. Un élément déterminant de la nature des premiers cursus professionnalisés (dont l’une des caractéristiques principales tient à l’articulation des contenus des études à des débouchés professionnels très ciblés) renvoie au contexte économique des années soixante - soixante-dix et à une importante pénurie de main d’œuvre qualifiée correspondant aux emplois de cadre moyen et professions intermédiaires en plein essor. L’Etat a fortement incité à la création d’une offre de formation supérieure en réponse à la forte demande de main d’œuvre qualifiée qui apparait dans un contexte de croissance économique que caractérise la période de l’après-guerre. Pour Dominique Maillard, Patrick Veneau et Collette Grandgérard, « La Planification avec l’idéologie d’une adéquation possible entre appareil éducatif et système productif constitue de ce point de vue l’amorce de ce processus (de professionnalisation des études). Ainsi la création des Instituts Universitaires de Technologie (IUT) en 1966 puis des écoles nationales supérieures d’ingénieurs (ENSI) en 1970 ont-elle pour toile de fond les travaux des IVème et Vème Plans qui soulignent le déficit durable de techniciens et d’ingénieurs. De

80 Rose J., 2003, « La professionnalisation des études universitaires », Note pour la réunion du 11juin 2003du HCEEE.

manière plus générale, l’insuffisance de diplômés occupant des positions d’encadrement dans un contexte de fort développement de la catégorie des cadres favorisera la création d’autres diplômes universitaires à finalité professionnelle tels que les Maîtres de Sciences et Techniques (MST, 1971) et surtout les Diplômes d’Enseignement supérieurs spécialisés (DESS, 1974) » 81.

Les premiers cursus qui ont vu le jour durant cette période s’inscrivent assez largement dans une démarche adéquationniste, à l’instar des Brevets de Technicien supérieur (BTS), dont les contenus de la formation sont construits sur la base de référentiels d’activités professionnelles et d’emplois-types. La création en 1966 des Instituts Universitaires de Technologie (IUT) s’inspire de cette idée d’une possible articulation étroite entre formation et emploi82. La classe politique, en congruence des revendications du monde professionnel, pose à cette époque la question de la formation des cadres intermédiaires dont l’industrie et l’économie de l’époque avaient le plus besoin. Il existait certes dans certains lycées techniques des classes préparant au Brevet de Technicien Supérieur, mais il était précisément question de donner à ce type de formation une évolution d’une telle ampleur qu’elle ne pouvait s’accomplir que dans le cadre des enseignements supérieurs. Les IUT s’affirment dès lors comme une réponse aux exigences du développement économique et social en dispensant des formations technologiques et professionnelles courtes et ciblées (DUT, Diplôme Universitaire de Technologie) correspondant aux emplois de cadre « moyen » en progression dans un certain nombre de secteurs d’activité83. Leur objectif est la production rapide d’une main d’œuvre de cadre intermédiaire directement opérationnelle dès la sortie du système de formation. Il s’agit de préparer les jeunes diplômés à être rapidement opérationnels dans un emploi et un secteur d’activité déterminé. La définition du contenu des diplômes est le fruit d’un partenariat. Les DUT sont la résultante d’un accord au niveau national entre les partenaires sociaux qui participent au sein des CPN à l’élaboration des programmes pédagogiques nationaux. Le diplôme est élaboré dans un souci d’opérationnalité immédiate : les jeunes doivent disposer du « capital humain » nécessaire pour occuper

81 Maillard D., Veneau P. et Grandgérard C., 2004, « Les licences professionnelles. Quelle acception de la professionnalisation à l’Université ? », Relief 5, Céreq.

82 La réforme Fouchet de 1964 marque l’origine des instituts universitaires de technologie.

83 La filière IUT permet également de préparer, après le DUT, un diplôme national de technologie spécialisée (DNTS) qui sanctionne une année de spécialisation dans un secteur industriel ou tertiaire particulier.

rapidement l’emploi ciblé par la formation. L’objectif est alors de minimiser les coûts et les temps de formation spécifique pour occuper cet emploi.

Dans ce même objectif de spécialisation poussée des études, et d’opérationnalité immédiate des diplômés, les Ecoles Nationales Supérieures d’Ingénieurs (ENSI) ont été créées en 1970, suivies des Diplômes d’Enseignement supérieurs spécialisés (DESS) en 1970. Des écoles d’ingénieurs et des formations préparant aux métiers de l’enseignement, des formations et diplômes préparant aux métiers de la fonction publique (de l’ENA, aux IRA en passant par toutes les écoles spécialisées des divers ministères) ou des métiers du secteur sanitaire et social (IRTS), toutes, peu ou prou, relèvent d’une conception adéquationniste tissant de manière mécanique les rapports entre contenu de la formation et caractéristiques des débouchés ciblés des études.

Pour Jean-François Giret et Stéphanie Moullet, l’exemple des IUT exprime bien la logique sous-jacente à cette conception restreinte de la professionnalisation. Pour les auteurs, la création des IUT en 1966 répondait à la nécessité pour les employeurs, en accord avec les pouvoirs publics, de produire une catégorie professionnelle intermédiaire entre ouvriers qualifiés et ingénieurs, les techniciens supérieurs. Ainsi, « la décision politique d’augmenter à marche forcée le niveau de formation des jeunes est largement rentrée en phase avec les évolutions des structures d’emplois : de 8,3 % et 18,6 % en 1982, les proportions de cadres et professions intermédiaires, c'est-à-dire les emplois en principe destinés aux diplômés de l’enseignement supérieur, sont passées à 12,2 % et 20,3 % dix ans plus tard »84.

L’objectif d’un ajustement entre formation et emploi s’opère donc au moyen d’un mode de régulation centralisé à l’échelle nationale, sous l’égide des travaux du commissariat général au Plan. « C’est tout le système scolaire qui sera sollicité par l’impératif du développement industriel et qui commencera à se transformer beaucoup plus directement en fonction des nécessités économiques explicitées et systématisées par le Plan. C’est l’époque où de nouveaux outils statistiques de prévision permettent d’établir par avance les distributions d’élèves dans les différents types de classes, y compris dans les filières de relégation, en fonction des prévisions économiques. Cette période considérée par certains comme l’âge d’or de l’enseignement technique et professionnel est celle de la normalisation, de la standardisation des emplois et des qualifications, et de leur mise en

84 Verdier E., 1997, « En France les diplômés de l’enseignement supérieur rentrent dans le rang ? », CEDEFOP n°10, Formation professionnelle, janvier-avril.

relation sous l’égide de l’Etat organisateur. Cette double mise en forme, professionnelle et scolaire, qui a commencé dès avant la guerre, s’est accélérée et généralisée durant la période de croissance fordiste. La hiérarchie dans le travail va de plus en plus correspondre à différents niveaux de formation certifiés par l’institution scolaire »85.

2.2. Planification nationale, régulation éducative et adéquationnisme : une

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