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Les apports des travaux de la sociologie des professions et de la sociologie du travail

UNIVERSITAIRES ET RAPPROCHEMENT UNIVERSITE- UNIVERSITE-ENTREPRISE

II. Enjeux et formes concrètes de la professionnalisation dans le champ de l’enseignement supérieur : éléments de définition

1. Professionnalisation et stratégie des acteurs économiques

1.1 Les apports des travaux de la sociologie des professions et de la sociologie du travail

Les travaux menés dans les domaines de la sociologie des professions et la sociologie du travail sont riches d’enseignements. Les approches fonctionnalistes et interactionnistes de la sociologie des professions, développées au début du vingtième siècle, ont en commun d’avoir donné une place importante à la question de la professionnalisation dans le cadre de leurs analyses. La professionnalisation y est initialement et assez largement présentée comme un enchaînement d’actions participant à la construction d’une « profession »141. Elle est, dès le milieu du vingtième siècle, au cœur des premières analyses des « professions établies » développées par Merton142, Flexner, Parsons, et surtout

141 Dans l’orientation structuro-fonctionnaliste anglo-saxonne de la sociologie des professions initiée par Parsons (1955), la profession se caractérise de manière « objective » par un ensemble d’attributs, valorisés dans les professions dites libérales (l’expertise, l’autonomie, la responsabilité du travailleur…); elle constituerait l’aboutissement naturel d’une évolution progressive du travail dans les différents métiers.

142 Merton RK., 1957, The student physican, Introductory sudies in the sociology of medical education, Cambridge, Harvard University Press.

Saunders et Wilson143. Bien que ces différents travaux s’inscrivent dans un cadre analytique particulier, dans la mesure où les réflexions se structurent autour de la notion de « profession » qui définit un type d’activité bien spécifique, les principes fondamentaux aux mécanismes sociaux explicités par les auteurs se trouvent être facilement transférables à un cadre d’analyse de la professionnalisation élargi aux activités professionnelles extérieures au champ particulier des professions libérales ou « établies »144. Le processus de professionnalisation y est alors défini de façon générale comme un mouvement structuré par les groupes professionnels en vue d’assurer la reconnaissance et l’autonomie de leur activité économique, ainsi que de contrôler les modalités d’accès à cette activité.

D’un champ de recherche principalement structuré autour d’une démarche analytique statique visant à distinguer les critères de définition des « professions » (Encadré 3), et par là même, apporter les éléments d’authentification et de légitimation des activités jouissant d’un statut dérogatoire au droit commun145, dans les années cinquante, les travaux d’Everett Hughes apportent un caractère dynamique aux premières réflexions sur la professionnalisation. L’analyse des professions fait place à l’analyse des processus de professionnalisation à proprement parler, c’est-à-dire au processus d’autonomisation d’un champ d’activité ou de travail, de promotion d’un groupe de praticiens et de légitimation d’une expertise spécifique. Le mouvement renvoie chez Everett Hughes à la reconnaissance, à l’identification et à la valorisation des espaces d’exercice de ces activités, ainsi qu’aux modalités d’intervention de ceux qui les exécutent. Ces travaux nous renseignent sur les dynamiques de structuration des activités économiques, des groupes professionnels à l’intérieur de la segmentation des activités économiques, ou sur la manière dont les acteurs d’une organisation professionnelle développent « des activités distinctes de celles des autres »146, et comment ils parviennent, par des processus externes

143 Carr-Saunders A. et Wilson PA., 1933, The professions, Londres/Oxford, Frank Cass et Co, LTD, Edition 1964.

144 Carr-Saunders et Wilson fondent leur approche de la professionnalisation sur une définition ‟ anglo-saxonne” de la profession, définie comme une activité de service organisée sous la forme d’une association professionnelle volontaire et reconnue légalement. Les auteurs se réfèrent aux critères de distinction des professions « établies » ou « réglementées » qui comme le droit et la médecine concernent des activités de service, réclamant une formation longue et spécialisée et nécessitant une autorisation d’exercer, délivrée sur la base du diplôme par des associations exerçant ainsi un monopole.

145 La profession se caractérise ici comme ne relevant pas du régime juridique théorisé par l’économie politique fixant les règles de la libre circulation des biens et des personnes.

et internes à l’entreprise, à en faire reconnaître la spécificité en les légitimant et en leur conférant un statut particulier.

Encadré 3 : La notion de profession

Les professions représentent des formes historiques d’organisation sociale, de catégorisation des activités de travail qui constituent des enjeux politiques et économiques évidents. En France, le terme est tantôt envisagé comme l’affirmation d’une identité professionnelle forte, jouissant d’une reconnaissance sociale, d’un statut valorisé, et de privilèges ; tantôt comme une spécialisation professionnelle ou une catégorie d’emploi relevant d’une classification professionnelle147. Les travaux anglo-saxons font quant à eux référence à une conception très restrictive de la profession. La profession y est définie comme une activité de service organisée sous la forme d’une association professionnelle volontaire et reconnue légalement. Les auteurs se réfèrent aux critères de distinction des professions « établies » ou « réglementées » qui comme le droit et la médecine concernent des activités de service, réclamant une formation longue et spécialisée et nécessitant une autorisation d’exercer, délivrée sur la base du diplôme par des associations exerçant ainsi un monopole. La profession, entendue comme telle, incarne donc une activité disposant d’un certain prestige socialement légitimé par le caractère intellectuel ou artistique de l’activité, par la position sociale de ceux qui l’exercent. Cette reconnaissance tient moins à la qualité intrinsèque de la professionnalité qu’à celle de la légitimation de son utilité sociale, mettant en œuvre des activités réputées nobles, supposant des compétences complexes, difficiles à acquérir, et justifiant par-là, l’existence d’une forme de monopole de l’exercice professionnel. L’approche anglo-saxonne définit la profession à partir du modèle des professions libérales, de ce fait elle accrédite leur prestige social et ne fait de la professionnalisation qu’un mouvement spécifique à certaines activités dont la finalité est l’accession à ce statut privilégié. Aussi, dans cette optique, il s’agit avant tout de définir les traits communs à toutes les professions, les caractéristiques de celles-ci, plus qu’à analyser leurs processus de structuration.

La professionnalisation repose selon ces auteurs sur un triple mouvement structuré autour de trois enjeux majeurs. Deux de ces enjeux interfèrent avec la question de la professionnalisation des formations et peuvent renseigner sur les raisons des prises de positions des acteurs économiques lors des processus de construction de diplômes.

Agir sur la nature du travail par la définition et la détermination des modalités d’acquisition d’une professionnalité : assurer la légitimité, la reconnaissance et la qualité de l’activité du groupe professionnel

Ce registre concerne un certain nombre de modifications afférentes à la nature de l’activité. Le processus concerne ici l’intervention des acteurs professionnels en faveur d’une identification précise de l’activité, passant par la spécialisation du groupe de praticiens sur un segment de travail déterminé. Cette spécialisation implique la définition, la lisibilité et la valorisation de compétences techniquement et scientifiquement reconnues, ou d’une professionnalité clairement identifiée. La « définition, la lisibilité et la valorisation d’une compétence » se fait dans l’espace productif par la définition par exemple de grilles de classifications ou l’élaboration de grilles de compétences caractéristiques d’une pratique, mais également dans l’espace de la formation par leur traduction en formation.

En 1973, dans son analyse des stratégies de développement des groupes d’activité, Jean-Michel Chapoulie aborde cet aspect en parlant de mouvement dans lequel se trouve inscrit tout corps de professionnels animés d’un désir de reconnaissance sociale. La professionnalisation « correspond au processus par lequel tout corps de métier tend à s’organiser sur le modèle des professions établies »148. La finalité de la professionnalisation est ainsi, pour un corps d’activité donné, d’accéder au statut d’activité reconnue, ou d’accroître la reconnaissance et le statut du groupe professionnel. L’auteur fait par ailleurs l’hypothèse que la construction d’un monopole, parce qu’il dépend des autorités légitimes et des classes dominantes, « exige des justifications qui tendent à emprunter des formes idéologiques propres à ces classes ». La légitimité d’un statut professionnel se fonde donc sur un savoir scientifique et non sur un savoir pratique. Catherine Paradeise développera également cet aspect de la professionnalisation défini comme : « un processus d’affirmation d’un métier dans un segment productif spécifique. Cela suppose du point de vue de la formation de jouer sur le niveau de rationalisation et la qualité affichée de la formation, ainsi qu’une concentration de celle-ci sur des registres proprement professionnels et circonscrits »149. La professionnalisation des études intervient donc sur le niveau de rationalisation et la qualité affichée de la formation. Elle interviendrait ainsi tout autant sur la construction effective d’une professionnalité spécifique, que sur l’amélioration de l’image sociale accordée à l’activité ciblée par la formation. Sur ce point, Raymond Bourdoncle dira que le sens assigné à la notion se

148 Paradeise C., 1988, « Les professions comme marchés du travail fermés », Sociologie et Sociétés, Vol. XX. n°2, pp 9-21.

149 Lang V., 1999, « La professionnalisation des enseignants », Education et Formation, Formation permanente et éducation des adultes, PUF.

rapporte moins à la pratique professionnelle qu’à un mouvement stratégique de positionnement d’un groupe professionnel dans la division sociale du travail, et donc à la revendication-négociation d’un statut social plus prestigieux pour l’ensemble du corps concerné. L’auteur, sans se démarquer totalement de l’idée d’un corporatisme désignant les « obsessions et les excès du combat pour la gloire professionnelle collective »150

reprend le terme américain de « professionnisme ». Le terme désigne « les stratégies collectives de transformation de l’activité en profession » ; « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses croyances sont ‟professés”, c’est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le premier sens du mot (profession de foi) et non acquis mystérieusement selon les voies non explicites de l’apprentissage imitatif. Un savoir et des croyances énoncées puis écrites, cela implique inéluctablement un processus de rationalisation. Dans ce processus, la fonction de transmission devenue distincte de l’acte et de la fonction de production s’autonomise, s’institutionnalise ».

Elaborer et contrôler les modalités d’apprentissage du métier par la construction d’une formation spécifique et la maîtrise de modalités d’accès au groupe professionnel

Ce registre est très certainement un enjeu central pour les professionnels du point de vue de la professionnalisation des formations. Il concerne la question de l’apprentissage du métier, des savoirs théoriques et pratiques utiles à l’exercice d’une activité, et les modes de certification et de reproduction de la profession. La professionnalisation des formations participe à forger les professionnalités, dont les caractéristiques sont préalablement définies dans le champ productif. Le processus concerne la production et reproduction des ‟professionnels compétents” et les modalités de leur recrutement. Cela implique une formation spécifique des individus (futurs praticiens ou praticiens non encore ‘experts’).

Par ailleurs, la formation intervient en aval comme outil assurant la reconnaissance collective de l’autorisation et du monopole d’exercice. « Une profession émerge quand un nombre défini de personnes commence à pratiquer une technique définie, fondée sur une formation spécialisée »151. Everett Hughes fait référence à la licence (autorisation d'exercer) et au mandat (obligation de mission). Tout emploi (occupations) entraîne une

150 Bourdoncle R., 2000, « Autour des mots professionnalisation, formes et dispositifs », Recherche et Formation, Evolution du métier d’enseignant et une nouvelle régulation de l’éducation, n°35, pp 117-132.

151 Carr-Saunders A. et Wilson PA., 1933, The professions, Londres/Oxford, Frank Cass et Co. LTD. Edition 1964.

revendication, de la part de chacun, d'être autorisé (Licence) à exercer certaines activités que d'autres ne pourront pas exercer, à s'assurer d'une certaine sécurité d'emploi en limitant la concurrence ; une fois cette autorisation acquise, chacun cherche à revendiquer une mission (mandate). La régulation de l’accès à la pratique professionnelle au moyen de la construction et du contrôle des modalités d’acquisition d’une qualification et de compétences spécifiques influe d’autre part sur l’image du groupe professionnel en valorisant la qualité de la pratique professionnelle (Parsons). La particularité des formations participe également pour le groupe professionnel à entretenir une parfaite maîtrise des modes de recrutement et à la constitution, pour reprendre les termes de Catherine Paradeise, d’un « marché du travail fermé »152. La construction d’une formation spécifique fondée sur une spécialisation des connaissances et compétences enseignés et des modalités particulières d’accès, participe à structurer les modes d’organisation, de gestion et de contrôle du groupe professionnel. La professionnalisation agit directement sur les modes de production, de recrutement et de gestion de la main d’œuvre. Le processus vise la constitution de « marchés du travail fermés »153 - « processus de clôture du marché du travail ; (…) subordonné à la reconnaissance sociale d’une compétence spécifique, comme valeur d’usage attachée à des savoir-faire incorporés par certains travailleurs jugés non substituables, dans un univers de production donné ». Le mouvement peut reposer sur un certain nombre de caractéristiques, ou à certains critères particuliers de la professionnalisation des formations : enseignement et certification assurés par les pairs ; sélection stricte à l’entrée ; non-gratuité des études ; accès réservé aux enfants de cadres supérieurs, etc.

Ce registre qui consiste à « élaborer et contrôler les modalités d’apprentissage du métier par la construction d’une formation spécifique et la maîtrise de modalités d’accès au groupe professionnel » peut être rapporté à deux finalités de la professionnalisation des études évoquées par Raymond Bourdoncle. Le premier point, qui concerne la construction et l’élaboration de formations assurant l’acquisition de savoirs théoriques et

152 Pour C. Paradeise, « tous les segments de marché qu’on propose de désigner du terme générique de ‘marchés du travail fermés’ possèdent un trait commun qui fonde et justifie leur clôture : ils définissent, construisent, entretiennent la qualification d’une main d’œuvre pour une tâche déterminée ». L’auteur postule donc une tendance à la monopolisation de segments de marché du travail « qu’elle soit légale, contractuelle ou simplement factuelle » comme une donnée permanente et centrale de la société contemporaine, où les professions établies (modèle parsonien) ne définissent qu’une forme particulière de marchés du travail fermés. Paradeise C., 1998, « Les professions comme marchés du travail fermés », Sociologie et Sociétés, Vol. XX. n°2. p. 9-21.

pratiques indispensables à l’exercice d’une activité professionnelle, renvoie à la question de l’acquisition d’une « professionnalité » qui définit « la nature plus ou moins élevée et rationalisée des savoirs et des capacités utilisés dans l’exercice professionnel »154. Le second aspect, qui concerne les effets des modalités d’apprentissage sur le statut et la reconnaissance du groupe de praticiens, peut renvoyer quant à lui au concept de « professionnisme ». Ici, la formation et ses caractéristiques organisationnelles permettent de valoriser (ou revaloriser) la place du groupe professionnel dans la division sociale du travail.

Assurer la préparation des individus à l’exercice de l’activité professionnelle par une socialisation professionnelle

Le dernier registre est également important. Everett Hughes très tôt aborde un élément déterminant du processus de professionnalisation des activités, à savoir la professionnalisation des individus qui exercent cette activité – élément indispensable à la reconnaissance du groupe de praticiens. L’auteur parle de « conversion identitaire » ou encore de « socialisation professionnelle »155. Cette professionnalisation s’opère pour l’auteur en deux moments. Le premier moment est décrit comme un processus d’ « initiation » qui renvoie à l’intériorisation d’une culture professionnelle, de savoirs techniques, pratiques et relationnels spécifiques, mais aussi à l’intériorisation d’une certaine vision du monde social au sens général. La personne plongée dans l’organisation du travail apprend progressivement les codes, techniques et comportements divers caractérisant le modèle professionnel environnant. Aussi, par un processus périlleux d’acquisition des savoirs et codes du groupe de référence, en passant par une phase intermédiaire, « installation dans la dualité » caractérisant la dialectique psychique opposant « modèle idéal » et « modèle pratique », la personne appréhende son environnement. Le second moment est appelé processus de « conversion ». Il renvoie à une reconstruction identitaire par l’assimilation et l’ajustement de l’ensemble des dimensions définissant l’appartenance au groupe de référence.

Ce registre concerne ce que Raymond Bourdoncle définit comme la construction ou le renforcement d’un « professionnalisme » par la normalisation et l’adhésion des individus

154 Bourdoncle R ., 1991, « La professionnalisation des enseignants : analyses sociologiques anglaises et américaines », revue française de pédagogie, n°94, janvier-mars, pp 18-93.

155 Je développerai cette notion par la suite : 2.2 La professionnalisation des étudiants : une étape dans un processus plus large de socialisation professionnelle

à une rhétorique, des pratiques, des comportements et des normes collectives caractéristiques du corps professionnel, du domaine d’activité, voire du champ productif au sens large.

1.2 Les apports des travaux développées en sociologie des professions et

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